La Finlande rejoint l’Otan sans la Suède : une adhésion incomplète

16 April 2023 /

5 min

L’adhésion rapide de la Finlande est cruciale pour la défense européenne, mais elle laisse de côté un autre allié potentiel : la Suède. Les deux pays ont demandé à rejoindre l’alliance en même temps, mais la demande suédoise s’est heurtée aux vétos turc et hongrois. Pourquoi ces refus ? Face à l’impérialisme russe, quand la Suède peut-elle espérer rejoindre l’Otan ?

Le 4 avril restera une date historique pour la Finlande. Au terme du processus d’adhésion le plus rapide de l’Histoire, elle est à présent le 31ème membre de l’Otan. En rejoignant l’alliance occidentale, Helsinki renonce à sa politique de non-alignement, en vigueur depuis les années 1990. Comptant désormais la Finlande parmi ses rangs, l’Otan renforce la protection de son flanc oriental et gagne un précieux allié militaire. Cependant, la demande d’adhésion de la Suède déposée peu après celle de la Finlande n’a pas connu le même succès. En effet, même si l’Otan invite tout Etat européen à rejoindre l’alliance, son adhésion doit être approuvée par tous ses membres. Quels obstacles se dressent contre l’adhésion suédoise ?

Le véto turc, préoccupé par sa sécurité interne

Depuis mai 2022, le président turc Erdogan s’oppose à l’adhésion de la Suède et de la Finlande, accusant les deux pays d’héberger des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation considérée comme terroriste par le gouvernement turc et par l’UE. Cependant, certains Etats européens tolèrent les agissements du PKK, grâce à son soutien militaire fourni au front occidental contre l’Etat islamique en Syrie. Selon le National Geographic, « en Turquie, les Kurdes constituent la plus grande minorité ethnique mais subissent depuis fort longtemps la répression de l’État. Face à cette répression, un violent mouvement séparatiste s’est constitué afin d’affronter les troupes turques dans un conflit toujours d’actualité. » Selon des estimations relayées par Le Monde, la Suède compterait environ 100’000 membres de la diaspora kurde sur son territoire, et le régime turc soupçonne la présence de terroristes parmi eux.

Face au blocage de la Turquie, la Finlande et la Suède entament avec elle des négociations et parviennent à un accord trilatéral en juin 2022. Dans cet accord, la Turquie accepte une possible adhésion des deux pays nordiques à l’Otan, à condition qu’ils ne soutiennent aucune organisation kurde et acceptent ses demandes d’extradition des suspects considérés comme terroristes.

Les préoccupations de la Turquie en matière de sécurité sont renforcées par diverses provocations. Le 12 janvier, des militants prokurdes diffusent un montage vidéo sur Twitter, montrant la pendaison d’un mannequin à l’effigie du président Erdogan, devant l’hôtel de ville de Stockholm. Même si le premier ministre suédois condamne cette action, les négociations sur l’adhésion suédoise se fragilisent. Elles s’effondrent totalement lorsque le 21 janvier, l’extrémiste Rasmus Paludan brûle un exemplaire du Coran devant l’ambassade turque à Stockholm. La réponse d’Erdogan est immédiate : « la Suède ne doit pas s’attendre à un soutien de notre part pour l’Otan. Si vous ne respectez pas les croyances religieuses de la République de Turquie ou des musulmans, vous ne recevrez aucun soutien de notre part. » Plus récemment, le refus suédois concernant la demande d’extradition du citoyen Mehmet Zakir Karayel n’a pas apaisé le courroux de la Turquie.

La fragilisation des relations diplomatiques entre Ankara et Stockholm pousse alors la Turquie à n’accepter que l’adhésion de la Finlande à l’Otan. La Turquie risque de persister dans son refus au moins jusqu’aux élections présidentielles du 14 mai. En effet, garder une position intraitable sur la question kurde pourrait assurer à Erdogan le soutien politique de l’Alliance populaire. Cependant, pour permettre à la Suède de rejoindre l’alliance occidentale, il reste encore un autre pays à convaincre.

Le véto hongrois, une posture stratégique

Si les raisons du refus turc s’inscrivent dans de profondes tensions ethniques et territoriales, la Hongrie adresse à la Suède des reproches plus surprenants. Selon le porte-parole du gouvernement, « il existe de nombreux griefs à régler » pour accepter l’adhésion suédoise, notamment « l’habitude de la Suède de remettre en question la démocratie en Hongrie ». Pourtant, les critiques du gouvernement suédois sont alignées avec celles de l’UE : en adoptant son rapport non-contraignant en septembre, le Parlement européen a défini l’Etat hongrois comme « un régime hybride d’autocratie électorale ». Suite à ce rapport, au mois de décembre, les Etats de l’UE ont suspendu 12 milliards d’euros de fonds européens destinés à la Hongrie, pour que celle-ci mette en œuvre des réformes de lutte contre la corruption. Alors comment comprendre le véto hongrois ?

Dans des propos recueillis par Romain Rouillard pour Europe1, le général Dominique Trinquand et ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU explique l’attitude hongroise vis-à-vis de la Suède : « la Hongrie veut exister en Europe en adoptant une posture plus proche de la Russie car elle est totalement dépendante de Moscou sur le plan énergétique. » Le politologue en relations internationales Frédéric Charillon ajoute que « des pressions européennes et américaines » pourraient faire changer d’avis Budapest pour permettre à la Suède de rejoindre l’alliance occidentale.

En effet, les gouvernements américain, allemand, français et britannique ont déjà ratifié l’adhésion suédoise. Le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg a déclaré lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères que « tous les alliés attendent que le processus d’adhésion de la Suède soit finalisé le plus rapidement possible. » Le sommet de l’Otan en juillet en Lituanie sera une étape décisive pour l’adhésion suédoise.

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