Peut-on parler d’une Europe de la Culture ? Essai de définitions

22 July 2020 /

Peut-on parler d’une Europe de la Culture ? Essai de définitions

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« Si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». Cette célèbre formule attribuée à tort à Jean Monnet demeure le reflet d’une Europe manquée de la Culture. Après une intégration économique, politique et monétaire, pourquoi est-il important d’espérer une Europe de la Culture ?  Mosaïque d’identités et de cultures, l’Europe n’est pas une entité homogène. La tentation de nationalisme et du repli culturel est alors palpable dans certains pays membres. S’unir dans la diversité, promouvoir l’échange culturel et la connaissance ne sont-ils pas les remèdes à une Union européenne « fatiguée », « malade »,  « en quête de direction » ? 

L’Europe de la Culture doit-elle être forcément corollaire d’identité européenne ? 

S’il existe une identité européenne, il nous faut retracer l’évocation d’une certaine idée de l’Europe. Géographique aux premiers abords, elle a petit à petit transcendé ses limites terrestres afin de devenir une notion à part entière. Mais les visions diffèrent quant à la temporalité au début d’une conscience européenne. Grossièrement, deux visions se font face, l’une moderne et l’autre plus conservatrice. On confronterait une Europe antique et humaniste (plus communément une Europe des Lumières) à une idée plus religieuse, c’est-à-dire une Europe chrétienne.

Mais il n’est pas sans rappeler que plusieurs villes ont été des carrefours de civilisations, où se rencontraient différentes identités, religions et cultures. L’Andalousie et la Sicile ont toutes deux été des points de contacts. En Sicile, trois langues ont été utilisées : le latin, le grec et l’arabe. Cette profusion de cultures se retrouve dans l’architecture : des monuments profanes qui empruntent à la fois à l’occident et à la culture arabo-musulmane ont été édifiés. Cette période s’est étendue du IXème au XIIème siècle.

Mais la consécration d’une idée de la culture européenne peut être érigée à partir de la Renaissance. Elle se concrétiserait par l’émergence d’une modernité européenne et d’un esprit européen. Des peintres comme Léonard de Vinci et les frères Van Eycks à l’invention de l’imprimerie, cette période s’accompagne des redécouvertes des écrits antiques et de l’apparition de la pensée protestante dans le nord de l’Europe. Cette période a permis un échange culturel important en Europe alors que le concept même d’Etat-nation émergeait, créant une division de fait. Or, comme l’écrit dans son roman « Le Bazar Renaissance » J. Bretton, il ne faudrait pas oublier l’impact des cultures orientales sur la Renaissance et ne pas céder à l’eurocentrisme.  La réalité européenne n’est-elle donc pas formée de tous échanges au travers des siècles ?

Au-delà des délimitations géographiques, l’Europe n’est donc pas un concept homogène. Il est dans ce contexte difficile de définir une identité européenne commune. L’Europe est alors face à un défi : qui sommes-nous ? H. Wismann nous le répète :

«L’Europe n’est pas une réalité donnée (…) mais une création humaine, réalisée par les habitants, autochtones ou immigrés, du minuscule promontoire de l’immense continent asiatique, qui a reçu le nom d’Europe »

Pourquoi est-il vital d’espérer une Europe de la Culture ?

En 2018, l’ancienne ministre italienne de la culture Lucia Borgonzoni, membre de la Ligue, avait déclaré que« Leonard de Vinci était italien » et d’ajouter que “les Français ne pouvaient pas tout avoir”. Ces mots avaient été prononcé après un accord entre le Musée du Louvre et les musées transalpins, accordant le prêt de presque la totalité des œuvres du célèbre peintre de la Renaissance pour une rétrospective de son art pour le 500ème anniversaire de sa mort. De nationalité italienne, le célèbre artiste de la Renaissance avait vécu les dernières années de sa vie en France et a par ailleurs influencé l’architecture du célèbre château de Chambord.

Miroir d’une absence de coordination européenne commune, l’appropriation nationale du fait culturel et des artistes n’est pas l’apanage de quelques situations exceptionnelles.

Viktor Orbán, Premier ministre hongrois, l’a affirmé : « nous devons défendre notre identité et notre souveraineté culturelle dans le tourbillon de la guerre culturelle européenne ». Alors que la Hongrie développe massivement des infrastructures culturelles, celles-ci restent contrôlées par un pouvoir central et autoritaire. La culture en tant qu’objet dynamique, est ici instrumentalisée politiquement afin de promouvoir une identité hongroise forte. 

Face à la montée des gouvernements xénophobes et nationalistes, il est vital de définir une trajectoire commune au-delà des considérations économiques et politiques telles que se présente l’Union européenne aujourd’hui. Les identités se construisent et reconstruisent au cours du temps. S’il est dangereux de figer une réalité, n’est-il pas temps d’espérer une trajectoire commune ? Ces nationalismes se créant dans le vide de la politique culturelle actuelle, quelle Europe de la Culture doit-on espérer ?

Quelle Europe de la Culture ? 

La diversité culturelle est et doit rester le mot d’ordre. La culture rentre officiellement dans l’agenda européen en 1977 avec le Plan d’Action culturelle de la Commission européenne. Quelques décennies plus tard, le traité de Maastricht reconnaît le devoir de l’Union européenne « à l’épanouissement des cultures nationales et régionales et à la reconnaissance d’une culture commune ». L’UE a par exemple collaboré à la préservation du site de Pompéi grâce à une aide financière représentant 75% des aides totales.  Plusieurs projets dans ce sens ont d’ores et déjà été mis en place. Depuis 2014, doté d’un budget de 1,46 milliard d’euros pour la période de 2014 à 2020, Europe Creative soutient des projets cinématographiques et créatifs. En 2018, sous l’égide de la Commission était consacrée « l’Année européenne du patrimoine culturel ».

Au travers de ces initiatives, deux pans d’une Europe de la Culture peuvent être identifiables : culture-patrimoine et culture-éducation. L’éducation, le choix des programmes scolaires, les politiques publiques visant à rendre la culture accessible à tous est encore compétence des Etats-membres. Comme le soutient Vincent Citot, philosophe et enseignant français, promouvoir le patrimoine européen ne devrait pas écarter la mise en place de politiques publiques en vue d’améliorer l’accessibilité à la culture. Cette mission passe par la profusion de projets d’éducation. « Mais il ne faudrait surtout pas s’en tenir là, et oublier que cette culture-musée n’a de sens qu’en vue d’une culture-éducation»

Bien que certains projets et politiques culturels ont d’ores et déjà été constitués, ils manquent malheureusement de visibilité dans l’espace public des pays membres. Face à une crise existentielle de l’UE, à la montée inexorables des nationalismes, l’Europe de la culture doit être la prochaine étape. Elle ne passerait pas par une homogénéisation culturelle, mais par l’échange, la diversité, et la richesses des cultures. L’accès à la Culture doit par ailleurs être un autre point d’ancrage. Enfin, l’idée d’une culture européenne ne réside-t-elle pas dans l’idée d’un futur commun ? Comme disait Heins Wismann: « Née d’un geste de rupture, la réalité européenne n’appartient qu’à ceux qui osent la réinventer ». 

Mina Pécot-Demiaux est étudiante en première année de master en études européennes au sein de l’IEE.

Cet article est issu de notre magazine n°32 (juin 2020). Pour lire le magazine entier, cliquez ici

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