Vox, le visage de la droite radicale espagnole

15 February 2022 /

6 min

Longtemps considéré comme une exception dans le paysage européen, l’Espagne a vu ces dernières années l’émergence d’une formation politique de droite radicale. Vox est devenu en moins d’une dizaine d’années d’existence la principale et unique formation pertinente à la droite du Parti populaire.

Sans formation politique de droite radicale pertinente, l’Espagne a longtemps été considérée par les politologues comme une exception alors que de nombreux partis ont émergé sur le continent depuis les années 80. Cet exceptionnalisme, qui perdura depuis la fin du régime de Franco jusqu’à il y a quelques années, a cependant perdu de sa saillance avec l’apparition de Vox. Ce parti, classé comme populiste et d’extrême droite par de nombreux politologues, a réussi à s’imposer dans un paysage politique de plus en plus fragmenté. Depuis plusieurs années, le bipartisme espagnol marqué par la confrontation entre le PSOE et le PP a laissé place à l’arrivée de nouvelles formations politiques avec en tête de proue à gauche Unidas Podemos, au centre Ciudadanos et à droite Vox. Dès lors, comment comprendre l’arrivée d’un parti de droite radicale au sein de l’hémicycle parlementaire espagnol après tant d’années d’absence ?

Des origines politiques

La formation de Vox remonte à 2013. Ce parti, créé par d’anciennes figures connues du Parti populaire tels que Alejo Vidal Quadras (ancien Président du Parti Populaire en Catalogne ainsi qu’ancien Vice-Président du Parlement européen), José Antonio Ortega (Député basque qui a été kidnappé par l’ETA) ainsi que l’actuel leader Santiago Abascal (ancien député du parlement basque). Malgré les liens explicites, de par sa composition, avec le Parti populaire, Vox se présente comme une alternative à la droite de celui-ci. Alors que le parti a échoué de peu à obtenir un mandat européen lors des élections européennes de 2014, les bons résultats électoraux s’enchaînent à partir de 2018. Cette année-là, Vox obtient douze sièges lors des élections régionales d’Andalousie. Ce résultat donne l’image d’un parti ayant désormais un potentiel de gouvernabilité. Quelques mois plus tard, lors des secondes élections législatives de 2019, le parti obtient aux alentours des 15% des votes et 52 sièges. Dès lors, Vox s’impose comme 3ème force politique espagnole en termes de représentation devant Unidas Podemos et Ciudadanos.

Une image travaillée

Il est important de noter que la droite radicale n’a jamais été totalement absente du paysage politique espagnol. En effet, diverses tentatives et créations de partis de ce bord politique ont vu le jours lors des dernières décennies comme par exemple « España 2000 » ou « Democracia Nacional ». Cependant, ce qui différencie Vox des autres formations de droite radicale est sans aucun doute sa déstigmatisation et sa visibilité. Les cas cités précédemment n’ont jamais su s’imposer comme des partis pertinents. Leurs positions trop extrêmes et leurs liens avec certains groupuscules nostalgiques de l’ère Franco, tels que les Falangistes, ont favorisé la stigmatisation de leur image dans l’opinion publique espagnole. Dès lors, ces formations politiques ont été considérées comme peu commodes et mena à un manque de visibilité. En effet, le passé autoritaire, incarné par le régime franquiste, a fortement marqué la société espagnole. L’opinion publique dans sa majorité a soutenu les formes de démocratie contemporaine et rejeté l’extrémisme de la droite radicale pendant de nombreuses années. Pour ne pas subir un sort similaire aux formations citées précédemment, Vox a mené un travail afin de déstigmatiser son image et ainsi se rendre fréquentable. Le parti a notamment expulsé les couches les plus extrêmes le composant et a rejeté ouvertement dans les médias ses liens extrémistes. Cette stratégie a permis au parti d’accéder à la sphère médiatique espagnole. Les chercheurs Mendes et Dennison, dans l’article « Explaining the emergence of the radical right in Spain and Portugal: salience, stigma and supply », ont traité cette question de la médiatisation de Vox à travers une analyse de contenu médiatique analysant et comparant la couverture médiatique des formations de droites radicales espagnoles. Il ressort de leurs recherches que Vox a pu bénéficier, par rapport aux autres formations radicales, d’une plus large médiatisation et visibilité, en parallèle d’une diffusion de contenus moins négatifs envers ceux-ci. Cependant, Vox reste un parti controversé par rapport au régime franquiste. Il n’est pas rare que des cadres du partis tiennent des discours nostalgiques défendant l’héritage du « Caudillo ».

Un programme politique très à droite

Vox défend la recentralisation de l’État et lutte contre le découpage territorial. Alors que le débat sur l’autonomie variable des différentes communautés espagnoles n’a pas été ouvertement abordé pendant des années, Vox a su s’accaparer cette thématique et saisir l’opportunité d’être le porte-voix de l’unitarisme espagnol. La « crise catalane » de 2016 et la criminalisation de certains politiques pro indépendance ont eu comme résultat un backlash nationaliste dans la société espagnole. Ce retour en force du patriotisme a énormément contribué à l’attractivité de Vox, lui offrant une visibilité et un soutien au niveau national. Le parti n’hésite pas à soutenir la monarchie, cette dernière étant le symbole de l’unité espagnole.

Le parti défend également un programme politique très conservateur et anti libéral autour des questions de la famille et du genre. Soutenant une politique nativiste, le parti s’oppose explicitement à l’avortement et désire l’abrogation des lois le permettant. En plus de cela, Vox désire revenir en arrière sur les libertés accordées aux personnes LGBT+, remettant en question certains acquis tels que le mariage homosexuel. Le parti justifie ses positions sur ces différentes thématiques comme une nécessité pour la préservation de la culture espagnole. Il est dès lors possible de trouver de nombreuses similitudes à ce niveau entre Vox et d’autres formations radicales et conservatrices, tels que le PiS polonais qui siège avec la formation espagnole au sein du groupe parlementaire européen ECR.

Vox adopte une ligne très dure et xénophobe sur la question migratoire. Ayant profité de l’espace médiatique octroyé à l’augmentation du nombre d’arrivées illégales par la voie maritime en Espagne, Vox a su prendre une place importante au sein des débats sur les migrations. En amont des dernières élections régionales de Madrid, le parti centra sa campagne sur l’immigration propageant de fausses informations à travers l’intermédiaire de slogans tels que « Un MENA (mineur étranger non accompagné) reçoit 4700 euros par mois, une grand-mère seulement 426 euros par mois ! ». Le parti clame également lutter contre l’islamisation de la société espagnole avec l’adoption de discours ouvertement islamophobe.

De l’exceptionnalisme au normalisme

Le parti de Santiago Abascal est aujourd’hui un acteur non négligeable de la sphère politique espagnole. Considéré à certains niveaux de pouvoir comme un acteur pivot, Vox soutient (sans participation) plusieurs gouvernements régionaux comme en Murcie, Andalousie ou encore à Madrid. Le parti permet dès lors à plusieurs coalitions de droite de se maintenir à la tête des communautés espagnoles. Le PP les considère même comme un interlocuteur privilégié.

Cependant, les récents succès électoraux de Vox ne s’illustrent pas de manière homogène au sein de la société espagnole. Le parti a encore du mal à s’imposer dans les communautés où il existe des partis nationalistes et régionalistes avec un fort sentiment identitaire comme cela est le cas en Catalogne, Galice ou encore au Pays Basque. Une autre menace pour cette formation est également le virage à droite du Parti Populaire. Initié notamment par Pablo Casado (actuel Président du PP), cette stratégie de durcissement de ton sur une multitude de thématiques, telles que les questions migratoires, pourrait déboucher sur un retour d’anciens fidèles votant désormais pour Vox. Au-delà de l’actuel président du PP, d’autres figures telles qu’Isabel Díaz Ayuso (Présidente de la Communauté de Madrid) pourraient empêcher la formation de droite radicale d’augmenter sa représentation lors des prochaines élections législatives de 2023. 

Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine

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