Vers un régime mondial de sanctions – Renforcer la politique extérieure européenne pour les droits de l’homme

17 February 2021 /

7 min

Alors que l’adoption par les institutions européennes d’un nouveau régime mondial de sanctions est sur le point d’aboutir, c’est l’opportunité de revenir sur le rôle de l’Union européenne en tant qu’acteur mondial de la protection des droits de l’Homme et de s’interroger sur l’apport de ce nouvel outil.

L’engagement de l’Union Européenne pour les droits de l’Homme, au cœur de son identité et de sa légitimité internationale

La protection des droits de l’Homme fait partie de l’essence même de l’identité de l’Union européenne. Cela constitue un axe majeur de la construction européenne, comme l’illustre les traités de l’Acte unique, d’Amsterdam, et de Nice où les droits de l’Homme sont mentionnés parmi les fondements de l’Union européenne. Le processus d’élargissement, c’est-à-dire le mécanisme qui permet l’adhésion de nouveaux Etats à l’Union européenne, est très révélateur de cette aspiration pour la démocratie et le respect des droits de l’Homme. En effet, cela figure dans les critères de Copenhague, qui fixent les conditions permettant de considérer un État apte à rejoindre l’Union. Sur le plan interne, l’engagement de l’Union européenne pour les droits de l’Homme repose juridiquement sur des dispositions comme celles de l’article 2 du Traité de l’Union européenne (TUE) qui énonce ces valeurs fondatrices et celles de la Charte des droits fondamentaux, dont la force contraignante est aujourd’hui reconnue.

Si l’Union européenne a construit son identité autour de principes comme le respect des droits de l’Homme au sein de ses États membres, c’est aussi le cas à l’échelle internationale, où elle apparaît comme un acteur engagé. Ainsi le respect de la Charte des droits fondamentaux s’impose aussi dans les relations extérieures de l’Union, tant aux Etats Membres qu’aux institutions et organes de l’Union européenne, conformément à l’article 6 du TUE. Comme le prévoit l’article 3 du même traité, la protection des droits de l’Homme constitue l’un des objectifs de l’Union dans ses relations avec le reste du monde, mais aussi d’après l’article 21 de ce dernier, l’un des principes sur lesquels l’action extérieure repose. Enfin, plus largement, l’engagement pour les droits de l’Homme de l’Union européenne est fondé juridiquement sur le droit international et notamment sur de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Charte des Nations unies de 1945, ou encore la Déclaration universelle des droits de l’homme. 

Comment se traduit concrètement l’engagement de l’Union européenne en faveur des droits de l’Homme dans le monde ? 

Sans être exhaustifs, il faut savoir que l’Union européenne œuvre de diverses manières pour la promotion des droits de l’Homme dans le monde, par des programmes, des prises de positions diplomatiques, ou encore par son choix d’incorporer ces problématiques à toutes ces politiques extérieures. L’engagement de l’Union européenne s’illustre notamment par le Prix Sakharov,  décerné chaque année par le président du Parlement européen à une personnalité, groupe ou organisation dont l’action pour les droits de l’Homme a été exceptionnelle. Plus concrètement, le Plan d’action de l’UE en faveur des droits de l’homme et de la démocratie 2020 – 2024, qui remplace le précédent de 2015-2019, réaffirme l’universalité des droits de l’Homme, c’est à dire que tous les droits de l’homme, qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels sont défendus, et précise les modalités de l’action européenne. Le fondement de l’intervention de l’Union européenne est avant tout la coopération, tant avec les Etats tiers, les institutions européennes que les institutions multilatérales. Tout d’abord, l’intervention européenne passe par les relations bilatérales tissées avec les pays tiers, par la promotion des droits de l’homme au travers du dialogue politique, et du soutien de projets favorisant l’atteinte de cet objectif. Ces dialogues à propos des droits de l’Homme sont, d’après l’Union européenne, un outil essentiel. En outre, parce que l’Union européenne souhaite agir éthiquement dans ses relations extérieures, elle peut aussi requérir dans ses accords de coopération avec des pays tiers que ceux-ci respectent les principes fondamentaux des droits de l’Homme. Au niveau européen, les institutions comme le Parlement européen, le Conseil, les États membres, la Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) doivent coopérer entre elles car l’efficacité de l’action de l’Union européenne dans la promotion des droits de l’Homme en dépend. Enfin, l’Union européenne collabore avec les organisations de défense des droits de l’Homme, des organisations internationales comme l’ONU, la Cour pénale internationale et la Cour européenne des droits de l’Homme. L’Union européenne œuvre par exemple sur des projets comme Objectifs de développement durable des Nations unies, qui fixe 17 objectifs à atteindre d’ici 2030. 

L’engagement de l’Union européenne pour les droits de l’Homme passe par leur promotion mais aussi par la mise en place de sanctions lors de leur violation. Celles-ci sont prises dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité commune, lorsqu’elle reconnaît une violation aux droits de l’Homme ou suite à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Appelées « mesures restrictives », elles s’appliquent au travers des mêmes instruments qui permettent de promouvoir les droits de l’Homme, soit notamment le commerce, le dialogue, et le soutien financier. L’Union européenne a donc la possibilité d’émettre des sanctions diplomatiques, économiques et financières, sous la forme d’interdictions de pénétrer le territoire de l’UE, de gel d’avoirs, ainsi que de restrictions sectorielles comme par exemple l’embargo sur la vente d’armes. Malgré tout, il faut reconnaître que l’action de l’Union européenne en matière de protection des droits de l’Homme, et plus particulièrement de répression des atteintes à leur encontre, est limitée de bien des façons. L’une d’entre elles réside dans les nombreux blocages à une intervention européenne qui peuvent apparaître au niveau des institutions de l’Union européenne. Un « manque de volonté politique » à s’engager concrètement et à prendre des risques pour la défense des droits de l’Homme est souvent reproché à l’Union européenne. Le projet de régime mondial de sanctions de l’Union européenne pourrait apporter un début de réponse à ces critiques.

Dernière ligne droite avant l’adoption d’un nouveau régime mondial de sanctions des violations aux droits de l’Homme, pour une Union européenne plus efficace.

Comme annoncé par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen dans son discours sur l’Etat de l’Union 2020, un régime mondial sanctionnant les violations des droits de l’Homme est envisagé à partir du modèle de la loi américaine « Magnistky Act». Celle-ci, promulguée en 2012 suite à l’assassinat de l’avocat russe Sergei Magnitsky dans une prison de Moscou en 2009, visait à permettre aux Etats Unis de sanctionner directement les responsables. Ce projet concrétise la volonté européenne de faire plus en matière des droits de l’Homme, et surtout plus efficacement. Comme déclaré par le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, « Trop d’auteurs de violations des droits de l’homme pensent pouvoir s’en sortir en toute impunité. Faire changer le raisonnement de ces personnes est donc l’objectif principal du nouveau régime de sanctions ».

Ce nouveau mécanisme est tout d’abord le fruit de nombreuses discussions, entre les Etats membres pour commencer, qui ont abouti à un accord politique global pour entamer les travaux d’élaboration de ce régime de sanctions. A partir des documents juridiques élaborés par le Service européen pour l’action extérieure et les services de la Commission, il a fallu obtenir l’approbation du Conseil, ce qui ne fut « ni facile ni rapide » d’après Josep Borrell. La complexité procédurale vient notamment du fait qu’il y avait deux propositions présentées au Conseil, une décision du Conseil émise par le haut représentant, qui fixe la base juridique et politique du nouveau régime, et un règlement du Conseil, élaborée par le Haut représentant et la Commission, fixant la mise en œuvre des sanctions. Transmises au Conseil depuis le 19 octobre 2020, il faut maintenant qu’elles soient admises à l’unanimité par les Etats membres. 

S’ajoutant au Plan d’action de l’UE en faveur des droits de l’homme et de la démocratie 2020 – 2024, ce nouveau régime de sanctions pourrait permettre de renforcer un peu plus le rôle de l’Union européenne en matière de défense des droits de l’Homme, et ainsi d’être plus réactive. En effet, si la décision de sanctionner un individu pour violation des droits de l’Homme reste soumise à un vote à l’unanimité des Etats membres, l’Union européenne, plus exactement la Commission, sera chargée de mettre en œuvre les mesures restrictives. En outre, les sanctions adoptées au travers de ce nouveau régime, viseront désormais les individus quel que soit leur identité ou le lieu où les violations ont été commises, alors qu’actuellement il s’agit de régimes de sanctions géographiques. Son adoption constituerait une avancée considérable en matière de répression des atteintes aux droits de l’Homme, rendue dès lors plus rapide et efficace.

Cet article est paru dans le numéro 33 du magazine.

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