Un vent de changement souffle sur le Kosovo

22 February 2021 /

7 min

De nouvelles élections législatives anticipées se sont tenues au Kosovo ce dimanche 14 février et comme annoncé par les sondages, c’est le parti d’opposition anti-corruption qui s’est largement imposé en recueillant près de 50% des suffrages exprimés. Ces élections mettent un sérieux coup d’arrêt tant aux partis traditionnels issus de l’UCK (l’armée de libération kosovare) qu’à une longue crise politique. Cette victoire, par les urnes, se veut être un tournant pour le pays le plus pauvre du Sud-Est européen, profondément touché par la corruption.

Une instabilité politique chronique au Kosovo

Les élections législatives de 2021 au Kosovo se sont déroulées dans un contexte d’instabilité politique à la suite d’une année 2020 mouvementée. Une crise chronique qui s’inscrit dans l’histoire politique récente kosovare puisque depuis la déclaration d’indépendance de 2008, cinq élections législatives se sont tenues sans qu’aucune mandature ne soit parvenue à son terme. 

Le parti de gauche Vetëvendosje (Autodétermination en français) dirigé par Albin Kurti, ancien résistant étudiant et prisonnier des geôles serbes lors de la guerre du Kosovo en 1999, n’en est pas à sa première victoire électorale, puisqu’en octobre 2019, le mouvement s’est imposé lors des précédentes élections législatives. Pourtant, ne parvenant pas à faire élire suffisamment de députés au Parlement, Albin Kurti avait dû former une coalition avec la liste de centre droit Ligue démocratique du Kosovo (LDK) pour devenir premier ministre le 3 février 2020.

Cette entente n’a duré que quelques semaines puisque de premiers troubles au sein du gouvernement à propos de la question serbe avaient affaibli la coalition. Finalement, la crise sanitaire du Covid-19 avait eu raison de cette fragile coopération. En effet, le premier ministre avait limogé celui de l’intérieur issu de la LDK après que ce dernier ait appelé à l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, soutenu par l’ex-président de la République Hashim Thaçi. Une motion de censure avait été déposée le 25 mars par la LDK mettant fin au plus court mandat depuis l’après-guerre de 1999. Par la suite, le nouveau gouvernement de coalition formé par le parti de centre droit avec à sa tête Avdullah Hoti n’avait guère fait mieux. En effet, Albin Kurti et son parti avait fait invalider le vote d’investiture auprès de la Cour constitutionnelle sur motif que le député Etem Arifi (ayant permis d’obtenir la majorité absolue de 61 voix sur 120) n’était légalement pas capable de voter à la suite d’une condamnation pour fraude en mars dernier. Le 21 décembre, la Cour a ordonné au président de la République de convoquer de nouvelles élections législatives. Dans la foulée, cette même Cour a invalidé la candidature de Albin Kurti au poste de député, pour avoir été jugé responsable d’un jet de grenade lacrymogène au Parlement en 2018. Cette décision, largement contestée par la gauche et les observateurs soulève des questions d’indépendance et de politisation de la Cour car la candidature de Kurti au poste de député en 2019 n’avait pas été discutée. Néanmoins, rien n’empêche légalement Albin Kurti d’assurer un poste de premier ministre pour le mandat à venir.

Entretemps, le président Hashim Thaçi avait annoncé le 5 novembre 2020 sa démission à la suite de son inculpation pour crimes de guerre ayant eu lieu durant la guerre du Kosovo, quelques mois auparavant par le tribunal spécial de la Haye. La présidente du Parlement Vjosa Osmani, issue du LKD, assure alors l’intérim en attendant de prochaines élections présidentielles prévues pour mai 2021 au plus tard. Cette dernière a depuis quitté les rangs du parti de centre droit pour créer le mouvement Guexo et se rapprocher du parti de Kurti. Elle devient donc la candidate pressentie pour succéder à son propre mandat, un poste élu au scrutin indirect par le parlement devant recueillir au moins 80 voix sur 120. 

La chute des anciens et une mobilisation inédite

Les élections législatives et la victoire de la liste commune de Kurti et Osmani viennent confirmer la volonté de changement et le rejet des partis traditionnels, une dynamique qui avait débuté lors des législatives de 2019. Déstabilisé par l’absence de leur leader historique Hashim Thaçi, le Parti démocratique du Kosovo (PDK), principale force issue des anciens États-majors de l’UCK parvient tout de même à se stabiliser (17% des voix contre 21% en 2019) tandis que les autres formations traditionnelles, l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK) et l’Initiative sociale-démocrate (Nisma), chutent lourdement. La LDK connaît quant à elle un important revers en perdant plus de 10 points par rapport à 2019 (13% des voix). Ces formations paient le prix fort de longues années de mauvaise gestion et de népotisme. Aujourd’hui près d’un tiers des habitants est sans emploi.

Cette volonté de changement se traduit aussi par une participation record de 45% et une mobilisation massive de la diaspora. En effet, 103 000 électeurs de l’étranger auraient réussi à s’inscrire et 90 000 auraient pu voter, représentant plus du double qu’en 2019 tandis qu’environ 3000 électeurs de la diaspora s’étaient inscrits en 2014. Acquise à Kurti, cette diaspora qui représente près de 10% du corps électoral n’a pas hésité à venir depuis l’Allemagne (où 400 bus avaient été réservés pour l’occasion), la Suisse ou même les Etats-Unis pour soutenir le changement malgré la crise sanitaire et les risques de rebond épidémique. De plus, l’argent de la diaspora, renvoyé au pays, représente un poids économique majeur pour le Kosovo puisqu’il vaut près de 60% du budget total de l’Etat. 

“Notre pétrole c’est la diaspora kosovare”, Albin Kurti

Par ailleurs, pour former une majorité, Kurti aura besoin du soutien des députés représentant les minorités. Au Kosovo, 20 sièges sont réservés aux minorités dont 10 pour la minorité serbe conservés jusqu’alors par la liste Srpska, téléguidée par Belgrade. Et tandis que les députés serbes sont difficilement atteignables, ceux des autres minorités le sont davantage.

Vers une relance du dialogue serbo-kosovar compliquée mais indispensable

Important point de friction au sein du premier gouvernement Kurti, la question du dialogue serbo-kosovar avait alimenté le débat en mars dernier après que Kurti ait refusé de supprimer une taxe de 100% sur les produits serbes sans la mise en place d’un principe de réciprocité fiscale et d’un dialogue équilibré entre les deux pays. Avec le soutien de Washington, la LDK cherchait plutôt à renouer le dialogue. Ces divergences de stratégie expliquent le renversement du premier gouvernement Kurti en mars 2020. La signature d’un accord entre le Kosovo et la Serbie, sous le contrôle de l’ex-président Trump en octobre dernier, avait renforcé la méfiance quant à l’instauration d’un dialogue qui tournerait à l’avantage de Belgrade. 

“Ce sujet [le dialogue serbo-kosovar] arrive au sixième ou septième rang des priorités des Kosovars”, Albin Kurti

De son côté, le chef de Vetëvendosje a déjà annoncé que ce dossier n’était pas sa priorité mais qu’il n’accepterait le dialogue que si les deux pays étaient sur un même pied d’égalité lors de la négociation. Il appelle à une réciprocité dans le dialogue, une transparence des négociations loin des instances bruxelloises et une réintégration des minorités serbes à la société kosovare. Malgré tout, ce dossier étant considéré comme prioritaire par l’UE et les Etats-Unis, d’importantes pressions risquent de ramener autour de la table des négociations les acteurs concernés. 

Selon Sébastien Gricourt, directeur de l’Observatoire des Balkans à la fondation Jean Jaurès, Kurti souhaite engager une approche transatlantique avec à la fois le soutien de la nouvelle administration Biden, plus conciliante que celle de Trump à l’égard du Kosovo, et avec le soutien de l’UE comme médiateur. Il souhaite aussi une logique transformative du dialogue afin que celui-ci serve réellement les réformes des acquis communautaires qui conduisent au rapprochement avec l’UE. Les négociations entre la Serbie et le Kosovo sont donc indispensables aux deux pays en vue d’une possible adhésion à l’UE. 

Pourtant, ce thème n’a pas été un enjeu majeur durant la campagne. Cela s’explique notamment par un scepticisme croissant parmi la population à l’égard de l’intégration européenne. Par exemple, le retard de la libéralisation des visas par l’UE pour le Kosovo, malgré les promesses de Bruxelles et des décideurs politiques kosovares, est un élément qui exaspère de plus en plus les citoyens. Cependant, bien que Kurti ait préféré articuler son discours autour de « l’emploi et la justice » pour tous les Kosovars et la lutte contre la corruption, lui et tous les autres partis au Kosovo n’envisagent pas d’autre perspective, qu’un futur européen. 

Le nouveau gouvernement Kurti aura donc la difficile tâche d’instaurer un climat de confiance auprès des Kosovars après une longue instabilité politique, sur fond de crises sanitaires et diplomatiques.

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