Tourisme européen: le défi du voyage dans le “monde d’après”

25 January 2021 /

5 min

La crise sanitaire de la Covid-19 a obligé les pays européens à imposer des restrictions de voyage afin d’enrayer la propagation du virus. Ces contraintes plus ou moins importantes en fonction des pays ont eu des conséquences significatives sur le tourisme. Quelles sont-elles et comment envisager le tourisme du « monde d’après » ?

La première vague

Fin mars 2020, tous les pays de l’Union européenne ont mis en place un confinement partiel ou général sur leur territoire, ont renforcé les contrôles et parfois fermé les frontières. De la même manière, l’Europe a fermé ses frontières extérieures aux touristes pendant plusieurs semaines. De telles décisions apparaissaient alors nécessaires pour contenir l’épidémie.

Mais à l’approche de l’été, la crainte de voir le secteur touristique devenir une victime collatérale de ces restrictions s’est intensifiée. 

Le tourisme est crucial pour de nombreux Européens : il représente un dixième du PIB et 12% des emplois de l’UE. A l’international, les européens sont les voyageurs les plus représentés en nombre d’arrivées. A l’intérieur de l’Europe, la France est le pays qui reçoit le plus de touristes au monde, suivi par l’Espagne. L’Italie arrive en 5ème position et l’Allemagne en 8ème selon les données de l’Organisation Mondiale du Tourisme en 2018. Le tourisme représente cependant une fraction plus importante dans les économies du Sud de l’Europe, moins diversifiées que celles de la France et de l’Allemagne. La crise sanitaire secoue donc avec plus d’intensité ces pays déjà fragilisés économiquement lors des précédentes crises économiques en 2008 et 2012.

Une saison estivale singulière

C’est donc dans l’optique de limiter les conséquences économiques que la Commission européenne a proposé à la fin du mois de mai un ensemble de recommandations afin de permettre la relance du tourisme en respectant des mesures sanitaires. La Commission a ainsi incité la reprise de la circulation à l’intérieur de l’espace Schengen, tout en laissant la possibilité de mettre en place des restrictions aux frontières pour les ressortissants des Etats les plus touchés par l’épidémie. 

Malgré ces efforts pour soutenir le tourisme, le bilan reste très lourd puisque, si le tourisme mondial a connu un important déclin au premier semestre 2020, celui de l’Europe est le deuxième plus important au monde avec une baisse de 66% du nombre d’arrivées. Si certains pays comme la Grèce ont été épargnés par la crise sanitaire, les retombées économiques sont pourtant conséquentes. On dénombre en effet entre 60 et 70% d’arrivées en moins à l’aéroport d’Athènes en pleine saison estivale.

On constate cependant qu’une nouvelle façon d’aborder les vacances a émergé des restrictions sanitaires : le staycation. Contraction de « stay », rester, et de « vacation », vacances, le staycation est à l’origine prisé par les écologistes pour se couper de son quotidien en limitant son impact environnemental. Cette année, nombre d’européens ont opté pour ce mode de congé qui consiste à partir près de chez soi, à redécouvrir sa région ou son pays. 

En France, la saison touristique dans les Hautes Alpes a ainsi pu être sauvée, l’afflux de touristes français ayant remplacé la non-venue des étrangers. Le staycation s’est révélé comme le moyen d’allier contraintes sanitaires et l’envie d’évasion, tout en limitant le stress des transports et en soutenant l’économie locale.

A une plus large échelle, la Commission Européenne a lancé une campagne sur les réseaux sociaux appelée « La culture de l’Europe-proche de vous » afin de promouvoir le patrimoine culturel européen pendant la crise. Mariya Gabriel, commissaire européenne à l’innovation, l’éducation, la culture et la jeunesse a soutenu cette nouvelle façon d’aborder le voyage : « Cet été, nous resterons peut-être plus près de chez nous pour nos vacances, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas passer un moment agréable ».

Quelles perspectives d’avenir pour le tourisme européen ?

Le staycation peut-il durablement changer les habitudes de voyage des européens et devenir la norme dans le fameux « monde d’après » ? Ou bien n’est-ce qu’une solution de secours, imposée par la situation sanitaire ? 

Pour Théo, 21 ans, étudiant français, « le monde d’après n’existe pas, il sera le même qu’avant ». En effet, si l’on en croit un rapport de la Commission du voyage d’octobre 2020, les européens n’ont pas perdu l’envie de voyager : une large majorité des sondées affirmaient prévoir partir dans les six prochains mois, avec une préférence pour les destinations européennes, malgré les incertitudes. 

C’est le cas de Camille, jeune orthophoniste qui partage ses voyages sur un compte Instagram dédié : « Voyager en France ne me semble pas moins risqué (…) c’est à nous de prendre nos précautions ». Pour elle, la stratégie du staycation n’est pas viable sur le long terme et relève plus d’une solution de repli : « Se cantonner à notre pays serait une grande perte économique et culturelle, je pense que nous allons nous adapter afin de permettre aux touristes de se sentir en sécurité et de relancer le voyage à l’international. »

La relance du tourisme européen est aussi à l’agenda des Etats et des institutions européennes : la Commission a lancé cet été une carte interactive Re-Open EU qui permet d’informer les européens des conditions d’accès aux Etats membres. Pour poursuivre cet effort de clarté, le Conseil des ministres a adopté cet automne une cartographie commune avec des critères sanitaires communs afin de faciliter la circulation des voyageurs. Cette cartographie attribue à chaque pays une couleur allant du  vert au rouge reflétant le nombre de nouveaux cas dépistés. Ainsi, les citoyens d’un pays classé dans une autre zone que le vert peuvent être contraints au dépistage ou à un isolement lors de leur arrivée dans un autre Etat.  Aussi, l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) participe aux négociations à Bruxelles pour concrétiser les soutiens financiers aux entreprises dépendantes de ce secteur d’activité. Dans une gestion partagée entre les Etats et l’UE, les liquidités à destination des entreprises se sont multipliées grâce à un fonds européen d’investissement. Pour l’emploi, le programme européen SURE aide les Etats à financer le chômage partiel. 

Sur le long terme, le plan de relance Next Generation EU de 750 milliards d’euros conclu en juillet  devrait en partie servir à promouvoir un tourisme plus durable.

A l’heure de la deuxième vague qui pourrait ne pas être la dernière, comment imaginer le futur du tourisme dans un “monde d’après” où le tourisme n’a pas disparu ?

Une entreprise Suisse a mis au point un « passeport Covid » qui permettrait de relancer le tourisme international et notamment de faciliter les voyages en avion. L’AOK Pass créé par la Société Générale de Surveillance est un passeport sanitaire numérique, contenant les données médicales du voyageur et notamment son test Covid négatif. Plusieurs projets pilotes sont en cours et 170 aéroports comme ceux de Rome, New York ou Abu Dhabi pourraient le reconnaître si les effets sont concluants. Un tel passeport pourrait en effet éviter aux pays d’imposer des quarantaines aux voyageurs. Le futur du tourisme avec la Covid-19 s’annonce donc plus durable mais aussi plus numérique.

Pauline Robert, étudiante en Master 1 d’Etudes Européennes

Cet article est paru dans le numéro 33 du magazine.

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