Savez-vous NE PAS parler Anglais?

26 January 2017 /

Le mardi 10 janvier, Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle Française de 2017, s’est exprimé lors d’une Conférence à l’Université de Humboldt en Allemagne. Le sujet de la conférence, portait sur la relation franco-allemande et l’Europe de la défense. Mais ce qui a créé la polémique n’est pas le contenu, mais bien la forme : Emmanuel Macron s’est exprimé en Anglais lors de cette conférence.

La polémique sur la langue et les Élites

On peut se poser la question de savoir si le contenu a été écouté tant la forme a été sujet à polémique. En effet, le matin même de la conférence, Marine Le Pen, autre candidate à l’élection présidentielle française de 2017 a tweeté : ” Le candidat à la présidentielle Macron va à Berlin faire une conférence en anglais… Pauvre France ! MLP “. Après ce tweet, la toile s’est enflammée et chacun y est allé de son commentaire expliquant qu’Emmanuel Macron n’aurait pas dû parler en anglais lors de cette conférence.

Cette polémique est fascinante. D’abord, compte tenu de la rapidité avec laquelle les commentateurs ont expédié le sujet et le contenu de la conférence à Humboldt. Ensuite, de par la façon avec laquelle, les commentaires ont su recentrer le débat non pas sur l’Europe – qui était le sujet principal de la conférence- mais bien sur la France. On est totalement dans l’instrumentalisation de la forme du discours pour ré-ouvrir l’éternel débat sur la francophonie.

Ainsi, cela signifierait que nous ne devrions pas parler une autre langue que notre langue nationale afin de permettre le “recours à la seule langue internationale qui est […] la traduction.” Nous, français, devrions revendiquer le fait de parler uniquement le français, et ce, pour le bien de l’identité française et… des traducteurs?

J’ai lu avec intérêt la manière dont l’économiste Marc Rousset, explique que “ce technocrate arriviste de la finance […] n’a pas le sens du peuple, […] de l’identité de la France, […] ne respecte pas sa langue “. Je passerai sur son objection à la réforme de 2018 de l’ENA pour me focaliser sur son message premier partagé par les cadres du parti du Front National. Ainsi, cela signifierait que nous ne devrions pas parler une autre langue que notre langue nationale afin de permettre le “recours à la seule langue internationale qui est […] la traduction.” Nous, français, devrions revendiquer le fait de parler uniquement le français, et ce, pour le bien de l’identité française et… des traducteurs?

Par conséquent, si l’on choisit de faire un raisonnement par l’absurde, cela voudrait dire que les 3 337,7 élèves français (chiffres d’Eurostats 2014) qui apprennent des langues étrangères -dont 98% apprennent l’anglais en langue vivante 1-, gaspillent 2 à 3 heures de cours de langue par semaine pour une langue qui bafoue leur identité nationale? N’est-ce pas honteux d’obliger des élèves à rester assis alors qu’ils pourraient aller s’aérer, jouer, et parler en français dans la cours de récréation? C’est d’autant plus honteux de payer des professeurs de l’éducation nationale pour enseigner une langue à nos enfants qui trahirait l’identité même de la France. Là, effectivement, nous pourrions dire “Pauvre France!”.

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Qu’en est-il de la francophonie?

Une des justifications possibles, comme l’a tweeté M. Philippot, serait de revendiquer la francophonie : “#SOSFrancophonie”.  Très bien, allons jeter un coup d’œil aux statistiques du rapport  de l’Organisation internationale de la francophonie, sortie en novembre 2014 sur la Langue française dans le Monde (http://www.francophonie.org/274-millions-de-francophones-dans.html): le français est la 5e langue la plus parlée dans le monde, environ 274 millions de locuteurs à travers le monde, 2e langue étrangère la plus apprise, et 3e langue utilisée dans le monde des affaires. Les statistiques démontrent que l’emploi de langue française a progressé de 7% sur les quatre dernière années. Il faut noter que l’Afrique subsaharienne enregistre à elle seule, 15% de progression. Ainsi, l’Afrique concentre , à elle seule, plus de francophones que le continent européen (54,7% face à 36,4%). Et c’est grâce à la démographie de ce continent que la francophonie progresse.

Revenons-en à la polémique d’Emmanuel Macron le 10 janvier dernier. Où était-il?  L’Allemagne est certes, l’un des pays européens où l’Organisation de la Francophonie dénombre le plus de francophones : 11 943 000, soit approximativement 14%. Mais, puisque Emmanuel Macron fait parti de ces français qui savent parler Anglais, pourquoi ne parlerait-il pas anglais? Combien d’anglophones compte l’Allemagne ? D’après l’Office fédéral des statistiques (Statistisches Bundesamt), c’est environ 56% des Allemands qui savent parler Anglais avec un niveau B1 ou plus  d’après le cadre européen commun de référence pour les langues (http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/cadre1_fr.asp). Et l’on est surpris qu’Emmanuel Macron parle en anglais en Allemagne ? N’est-ce pas de la logique simple que de choisir de parler dans la langue que le plus grand nombre de personnes du public pourra comprendre?

Un problème de forme qui cache un réel problème de fond

Après avoir utilisé les chiffres, l’on peut aussi comprendre que la polémique est peut-être une simple excuse pour évoquer un problème plus en profondeur. Hormis le positionnement sur le “ scandal actuellement en cours à l’ENA”, l’article de l’économiste Marc Rousset (http://www.bvoltaire.fr/marcrousset/le-discours-en-anglais-de-macron-a-berlin-trahison-des-elites,306559) pose la question suivante : ” À quand une politique linguistique digne de ce nom d’un gouvernement français pour défendre et développer l’usage de la langue française en Europe ? “. Finalement, ce n’est pas l’usage même de l’anglais par Emmanuel Macron qui a posé problème. Il a simplement ravivé un problème qui persiste depuis bien longtemps: l’apprentissage de la langue française au niveau nationale, et la volonté expansionniste de la langue de Voltaire au niveau internationale. Dans son livre, le Continent des Ténèbres (traduit de l’anglais Dark Continent.Europe’s twentieth Century par Rachel Bouyssou) Mark Mazower explique avec provocation l’impossible dépassement, la nostalgie persistante de l’Empire français. L’on retrouve cette idée récurrente chez différents auteurs notamment Daniel Lefeuvre  ,  Pour en finir avec la repentance coloniale, ou encore Eric Zemmour, Mélancolie française.

Il a simplement ravivé un problème qui persiste depuis bien longtemps: l’apprentissage de la langue française au niveau nationale, et la volonté expansionniste de la langue de Voltaire au niveau internationale.

C’est véritablement une question de fond récurrente qui permet aux politiques de raviver le débat sur la francophonie et l’héritage de la culture française. Des thèmes originellement de droite, repris par toute la classe politique française. Rappelez-vous la polémique sur l’identité française en 2007. Ce qui est surprenant, hormis le fait que l’on répète sans fin un débat qui n’a pas de solution unique, ce sont les arguments et les preuves aux allures nouvelles utilisées pour justifier l’existence d’un tel débat : “Il est bien connu également que les hauts fonctionnaires français trahissent trop souvent la langue française à Bruxelles.” précise dans son article Marc Rousset. Pourquoi dit-il cela? Comment justifie-t-il le fait que cette trahison, est  “bien connue”? L’auteur choisit de réorienter sa problématique et d’élargir la responsabilité. Quel lien entre Emmanuel Macron à l’Université de Humboldt en Allemagne et les hauts fonctionnaires français à Bruxelles? Aucun à première vue, si ce n’est le fait que l’on parle de français ne parlant pas leur langue nationale à l’étranger. Doit-on blâmer les français de l’étranger? Pourtant ils sont une cible récurrente dans la campagne d’Emmanuel Macron. Serait-ce eux, qui trahissent la langue française et l’identité française? L’on peut en douter, car la polémique vise exclusivement le candidat à l’élection présidentielle et en extrapolant, les élites. Traverser les frontières nationales est-il synonyme de trahison? J’ai envie de répondre, non sans provocation, “Pauvre Europe !”

Je reste sur ma faim après avoir essayé de comprendre cette polémique sur la langue française. Je comprends surtout que l’objectif est d’éviter de discuter du contenu de la conférence à Humboldt. L’intervention d’Emmanuel Macron a été instrumentalisée afin de relancer un débat qui simplifie l’équation suivante : parler une langue étrangère c’est trahir sa langue nationale. Peut-être après tout, est-ce une question de génération. Notre génération s’habitue à entendre l’anglais dans les films, les séries, les vidéos sur internet… Regarder une série en version originale est de plus en plus acceptée alors que ce sentiment de trahison reste fort chez les générations précédentes comme le soutient très bien Pierre Langlais dans son article “Pourquoi la France double-t-elle tout le Monde ?“. Alors, Monsieur Marc Rousset, je me permets de vous contredire en affirmant : Non, l’utilisation de la langue de Shakespeare n’est pas une trahison du français, que ce soit au niveau des élites comme des gens “ordinaires”. Non, partir de France n’est pas synonyme de rejet de l’identité nationale, de même qu’une conférence en anglais en Allemagne. Non, traverser les frontières n’est pas une volonté de fuir les responsabilités nationales.

Marie Lavayssière est étudiante en Master à l’Institut d’Etudes Européennes.

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