Sauver l’arbre-monde : Une nouvelle forêt primaire au cœur de l’Europe

17 August 2020 /

4 min

Le botaniste Francis Hallé, grande figure de la biodiversité, souhaite élaborer un plan de rétablissement d’une forêt primaire au cœur de l’Europe dans les plus brefs délais. Un projet qu’il souhaite mener à l’échelle européenne et qui permettrait à une forêt de 65 000 hectares de se développer à cheval entre plusieurs pays. 

L’idée d’un arbre-monde est présente dans de nombreuses anciennes croyances. C’est le cas de la vieille religion scandinave dans laquelle apparaît le plus noble des arbres, Yggdrasil. Selon la mythologie nordique, le majestueux frêne était toujours vert et reliait 9 mondes entre eux, dont le nôtre. Personne ne sait exactement d’où il vient ni comment sa vie s’arrêtera, mais une chose est sûre : il s’agissait d’un élément crucial de la religion nordique. Les arbres et la nature en général avaient une place importante dans la vie des anciens. 

Un triste constat

Malheureusement, aujourd’hui, ce respect pour les forêts s’est quelque peu perdu. Nous assistons depuis de nombreuses années à la dégradation des forêts dites « vierges » d’Europe. Bien que la tendance soit au reboisement en France, et cela reste une bonne nouvelle, le constat que l’on peut dresser des forêts en Europe est alarmant. La majorité des surfaces forestières sur le vieux continent a été retravaillée par l’homme et la sylviculture. Le paysage a tellement été modifié qu’il est même difficile aujourd’hui de parler de forêts vierges en Europe. Les forêts les mieux préservées de notre continent se trouvent en Scandinavie et surtout en Roumanie et en Pologne mais leur état est inquiétant et ne cesse de s’aggraver. 

Dans un article du journal « Le Courrier », nous apprenons que les forêts vierges situées en Roumanie, qui demeurent parmi les plus anciennes du continent, sont menacées par la déforestation. Là-bas, on parle d’une véritable « mafia du bois » qui sévit durement. En effet, des millions de mètres cubes de bois coupé sont originaires de coupes illégales. C’est un véritable trafic qui s’opère dans cette région. Un trafic combattu par les ONG environnementales et les militants. Mais il ne fait pas bon de protéger la nature en Roumanie. En effet, les défenseurs de ces merveilleuses forêts le payent parfois de leur vie. Le syndicat forestier national a recensé 650 attaques contre des gardes forestiers et six d’entre elles furent mortelles. 

En Pologne, l’état de la forêt de Białowieża, est aussi dans une situation des plus délicates. Le gouvernement y a entamé un vaste projet de coupe avec comme prétexte d’éradiquer un coléoptère qui s’attaquerait aux arbres. Loin d’avoir été convaincue, la Cour de Justice de l’Union européenne a obligé la Pologne à cesser son activité, mais cela n’a guère empêché le gouvernement polonais de prévoir de nouvelles coupes dans les années à venir. 

De quoi parlons-nous ? 

Face à ces menaces, protéger les zones forestières en Europe est devenu essentiel. D’autant plus que celle de Białowieża est considérée comme une des dernière forêts primaires d’Europe.  Ce terme, de même que ceux de “forêt naturelle” ou encore “forêt vierge” est assez débattu chez les experts. En effet, il n’existe pas de définition claire et établie, d’autant plus que les critères pour mesurer la “naturalité” d’une zone sont très nombreux et les avis divergent pour savoir lesquels il faut retenir. Pour Francis Hallé, il s’agit tout simplement d’une forêt qui n’a jamais été abîmée et travaillée par l’Homme, d’où la difficulté d’en trouver en Europe. Il peut aussi s’agir d’une forêt abimée qui a eu le temps de se reconstituer. 

Un projet ambitieux

Dans cette nuée de mauvaises nouvelles, le projet du respecté botaniste apparaît comme un second souffle pour la nature en Europe. Son projet est de faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest qui traverserait plusieurs pays. Pour mener à bien son œuvre, le botaniste français a créé l’association « Francis Hallé pour la forêt primaire » qui regroupe des scientifiques et citoyens engagés. Leur objectif est de réunir toutes les conditions  juridiques, scientifiques et foncières afin de permettre à une forêt primaire de naître à nouveau. Mais concrètement, comment cette forêt va-t-elle se développer ? Dans l’idéal de Francis Hallé, il faudrait ”sanctuariser un ensemble de forêts déjà existantes sur 65000 hectares, soit la superficie de la forêt de Białowieża” et ensuite… Ne rien faire ! Effectivement, pour qu’une telle forêt voit à nouveau le jour, l’objectif serait de la laisser se débrouiller elle-même. Cela signifie qu’il ne faudra pas s’y aventurer pour chasser, récupérer du bois mort et même cueillir des champignons. 

Fin février, une nouvelle étape a été franchie puisque Francis Hallé a été reçu par la Commission européenne afin de présenter les grandes lignes de son plan. Cette rencontre a permis de concrétiser encore un peu plus les idées du botaniste. En outre, le président français Emmanuel Macron a aussi tenu à saluer son engagement et a notamment évoqué l’idée de porter ce projet à l’échelle européenne. Le projet avance donc lentement mais sûrement. La première étape qui consistait en la création d’une association a été achevée. Aujourd’hui, nous attendons des nouvelles de la concrétisation des prochaines phases.  Mais il va encore falloir s’armer de beaucoup de patience… vraiment beaucoup ! Car la reconstitution d’une forêt primaire demande un temps considérable. Il faudra pas moins de cinq à dix siècles pour qu’une forêt de ce calibre voit le jour. 

Comme l’explique Francis , les forêts primaires sont exceptionnelles et n’ont pas grand-chose à voir avec les forêts secondaires, les parcs nationaux ou encore les monocultures de pins dépourvues de vie. Ces splendides sanctuaires naturels peuvent être observés aux Etats-Unis, dans le bassin du Congo ou encore en Nouvelle-Zélande. Il s’agit de gigantesques forêts dont les arbres sont bien plus grands, leur diamètre plus impressionnant et qui regorgent de vie. La flore et la faune y sont extrêmement impressionnantes, elles représentent un haut lieu de biodiversité. La forêt de Białowieża reste le meilleur exemple en Europe ce de type de forêts d’un tout autre calibre qui abrite une surprenante variété d’espèces. En effet, nous pouvons y observer des loups, des lynxs et même des bisons d’Europe, dont la plus grande population se trouve justement là-bas . 

Cette nouvelle forêt qui se situerait en Europe de l’Ouest serait un atout de taille sur le plan scientifique. En effet, à condition de respecter les règles en vigueur citées précédemment, rien n’empêcherait les scientifiques de s’y aventurer. De plus, elle constituerait une formidable opportunité de voir la faune et la flore se développer considérablement en Europe. 

Une opportunité de nous rapprocher

C’est clairement une excellente nouvelle. Nous avons besoin de ce genre de projet, l’Europe en a besoin. A l’heure où les catastrophes environnementales se succèdent, à l’heure où la nature est souvent sacrifiée sur l’autel du profit, il est grand temps de lui redonner le respect que nous lui devons. 

Ce projet n’est pas seulement bon pour l’environnement mais aussi pour l’Union européenne qui traverse depuis quelques années maintenant des phases d’incertitude, de scepticisme et de désaccord. L’Europe a besoin d’un projet transnational favorisant la coopération et  la solidarité interétatique et c’est exactement ce que Francis Hallé a proposé aux Etats membres : une opportunité de travailler ensemble sur un projet environnemental crucial. Un sanctuaire naturel serait l’occasion idéale de souder les liens entre plusieurs pays européens à l’image d’Yggdrasil connectant les 9 mondes.

La crise environnementale que nous traversons est sévère et les dommages dont souffrent les forêts sont désolants. Mais nous pouvons et devons espérer que cette future forêt primaire soit aussi résiliente que l’arbre-monde. Rappelons que même lorsque la prophétie de la fin du monde, à savoir le Ragnarök, s’accomplira, Yggdrasil tremblera, craquera, mais il ne cèdera et ne tombera pas. 

Ismaël Panorios est étudiant en Master 1 en Sciences Politiques à l’ULB

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