Remise du Prix Sakharov: Alexeï Navalny, un modèle pour l’Union Européenne?

27 October 2021 /

4 min

Ce mercredi 20 octobre 2021, Alexei Navalny a été choisi par le Parlement européen pour devenir lauréat du 28è prix Sakharov. Chaque année, ce prix pour la liberté de l’esprit est accordé par l’Union européenne aux actions en faveur des droits de l’homme.

Un militant anti-corruption

Si l’opposant politique du Kremlin a été poussé sur le devant de la scène internationale à la suite de son empoisonnement en août 2020, il était déjà une figure connue dans son pays. Militant, il est très actif sur les réseaux sociaux et mobilise une population en quête de changement. Son combat principal est la lutte anti-corruption, phénomène qui mine le paysage politique russe. Cette lutte lui vaudra d’être emprisonné en janvier 2021, affirmation démentie par le Kremlin qui maintient la version officielle, il est inculpé pour avoir enfreint son contrôle judiciaire (lié à une affaire de détournement de fonds et fraude) lorsqu’il se faisait soigner en Allemagne. En réalité, les motivations de son emprisonnement sont politiques et son traitement différencié. Alexeï Navalny n’hésite pas d’ailleurs à comparer ses conditions de détention à un “remake russe de La Guerre des étoiles” et un camp de concentration. 

La candidature du militant russe au prix Sakharov a été déposée par le PPE, parti majoritaire du Parlement. Il était en lice contre Jeanine Áñez, ancienne présidente par intérim de la Bolivie, et “les femmes afghanes” représentées par 11 femmes impliquées en politique et mises en danger après la prise du pouvoir par les talibans.

La remise de ce prix au dissident russe met en lumière la répression de l’opposition par le Kremlin, les détentions arbitraires et la corruption de la justice russe. Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, félicite cette “reconnaissance du rôle important qu’il (Alexei Navalny) a joué depuis de nombreuses années pour défendre les valeurs de la démocratie et être une voix forte en Russie“.

Un personnage ambigu

Cependant, le portrait d’Alexei Navalny est plus complexe que celui dépeint par les médias au lendemain de l’annonce de son prix. 

Après des débuts en politique plutôt modérés, il se rapproche au début des années 2000, des mouvements nationalistes de tous horizons: néonazis, ultra nationalistes,  monarchistes, orthodoxes radicaux et conservateurs très à droite. à cette époque il compare dans une vidéo le peuple tchétchène à des cafards qu’il faut exterminer. Il a également plaidé pour l’expulsion de tous les “indésirables” ,sous entendu les immigrés, et a soutenu la campagne “Arrêtez de nourrir le Caucase” afin de mettre fin aux subventions de l’Etat dans la région aux tendances indépendantistes. 

Ce n’est qu’à partir de 2008 qu’il s’éloigne des mouvements nationalistes.  Il délaisse alors les problématiques migratoires pour se concentrer sur l’anti-corruption et les inégalités sociales. Sa parole est entendue et suivie sur son blog rassemblant enquêtes et affaires de corruption et de gaspillage des fonds publics. 

Il reste cependant proche  du Kremlin sur certains sujets, et notamment  l’annexion de la Crimée. En 2014, il a déclaré: “La Crimée restera en Russie et ne fera plus jamais partie de l’Ukraine”. En 2015 il publie un billet sur son blog, après les attentats de Paris, critiquant la politique migratoire de l’Europe et blâmant l’“orgie de tolérance envers les islamistes en Europe”. C’est donc un personnage très polémique, et cela joue sur sa cote de popularité. S’ il est très apprécié  par  les moins de 35 ans, d’après le sondage Levada de Janvier 2021, seulement 20% de la population globale le soutient dans ses actions. 

Le 23 février 2021, Amnesty International a décidé de retirer son statut de “prisonnier de conscience”  à Alexei Navalny. L’ONG reconnait les motivations politiques de son emprisonnement et demande sa libération mais elle “ne pouvait plus considérer Alexeï Navalny comme un prisonnier de conscience étant donné qu’il a pris le parti de la violence et de la discrimination et qu’il n’est jamais revenu sur ses positions”. 

Une Europe hypocrite ?

La figure contestée d’Alexei Navalny nous interroge sur les motivations derrière la décision de l’Union. Selon Orhan Pamuk, professeur au College de France, la remise du prix Sakharov illustre l’hypocrisie de l’Union face aux violations des droits humains. Si elle réagit fortement face au Kremlin, elle ferme les yeux sur les dérives turques. La décision du parlement s’inscrit donc plus dans un rapport de force avec la Russie et sert aussi de rappel à la Pologne et la Hongrie sur les valeurs défendues par l’UE.

Alexei Navalny, quant à lui, a réagi à la nouvelle sur son compte Twitter. Il s’est dit honoré et a ajouté : “Je dédie mon prix aux combattants anti-corruption de toutes les sortes à travers le monde: des journalistes aux avocats, des responsables politiques (il y en a certains oui) aux députés et à ceux qui descendent dans la rue pour soutenir ce combat”.


Pour aller plus loin: voir l’article de La Croix sur le destin d’Alexei Navalny

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