Premier débat citoyen de l’Agence spatiale européenne : témoin du changement dans le secteur spatial ?

17 October 2016 /

ESPACE: UNE NOUVELLE ÈRE POUR LA POLITIQUE SPATIALE EUROPÉENNE ?

Le 10 septembre 2016 s’est déroulé le premier débat citoyen de l’Agence spatiale européenne (ESA en anglais). Plus de 1600 citoyens des 22 pays membres de l’Agence ont discuté des futurs programmes spatiaux et de l’espace en général. Cet événement s’inscrit dans un contexte politique marqué par le traité de Lisbonne qui depuis 2009 a inculqué une compétence spatiale à l’Union européenne (UE), modifiant ses relations avec l’ESA. Retour sur ce débat avec Michel Praet, Directeur du bureau des relations ESA-UE de l’Agence spatiale et sur ce qu’il représente dans une Europe post-Lisbonne.

E.O.E : L’ESA existe depuis 1975. Pourquoi choisir de faire ce débat maintenant, 40 ans plus tard ?
M.P. : Tout simplement parce que les temps ont changé. Avant, l’avis des spécialistes sur les lanceurs et les satellites déterminait les programmes de l’ESA. Puis les demandes du monde politique (changement climatique, environnement, agriculture) ont façonné nos programmes. Il nous manquait une troisième étape, l’implication des citoyens. Ce nouveau type d’échange est possible avec l’émergence des réseaux sociaux. Vu que les impôts des contribuables financent des programmes spatiaux, il faut harmoniser l’impact de l’outil spatial sur notre société avec les attentes des citoyens. C’est une forme de démocratie plus aboutie.



E.O.E : Les questions de démocratie sont davantage l’apanage de l’Union européenne ou des Etats. Pourquoi l’Agence s’en préoccupe-t-elle maintenant ?
M.P. : Nous avons des programmes de type exploration ou purement scientifiques qui ne sont pas complètement pris en compte par l’Union européenne. Les citoyens doivent avoir la possibilité de donner leur avis sur l’avenir de nos programmes scientifiques et sur le spatial en général alors que l’UE se concentre sur des besoins spatiaux spécifiques liés aux politiques qu’elle mène.


E.O.E : Ce débat s’insère-t-il dans un contexte de légitimation de plus en plus demandée des dépenses publiques ?
M.P. : Effectivement, nous recevons en moyenne 10 milliards tous les 2/3 ans qui ne sont pas extensibles. Il nous faut répondre à un besoin politique réel, faire un pont entre nos propositions et les attentes des politiques mais aussi des citoyens. Aujourd’hui par exemple, on voit que le climat a pris une importance qui n’existait pas il y a deux ans. En regardant les résultats de la Cop21 et du dernier G20, on se rend compte que deux ans plus tôt on piétinait alors qu’aujourd’hui plus d’une centaine de chefs de gouvernements ont décidé d’actions collectives contre le changement climatique. Or, la moitié des données utilisées proviennent du secteur spatial. Il est aujourd’hui primordial pour l’ESA de mettre l’accent sur un programme qui réponde à ce besoin.

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E.O.E : Depuis 2009, le traité de Lisbonne a doté la Communauté européenne d’une compétence dans le spatial. Quels principaux changements avez-vous observés dans vos relations avec l’Union à partir de ce moment ?
M.P. : Pour la première fois l’UE s’est rendue compte de son déficit en termes de politique spatiale intégrée. Avec le traité, le secteur spatial est maintenant considéré comme transversal à toutes les politiques. Avant, nous menions seuls une politique que l’Union utilisait pour des domaines spécifiques comme l’environnement, l’agriculture, etc. Désormais, nous sommes en dialogue permanent pour mener des stratégies cohérentes. Une déclaration commune sera d’ailleurs signée le 26 octobre 2016 pour établir des politiques spatiales compatibles. Cette avancée est extrêmement riche. Nous pouvons parler aux côtés de l’UE, non pas du spatial à travers le projet Galileo pour le transport ou du projet Copernicus pour l’environnement, mais du spatial au service des politiques de sécurité et de transport en général. La donne s’est inversée. Mais considérer l’espace comme un domaine politique à part entière ne résout pas la question de sa mise en oeuvre effective.



E.O.E : Certains membres de la Communauté européenne estiment que cette mise en oeuvre doit passer par une plus grande intégration de l’Agence au sein de l’UE. Qu’en pensez-vous ?
M.P. : Oui et non. Il faut un dialogue plus important avec l’Union pour construire un pont entre les besoins, les instruments existants et la façon de tout coordonner. Ça n’implique pas nécessairement d’être structurellement plus intégré. Je crois que ça n’a d’ailleurs rien à voir et que ça pollue beaucoup le débat. Le Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) ne fait pas parti de l’UE alors que la recherche nucléaire est un enjeu important pour l’Union. Je crois qu’il faut bien différencier ce que l’on veut et les structures à mettre en place pour l’atteindre. Sans l’ESA, l’espace en Europe n’existerait pas. Pourquoi intégrer une entité préexistante alors que l’Agence permet d’aller plus loin que la Commission européenne qui, en tant qu’administration, n’a pas les instruments pour se projeter autant sur le long terme ?

E.O.E : A quelles mutations du secteur la Communauté européenne et l’ESA ont-elles dû faire face dans l’élaboration de la nouvelle stratégie commune de 2016 ?
M.P. : Le secteur privé a modifié en partie la scène spatiale européenne. Lors de la publication de la première communication de la Commission sur une politique spatiale européenne en 2011, on ne parlait pas de «new space», de SpaceX, ou d’aventure télécoms du privé. Il n’y avait pas les Apple, Facebook, Amazone comme ils ont évolué aujourd’hui. Aujourd’hui, la politique spatiale met l’accent sur la façon de coordonner les entités privées et publiques qui se répartissent les risques financiers des programmes.

E.O.E : Pour finir, selon vous, où se joue la gouvernance spatiale européenne actuellement  ?
M.P. : Pas entre l’Union et l’ESA en tout cas. Elle se joue dans le choix des programmes fait par les États membres de l’Agence. Les programmes votés seront le témoin de leur volonté. In fine ce sont eux qui mettent de l’argent, que ce soit au travers de l’Union européenne que des programmes de l’Agence. C’est donc leur volonté de continuer une politique spatiale qui déterminera la future gouvernance européenne.

Alexandra Perse est étudiante en 2e année de Master en relations internationales à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)

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