Partir pour une vie meilleure, l’exode des croates

08 February 2021 /

6 min

La Croatie a tout pour faire rêver. Avec ses milliers de kilomètres de plages, ses centaines d’îles et ses paysages à couper le souffle, l’ancienne république Yougoslave attire chaque année des millions de touristes. Cependant, de nombreux maux d’ordre démographique affectent ce pays. Au-delà d’une faible natalité, la Croatie connaît un exode tant au sein de ses frontières que vers l’étranger. Comment expliquer ces deux phénomènes précipitant la Croatie vers de plus en plus de problèmes structurels ? Tentative de réponse dans cet article.

États des lieux

Pays de 56594 kilomètres carrés (un peu moins de deux fois la superficie de la Belgique, la Croatie comptait 4,13 millions d’habitants en 2019. Cependant, ce chiffre ne fait que décroitre. Ce phénomène de baisse de la population totale, affectant de nombreux pays d’Europe centrale et orientale, frappe de plein fouet le pays. L’Office national des statistiques croate estime notamment que la population a diminué de 150000 habitants entre 2011 et 2019. Comme cité précédemment, la faible natalité permet d’expliquer cette diminution avec en moyenne 1,4 enfant par femme (2017). Cependant, un autre facteur joue un rôle non négligeable dans cette baisse de la population totale à savoir le solde migratoire négatif. Cet indicateur, calculant la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées dans une zone géographique donnée et le nombre de personnes qui en sont sorties, illustre le déséquilibre entre immigration et émigration en Croatie.

L’émigration n’est pas un phénomène nouveau en Croatie, cependant l’entrée au sein de l’Union européenne a marqué une nette accentuation du phénomène. Cette émigration concerne de multiples parties de la société croate. Nous allons nous concentrer sur deux phénomènes à savoir l’émigration au sein de l’espace rural ainsi que l’émigration des jeunes qualifiés avant de s’intéresser à la destination des émigrants.

Un exode rural

Zadar, Dubrovnik et Split pour les amoureux des plages, Rijeka ou encore Zagreb pour les férus de culture. Nombreux sont ceux ayant déjà visité la perle de l’adriatique, la Croatie. Mais vous êtes-vous déjà aventuré au sein de l’hinterland croate, dans les villages de Slavonie, dans les Krajina ? Si cela est le cas, vous aurez probablement été saisi du contraste entre le monde urbain et rural croate ; entre la Croatie des cartes postales et celle que peu connaissent. Dans ces régions où la situation économique est bien plus difficile avec notamment certains comtés comptant parmi les territoires les plus paupérisés de l’Union européenne, beaucoup décident de partir. Avec des revenus faibles ainsi qu’un manque d’opportunités professionnelles hors des secteurs agricoles, la vie rurale ne fait plus rêver nombre de croates qui émigrent vers les pôles urbains du pays mais également vers l’étranger. L’émigration depuis les espaces ruraux vers l’étranger touche en particulier les comtés de Croatie orientale, de Croatie centrale, du comté de Lika et du Gorski Kotar. Comme illustré par le bureau national de statistique, ces derniers ont connu un ratio d’émigration vers l’étranger supérieur à 1% rien que pour l’année 2016. Cette émigration, synonyme de dépopulation pour ces espaces ruraux et pour les villes de l’arrière-pays, fait redouter le pire aux démographes. Les conséquences pourraient être dramatiques avec une urbanisation excessive des grandes villes croates ou encore une désertification des campagnes avec une aggravation des problèmes socio-économiques déjà existants.

Une jeunesse lassée

Entre 2009 et 2016, on estime à 50000 le nombre de jeunes ayant quitté la Croatie. Ce rythme s’est accéléré depuis 2013 et l’accession à l’Union européenne avec encore plus de départs vers l’étranger. Aujourd’hui, les 15-24 ans représentent le principal groupe au sein des émigrants. Comme pour le monde rural, le contexte économique en Croatie est le principal facteur incitant les jeunes à quitter le territoire. Le phénomène affecte particulièrement les jeunes diplômés. Avec un salaire net moyen de 6500 Kunas (un peu plus de 800 Euros), les jeunes diplômés émigrent en aspirant pouvoir prétendre à des revenus plus élevés. Aussi, la garantie d’accéder à de meilleures conditions de travail ainsi qu’à une plus forte protection des droits des travailleurs incitent bon nombre de ces derniers à tenter leur chance dans un autre pays de l’Union européenne. Enfin, le taux de chômage très élevé qui touche un jeune sur trois ainsi que le manque de perspectives professionnelles n’encouragent pas à rester. Cette émigration de ces jeunes n’est pas sans risque ; la Croatie perdant aujourd’hui sa main d’œuvre la plus qualifiée. Comme nous l’apprend « Libération », ce serait notamment plus de 600 médecins qui seraient partis travailler dans d’autres hôpitaux étrangers depuis l’adhésion européenne. Cependant, de nombreux secteurs sont touchés avec déjà plusieurs pénuries pour certaines professions comme les infirmiers, ingénieurs ou encore les logopèdes.

L’aimant allemand

Le moteur européen attire aujourd’hui de nombreux émigrants des 4 coins de l’Europe du Sud-Est et la Croatie ne fait pas figure d’exception. En effet, la destination de prédilections des émigrants croates au sein de l’Union européenne est depuis des années l’Allemagne. Selon une étude du bureau d’études statistiques croate (CBS), 45,7% des émigrants croates allèrent s’établir en Allemagne en 2010 contre 71,3% en 2013. On estime à aujourd’hui à un peu moins de 400000 le nombre de ressortissants croates vivant au sein de la République Fédérale dont plus de 100000 rien que dans le Land de Baden-Württemberg. Selon la même étude, l’Autriche suit son voisin germanique avec plus de 7,6% et par l’Irlande avec 6,7% du total des émigrants croates au sein de l’Union européenne en 2017.

Un manque de solutions

Cet exode jugé comme grandement défavorable par le démographe Stjepan Sterc au vu de la population déjà « minuscule » de la Croatie (un peu plus de 4 millions d’habitants) a néanmoins été ramené au centre du débat politique depuis 2019. Comme illustré par les nombreuses déclarations alarmistes du Premier Ministre Andrej Plenkovic, les problèmes de démographie et de l’exode croate occupent désormais une place centrale dans l’agenda politique de Zagreb. Cependant, le gouvernement peine à trouver des solutions pour inciter la jeunesse croate à ne plus émigrer. De plus, ce manque d’initiative concrète a impacté l’exécutif croate en son sein. Au début de l’année, Marin Strotma (alors à l’époque chargé des politiques liées à la Démographie, à la famille et à la jeunesse) démissionna en réaction aux mesures prises par le gouvernement D’Andrej Plenkovic jugeant ces dernières comme étant « folkloriques ».

En conclusion, cet exode croate a déjà, comme illustré au fil de cet article, divers impacts. Cependant, les répercussions sur le système économique et social ne vont faire que s’aggraver au fil des années si la Croatie n’arrive pas à inverser la balance. Il devient désormais urgent pour Zagreb d’adopter des politiques favorables aux campagnes et à la jeunesse diplômée afin d’éviter une hémorragie démographique. Une possible solution serait également un assouplissement de la politique migratoire afin de permettre l’immigration d’une main d’œuvre jeune, dynamique et qualifiée pouvant pallier le départ des jeunes diplômées vers l’étranger. Est-ce que Zagreb arrivera à relever sa crise démographique ? L’avenir nous le dira.

Romain Biesemans, Master 2 Sciences politiques

Cet article est paru dans le numéro 33 du magazine.

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