Open Source Politics : le numérique au service de la participation citoyenne en Europe

14 February 2022 /

10 min

Savez-vous que vous pouvez contribuer à la Conférence sur l’avenir de l’Europe directement en ligne comme tout autre citoyen européen ? Si cela est possible, c’est notamment grâce à Open Source Politics (OSP), une jeune entreprise française qui met des plateformes numériques « open source » à disposition des collectivités et institutions. Elle a par exemple mis en place la plateforme numérique de la Convention Citoyenne pour le Climat en France, sur laquelle tous les citoyens pouvaient soumettre des idées. Rencontre avec Valentin Chaput, son co-dirigeant, qui veut donner un nouveau visage à nos démocraties.

Après un parcours dans le monde associatif, Valentin Chaput, Virgile Deville, Olivier Buchotte et Alain Buchotte ont décidé de créer leur entreprise de « civic-tech » en 2016. Leur objectif principal était le développement de nouvelles formes de participation politique chez les citoyens. Les quatre collaborateurs ont souhaité bâtir un ensemble cohérent : Œuvrer pour la démocratie grâce au numérique doit rimer avec « transparence » et ne peut se faire que par l’exploitation d’un programme open source (ou « logiciel libre »). Entendez par-là que le code concocté par les développeurs permettant à la plateforme de fonctionner est public et gratuit : tout le monde peut s’en saisir pour l’analyser ou en créer une version personnalisée. C’est ainsi que Valentin Chaput et ses collaborateurs ont choisi de travailler à partir de la plateforme Decidim développée par la mairie de Barcelone. « Quand on va développer quelque chose pour un client avec Decidim, on est obligé de le rendre public. On s’intègre donc dans un réseau qui est plus large que notre propre entreprise ». 

Open Source Politics est la seule entreprise de civic-tech française qui travaille à partir d’un logiciel libre – donc gratuit – et cela ne les a pas empêchés de trouver un modèle économique viable : « Si un de nos clients veut Decidim il aura juste le code brut. Savoir le déployer, s’en servir et le faire progresser c’est une compétence assez rare », avance Valentin Chaput. La boite de civic-tech propose donc des services à la carte en fonction des projets en alliant expertise technique et conseils en matière de participation citoyenne. Il est ainsi possible de développer de nouvelles fonctionnalités selon la plateforme que le client souhaite mais aussi de recevoir des conseils pour utiliser au mieux le logiciel et améliorer la participation du public. 

Bien loin d’être un frein à leur activité, ce choix de l’open source a séduit les institutions françaises et européennes pour plusieurs projets.

L’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat en France

Après avoir fourni leurs services à de nombreuses communes en France et à l’international notamment dans le cadre de budgets participatifs, OSP a été mandaté pour un projet à bien plus grande échelle : la Convention Citoyenne pour le Climat. Cette assemblée de 150 citoyens français tirés au sort avait pour but d’établir des propositions de mesures politiques concrètes pour lutter contre le réchauffement climatique. Le gouvernement a d’abord souhaité que les 150 tirés au sort ne soient pas influencés par les opinions de l’extérieur afin de délibérer en toute objectivité. Cependant, devant le nombre de réclamations, les organisateurs de la Convention ont missionné OSP pour déployer une plateforme de participation en ligne ouverte à tous. « C’était une démarche différente de ce qui nous était demandé d’habitude. Ils ne voulaient qu’une simple boîte à idées à partir de laquelle on faisait une synthèse de toutes les idées déposées, sans qu’elles ne soient quantifiées : qu’elles soient populaires ou non sur la plateforme, toutes les idées étaient soumises. » Ainsi, conformément aux objectifs de départ, les 150 tirés au sort ne se retrouvaient pas influencés par la popularité d’une idée mais pouvaient analyser chacune d’entre elles objectivement. Valentin Chaput regrette quelque peu que l’organisation de la convention ait décidé de mettre en place cette plateforme au dernier moment. Selon lui, sans la précipitation les idées des citoyens auraient pu avoir une plus grande place dans le processus délibératif. Néanmoins, avec plus de 3600 contributions postées, il reste satisfait de l’expérience : « Sans la Convention Citoyenne pour le Climat on n’aurait peut-être pas fait la Conférence sur l’avenir de l’Europe. L’expérience de la convention nous a inspiré quelques changements dans la démarche de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe : on leur a conseillé [à l’UE] de prendre le temps d’analyser les contributions avant de les soumettre aux citoyens ». 

« C’est aux citoyens de décider ce qu’ils attendent de l’UE et de comment transformer ces attentes en réalité. C’est leur Europe et leur avenir, c’est donc leur Conférence »

Guy Verhofstadt, co-président de la conférence

Cette « conférence des citoyens » a été dotée, avant même son lancement, d’une plateforme numérique participative disponible dans toutes les langues officielles de l’UE. Contrairement à la Convention Citoyenne pour le Climat, l’outil numérique est décrit comme l’élément central de cette conférence dans un communiqué de la Commission Européenne. C’est Open Source Politics qui a été missionnée pour aider la Conférence à construire cette plateforme numérique basée sur le logiciel libre Decidim. « L’originalité de ce projet c’est d’abord son échelle mais c’est aussi son aspect quantitatif : Contrairement à la Convention Citoyenne, il y a tous les sujets possibles couvrant tous les types de politiques européennes » souligne le co-dirigeant de l’entreprise. Pour ce chantier politique gigantesque, l’enjeu est donc de taille : faire participer des citoyens à une échelle dont ils sont souvent déconnectés et les faire participer sur tous les sujets possibles et imaginables. Valentin Chaput est d’ailleurs bien conscient des limites de cette conférence : « On a tout fait pour que la plateforme soit la plus simple possible : On a une idée pour le climat ou le numérique en Europe, on se connecte et on dépose notre idée. Ce qui est plus compliqué c’est tous les freins et les biais que peuvent rencontrer la population avant d’avoir une idée pour l’échelle européenne ».

Beaucoup d’idées mais un problème de représentativité

Le cofondateur de l’entreprise confie que les outils numériques ne peuvent pas être l’unique solution à la démocratie participative. Avant tout car il y a une différence de maîtrise du numérique selon les populations, certaines franges préférant favoriser une participation politique plus classique au travers de débats organisés en physique. Par exemple, dans le cadre du budget participatif d’une commune, on peut imaginer que les jeunes générations préfèrent proposer des projets en ligne quand les plus anciens préfèrent en débattre et voter au travers de réunions organisées. Le numérique est néanmoins un bon moyen complémentaire de favoriser la participation, sans se suffire à lui-même : « Ce qui est intéressant c’est que ça va toucher des personnes qui n’auraient pas participé autrement qu’en ligne » explique Valentin Chaput. L’entreprise est claire sur ce point : si une plateforme numérique permet de connaître un large spectre des idées des citoyens, elle ne permet pas d’avoir une représentativité parfaite. En effet, les outils numériques comportent nécessairement un certain nombre de biais qui font que la somme des participants ne sera pas représentative de la population. A titre d’exemple, Valentin Chaput nous informe qu’il y a une majorité d’hommes qui contribuent pour la Conférence sur l’avenir de l’Europe et ils sont également plus jeunes et plus diplômés que la moyenne. 

En plus de cela s’ajoute une très faible médiatisation de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, comme ça a été le cas pour la Convention Citoyenne pour le Climat en France. Selon le co-dirigeant d’Open Source Politics, les institutions européennes n’arrivent pas à toucher le grand public depuis des années, et les états membres diffusent trop peu l’information : « Aucun journal télévisé n’en a parlé en France ». En effet, il suffit de faire une simple recherche sur internet pour s’apercevoir que ce sujet est le monopole de quelques médias en ligne centrés sur l’Europe. Mais leurs lecteurs font déjà partie de la minorité qui s’intéresse activement à l’Union Européenne, d’où la nécessité du traitement de cette information par les médias grand-public. Ce manque de médiatisation est d’autant plus surprenant dans un pays comme la France qui a impulsé ce projet.

« C’est un apprentissage un peu pour tout le monde »

Malgré les quelques limites que l’on vient d’énoncer, l’Union européenne a fait un grand pas en avant dans son rapport aux citoyens. Selon Valentin Chaput, « c’est la première fois que les institutions européennes ont une telle plateforme, qui plus est, disponible dans toutes les langues. Jusque-là il y avait vaguement un formulaire qui permettait d’envoyer un e-mail. Il y a maintenant des gens dont c’est le métier au niveau des institutions. ». Ajoutons également que la Conférence sur l’avenir de l’Europe articule les points forts de la démocratie participative qui ont connu un succès en France : À travers les panels de citoyen on retrouve le fonctionnement de la Convention Citoyenne pour le climat qui avait très bien fonctionné, débouchant sur 149 propositions concrètes. Combiné à cela, l’Union s’est inspirée du « Grand Débat national » qui avait eu lieu en France en associant la plateforme numérique avec des événements organisés à travers l’Europe afin de favoriser la participation des différentes franges de la population. 

Il ne nous reste plus qu’à nous donner rendez-vous au printemps 2022 pour découvrir le rapport issu de cette conférence. En attendant, vous pouvez encore soumettre vos idées en ligne pour le futur de l’Union Européenne sur futureu.europa.eu

Qu’est-ce que la Conférence sur l’avenir de l’Europe ?

Tout part d’une tribune du président français publiée en mars 2019 qui appelle à mettre en place une « Conférence pour l’Europe » afin que les « citoyens puissent proposer tous les changements nécessaires » aux politiques européennes. Le projet est ensuite porté par la France et l’Allemagne au Conseil Européen avant d’être déployé par les institutions européennes. L’objectif est de sonder les ressortissants de l’Union pour définir une « feuille de route » regroupant  les grandes priorités pour l’Union sur tous les thèmes qui couvrent les politiques européennes (numérique, climat, démocratie, économie, migrations, éducation, etc.). Les citoyens peuvent même proposer leurs idées concernant les traités européens. Ces grandes priorités devront ensuite se traduire en actions concrètes. C’est le 9 mai 2020 qu’a été lancée la conférence, après un report dû à la situation sanitaire.

Fonctionnement des organes de la Conférence

(1) Une présidence tripartite et un comité exécutif représentent les trois institutions principales de l’UE (Conseil Européen, Commission Européenne et Parlement Européen). Ils assurent le bon fonctionnement dans l’organisation de la Conférence.

(2) Les citoyens soumettent des idées en ligne sur la plateforme et dans de nombreuses réunions (en physique) ayant lieu à travers l’Europe (il y en a eu près de 300 en Belgique comme en France).

(3) Quatre panels représentatifs (sexe, pays, âge, lieux de vie) de deux cents citoyens européens sont tirés au sort. Divisés par thèmes, ils proposent des idées et en débattent pour les futures politiques de l’Europe. Ils analysent également les idées de la plateforme et des événements afin de formuler des recommandations qui seront discutées lors de la plénière. Ces panels se réunissent 3 fois chacun et peuvent auditionner des experts.

(4) L’Assemblée plénière rassemble 500 personnes : 20 citoyens de chaque panel, des représentants des institutions de l’UE dont des eurodéputés, des représentants des parlements nationaux et d’autres parties prenantes comme des ONG. Ils débattent des idées des citoyens.

Le rapport final de la conférence sera préparé par le comité exécutif sur la base du travail de l’assemblée plénière et devra être approuvé par celle-ci.
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