Nord Stream 2, un défi pour la politique énergétique européenne

07 March 2019 /

© Construction global

La politique énergétique européenne est encore aujourd’hui discrète et ne fait que rarement la une des grands médias européens et internationaux. Toutefois, les discussions qui ont lieu ce mois-ci autour de Nord Stream 2, projet de gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, font polémique au sein des pays européens, tout particulièrement en Allemagne, en France et en Pologne

Un projet politique avant d’être économique

La construction du pipeline Nord Stream 2 a commencé cet été et devrait entrer en service en 2020. Reliant la Russie à l’Allemagne en traversant les eaux territoriales de cinq pays en mer Baltique, il a pour objectif d’exporter sans intermédiaire du gaz russe directement en Allemagne et chez ses voisins. Son coût est estimé à 8,4 milliards d’euros, en majorité investit par l’entreprise gazière russe Gazprom.

Pour plusieurs opposants au projet dont font partie la Pologne et les pays baltes, il ne se justifie pas économiquement (The Economist, 16 février 2019). Tout d’abord, la capacité des infrastructures déjà existantes et transitant par le continent n’est pas pleinement exploitée. Ensuite, la demande européenne de gaz importé ne devrait pas augmenter dans les prochaines années avec la faible demande actuelle de gaz dans l’industrie, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la part en croissance des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen.

Toutefois, l’Allemagne y voit plusieurs avantages car la trajectoire du pipeline lui permet de réduire les coûts provenant des taxes de transit du gaz, et donc de répercuter les économies sur le consommateur. De plus, le gaz, majoritairement importé de Russie, compte pour 10 % du besoin de production électrique allemand. Augmenter l’importation de gaz lui permettrait de diminuer sa dépendance au charbon, qui représente 38 % de son mix énergétique actuel (Financial Times, 13 février).

L’Allemagne y voit plusieurs avantages car la trajectoire du pipeline lui permet de réduire les coûts provenant des taxes de transit du gaz.

Les craintes autour du projet sont nombreuses. La construction du pipeline, alors même que les autres infrastructures ne sont pas pleinement exploitées, laisse planer un doute quant à l’objectif de la Russie. La Pologne et l’Ukraine craignent que ce soit un moyen de couper l’approvisionnement de gaz du réseau traversant leurs territoires. Ce pourrait être un moyen de mettre la pression à la fois sur l’Ukraine, en conflit avec la Russie, afin de priver le pays de gaz et d’une manne financière importante, et sur la Pologne qui craint pour sa sécurité d’approvisionnement. Ensuite, une infrastructure de cette ampleur est une justification pour le renforcement de la présence militaire russe dans la mer baltique. Cette présence inquiète les pays baltes, qui voient là une menace importante pour leur sécurité. Enfin, alors même que les efforts ont redoublé ces dernières années sur la sécurité d’approvisionnement énergétique, notamment avec la stratégie de l’Union de l’Energie, ce projet risque d’augmenter la dépendance européenne au gaz russe. Les Etats-Unis sont également des opposants au projet et font planer des sanctions potentielles s’il viendrait à aboutir. Ils y voient en effet une menace pour les exportations de gaz américain en Europe.

Ces divergences d’opinion se sont cristallisées au niveau des institutions européennes et un compromis a été trouvé le 8 février 2019 lors d’une séance du Conseil européen.

Un accord de compromis en demi-teinte

Fin 2017, la Commission européenne propose de réviser la Directive européenne sur le gaz. Bien que l’Allemagne ait voulu ralentir le processus de négociation, la Roumanie, qui a la présidence tournante de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2019, a débloqué la situation en demandant un vote.

Une minorité de blocage menée par l’Allemagne s’est constituée au sujet de la proposition de réforme de la directive européenne sur le gaz, défendue par les pays est et nord européens ainsi que par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lui-même, avant la rencontre du 8 février 2019. La France, jusqu’ici discrète sur la question car ne voulant pas afficher frontalement un désaccord avec l’Allemagne, s’est retrouvée forcée de prendre position la veille de la rencontre. La France n’a jamais été convaincue par le projet qui risquait d’aller à l’encontre de la volonté d’indépendance énergétique de l’Union européenne, et qui menaçait des recettes financières importantes pour l’Ukraine (Le Monde, 8 février 2019).

La France n’a jamais été convaincue par le projet qui risquait d’aller à l’encontre de la volonté d’indépendance énergétique de l’Union européenne, et qui menaçait des recettes financières importantes pour l’Ukraine.

La France a soutenu le projet de réforme de la Commission européenne, et l’Allemagne a décidé de négocier un compromis qui a obtenu l’intégralité des votes à l’exception de la Bulgarie (Le Monde, 12 février 2018). Le projet de loi approuvé stipule que toutes les infrastructures d’importations de gaz doivent respecter les règles de l’Union européenne, ce qui implique que les prix soient transparents, que l’accès à l’infrastructure soit garanti à des tiers parties (c’est-à-dire qu’à hauteur de 10 % de la capacité du réseau, d’autres entreprises peuvent utiliser le réseau afin de transporter leur gaz), et plus important, que les infrastructures de transport n’appartiennent pas aux fournisseurs de gaz (Financial Times, 21 février 2019). Le pays d’arrivée devra également faire respecter ces règles. Peter Altmaier, ministre de l’économie allemand, a d’ores et déjà annoncé que ces règles seront mise en place. Ce compromis complique la concrétisation du projet mais ne remet pas en cause son existence.

Le texte doit encore faire l’objet d’une négociation entre le Parlement européen et les Etats membres, mais il ne devrait pas être modifié dans sa substance. C’est une semi-victoire, ou une semi-défaite,  pour la politique énergétique européenne dont l’un des quatre piliers est la sécurité d’approvisionnement.

Tennessee Petitjean est étudiant en 2ème année de master de Relations Internationales à l’ULB.

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