L’Union européenne: Un orchestre sans symphonie

04 February 2022 /

5 min

2021, si l’on peut être perplexe, las même, face au tourbillon médiatique qui ne cesse d’annoncer des défis à venir de plus en plus pressants et prégnants, ces dernières années semblent n’avoir fait qu’apporter de l’eau au moulin de ces prêches funestes. Chaque jour, le doute laisse un peu plus de place à la certitude : les défis d’aujourd’hui et de demain seront globalisés et globalisants. Les situations sanitaire et climatique, désormais hérauts de notre paradigme, exposent clairement la dimension et l’intensité des challenges à relever. Aussi, nombreux sont les citoyens européens escomptant la prise et la gestion de cette responsabilité par l’Union européenne. Mais est-ce seulement possible ? Alors qu’à l’heure où ces lignes sont écrites, la Belgique échoue à formuler un accord intra-belge sur la répartition de ses efforts climatiques. Comment autre chose qu’une cacophonie assourdissante pourrait résonner d’un instrument tenu par 27 “premiers violons” ? C’est une question que nous sommes en droit de nous poser.

Perdue dans un idéalisme irréalisable ?

Construite et rêvée dans les heures les plus sombres de l’Europe, l’Union européenne doit à présent trouver sa place dans le réel. Le momentum euphorique des premières heures de l’intégration maintenant brisé et révolu, l’édifice européen semble pourtant encore être dépourvu des pierres nécessaires à répondre aux exigences de son temps et de son peuple. Manquant de cordes à sa harpe, l’harmonie ne tient trop souvent qu’à un fil qui peut à tout moment être rompu par le seul désaccord d’un de ses membres. L’Union, piégée entre une logique tantôt supranationale, tantôt intergouvernementale, parfois dans une combinaison des deux, ne présente – malgré ses efforts de transparence – qu’un imbroglio illisible pour le citoyen ordinaire. Incapable d’en percer les arcanes, ce dernier ne peut que s’étonner de l’impotence évidente de l’UE face aux crises qui se sont successivement imposées à elle. C’est ainsi qu’un décalage s’est créé entre le récit européen et ses capacités réelles ; entamant sévèrement sa légitimité aux yeux de citoyens qui, désormais désillusionnés, ne voient dans l’Europe qu’un énième voile couvrant les pratiques de bureaucrates avides. Accablée et accaparée par ses propres défis internes de cohérence et de légitimité, l’UE est de fait en train de manquer son rendez-vous avec la réalité. Aussi, l’avenir et le succès de l’Europe comme organisation efficace, comme projet partagé et finalement comme idée d’unité européenne reposent sur sa capacité à préciser ses contours et à combler le fossé entre l’ambition de son discours et ses actions.

L’Union européenne : un discours ambitieux aux nombreux bémols

Et c’est sur les devants de la scène internationale que l’Union est la plus attendue. Alors qu’elle est parvenue à se faire reconnaître comme un acteur de premier plan, chose tout à fait singulière pour une organisation régionale, elle peine malgré tout à garder la note. Chantant à en perdre la voix les cantiques de ses valeurs démocratiques et humanistes, l’Union ne se fait plus pour autant entendre. Ayant plusieurs fois montré les limites de son discours, sa mélodie enchanteresse ne retentit désormais que comme une psalmodie mal venue. En effet, trop timorée dans ses actes, les échecs se sont additionnés au point de faire vibrer sa glace de championne de protection des droits humains et de l’ordre libéral.

La crise migratoire de 2015, notamment, a mis à rude épreuve ce narratif européen : en cause, l’impéritie troublante de Bruxelles à mettre en place une solution coordonnée pour supporter ces âmes en péril, qui ont tout risqué pour découvrir que ce chant de sirène qu’ils ont entendu par delà la mer n’était que chimère. 

Les pusillanimités de l’Europe maintenant exposées, elles ont vite fait d’être instrumentalisées sur l’échiquier international. C’est d’ailleurs dans cette brèche que le dirigeant biélorusse, Alexandre Loukachenko, s’est engouffré. Aux sanctions de l’UE, sa réponse : une crise migratoire artificielle orchestrée de toute pièce pour mettre l’UE face à ses contradictions. Et dans un mépris complet de leurs engagements européens, les autorités polonaises n’ont pas manqué de répondre avec ponctualité aux espérances de Minsk en refoulant les migrants amassés à leurs frontières dans les forêts glaciales et humides du mois de novembre. Une fois encore, l’UE, dans son inaptitude à fonctionner à l’unisson, balbutie et laisse , malgré elle, se créer une situation de détresse humanitaire. Elle donne ainsi l’impression d’avoir sombré dans une certaine torpeur de laquelle ne s’échappent que de trop rares initiatives à la mesure et au tempo maladroit. 

L’instant est pourtant fatidique. Le retrait brusque et désordonné d’Afghanistan décidé par Biden semble confirmer le désengagement des affaires du monde initié par son fantasque prédécesseur. Même s’il n’est pas question pour l’Union de prendre la place du ténor, elle doit néanmoins s’assurer que le vide sécuritaire laissé par le repli américain ne soit pas exclusivement comblé par les puissances au discours subversif telles que la Russie ou la Chine. Autrement, elle prend le risque de voir émerger un nouvel ordre international mettant à mal la pérennité de ses valeurs morales. Seulement voilà, pour participer à ce jeu de pouvoir, il faut… du pouvoir. La crise ukrainienne de 2014 a, a cet égard, ostensiblement illustré les limites européennes en la matière. Les verbes, les sanctions économiques et politiques tous azimuts, et la Crimée ?… Toujours russe, semblerait-il. Hier, Moscou n’a pas fléchi ; aujourd’hui, tout porte à croire que Minsk n’en fera pas davantage.

Il est venu le temps des agréments

L’UE est pourtant un outil formidable de coopération, une puissance économique hors norme, un véhicule de valeurs libérales prodigieux ; malheureusement, elle reste, dans cette forme semi-chaotique, largement inopérante dans un monde de plus en plus en proie aux tensions. Puisque, en effet, pour jouer dans le concert des nations, l’Europe doit pouvoir jouer toutes les notes. 

Toutefois, il ne s’agit pas de faire de l’Union un appareil militariste doté de forces armées propres et déconnectées de toutes réalités nationales. Forces dont elle dispose déjà d’ailleurs, bien que très limitées, et jamais utilisées en raison d’obstacles politiques et techniques. Et c’est finalement de cela dont il est question, de ces nombreux verrous politiques et techniques qui limitent et freinent son action… Dans un monde où les changements sont toujours plus rapides en raison de la numérisation et de la globalisation, la capacité de réponse de l’UE accuse d’un retard qu’il lui faut résorber. Tous attendent qu’elle mène la danse plutôt que de la subir. 

C’est du moins ce qui transpire de ces paroles de la président de la Commission, Ursula Von der Leyen : “Réfléchie, déterminée et bienveillante. Ancrée dans ces valeurs et audacieuse dans l’action.” Un appel qui manifeste une volonté politique d’avancer vers une Union plus apte, plus réactive, sertie d’une réelle crédibilité géopolitique et in fine plus souveraine. Espérons que sa voix fasse écho et que, surtout, l’Union revoit sa partition afin que son modèle trouve le rayonnement qu’il mérite.

Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine

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