L’Union européenne est-elle apte à lutter contre les inégalités de genre ?

28 June 2021 /

6 min

En Europe aujourd’hui, on estime que 22% des Européennes ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, tandis que 43% ont été victimes de violences psychologiques. A cela il faut ajouter que les femmes gagnent en moyenne 16 % de moins que les hommes et ne représentent que 8% des P.-D.G. des plus grandes entreprises de l’Union européenne. Ces chiffres ne sont que des exemples des inégalités de genres qui existent en Europe et à travers le monde. Malgré des mouvements féministes de plus en plus présents dans le débat public, les inégalités de genre persistent en Europe. Pour y remédier, la commission européenne met en place une stratégie visant à les minimiser. Sa mise en place pourrait s’avérer compliquée face à la résurgence de gouvernements conservateurs en son sein et ses compétences limitées sur les questions sociales.

Inégalités de droits et premiers mouvements féministes 

Il existe différents types d’inégalités de genre. Tout d’abord il y a ce qu’on pourrait nommer les inégalités reconnues, de droits. Inscrites dans la loi ces dernières ont été longtemps la norme en Europe en termes de genre. Pourtant dès 1919,  l’implication des femmes qu’entraîne la guerre dans la société, ébranle la domination de droits entre hommes et femmes. En Russie, la révolution communiste s’accompagne de réformes novatrices (égalité des conjoints vis-à-vis des enfants, accord systématique du divorce par consentement mutuel, congé de maternité, accès libre et gratuit à l’avortement), qui seront balayées par la mise en place du régime stalinien. Dans le reste de l’Europe des mouvements féministes s’organisent pour obtenir le droit de vote à l’image du mouvement des suffragettes au Royaume-Uni. Ce droit s’obtiendra également en Hongrie, en Pologne et en Roumanie au cours de l’entre-deux-guerres. Il faudra attendre la seconde guerre mondiale pour que le reste des pays européens octroient le droit de vote aux femmes et que les lois sexistes commencent à disparaître. En France ce n’est qu’en 1975 que la loi autorise les femmes à ne pas vivre au même domicile que leur mari et qu’est voté le droit à l’avortement grâce à Simone Veil alors ministre de la santé.  

Inégalités de faits, libération de la parole et luttes pour l’égalité

Ainsi, si ces inégalités de droit tendent à s’estomper, ces dernières années ont vu l’émergence de mouvements de libération de la parole visant à mettre fin à un autre type d’inégalité, de faits, lié aux rapports inégaux entre hommes et femmes dans la société. Ces rapports inégaux s’expriment notamment au travail. En 2018, la rémunération des femmes était en moyenne inférieure de 15,7 % à celle des hommes au sein de l’Union européenne. De plus, au sein du foyer la notion de charge mentale reflète la pression subie par les femmes. Cette notion introduite par la sociologue Monique Haicault en 1984 et développée par Danièle Kergoat en 1990 décrit la double contrainte « travail et foyer » subie majoritairement par les femmes qui sont responsables de la gestion du foyer et des tâches domestiques en plus de leur propre travail. A cela il faut ajouter les violences physiques et morales. Selon une étude menée par la fondation Jean Jaurès portant sur les violences sexistes et sexuelles au travail, ce sont 60 % des Européennes interrogées qui ont déjà été victimes d’une forme de sexisme ou de harcèlement sexuel au travail au cours de leur vie professionnelle.

Face à ces inégalités, des mouvements de libération de la parole se sont organisés, majoritairement sur les réseaux sociaux, afin de faire apparaître un système de domination jusque-là rendu invisible. En 2017 se lance aux Etats-Unis une campagne de dénonciation des pressions sexuelles exercées sur les femmes à laquelle participent de nombreuses actrices d’Hollywood et personnalités comme Alyssa Milano, Ashley Judd ou encore Taylor Swift. Ce mouvement, initié sur les réseaux sociaux, utilise la formule metoo lancée par Tarana Burke en 2007. Le mouvement s’exporte en Europe où de nombreuses personnalités sont exposées pour agressions sexuelles. La journaliste française Sandra Muller initie le mouvement en France avec le balancetonporc. Les témoignages de violences sexuelles subies par les femmes se multiplient. En 2020, le SciencesPorc dénonce à son tour les violences sexuelles subies par les étudiantes de l’Institut d’études politiques (Sciences Po) en France.

Mise à l’agenda des inégalités de genre à un niveau européen 

Ces mouvements ont permis le libération de la parole face aux violences sexistes mais ont aussi permis d’ouvrir un débat public sur les rapports sociaux de genre. Dès lors, la libération de la parole et le témoignage des dominations vécues ont permis la mise à l’agenda politique des inégalités de faits et pas seulement des inégalités de droits.  Au sein de l’Union européenne, la nouvelle présidente de la Commission Madame Ursula Von der Leyen considère que «l’égalité entre les femmes et les hommes est un principe fondamental de l’Union européenne, mais elle n’est pas encore une réalité ». Afin d’accroître l’égalité de genre, la Commission a élaboré une stratégie pour les quatre années à venir : le EU Gender Action Plan III (2021-2025). Ce dernier se doit de “veiller à ce que la Commission intègre une perspective d’égalité dans tous les domaines d’action de l’UE”  De plus, en réponse aux témoignages de plus en plus importants à travers le monde, ce plan se fixe comme objectif d’étendre les domaines de criminalité aux violences sexistes et sexuelles.

Des disparités dans les différents pays européens 

Cependant  les inégalités de genre en Europe ne sont pas uniformes. L’institut Européen pour l’égalité de genre a mis au point l’indice des inégalités de genre, basé sur 31 indicateurs reflétant le niveau d’emplois, les revenus, la connaissance, le pouvoir, le temps et la santé des hommes et des femmes dans différents pays européens. Selon cet indice qui s’étend de 1 à 100, les 28 pays européens se situent à 67,9 de niveau d’égalité de genre.  Pourtant ce chiffre n’est qu’une moyenne et il est intéressant de noter les importantes disparités qui existent. En effet, en Suède l’indicateur est de 83,8 quand en Grèce il est de 52,2 par exemple.

Il faut aussi prendre en compte le virage conservateur pris par certains gouvernements de pays européens ces dernières années. En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orban multiplie les attaques contre les revendications féministes. En 2018, il annonce sa décision de retirer les « gender studies » de la liste des diplômes jouissant d’une accréditation officielle et donc de supprimer les financements publics de ces études. En 2020, Katalin Novak, ministre de la famille, affirme dans une vidéo publiée sur facebook que les  « les femmes ne doivent pas toujours entrer en compétition avec les hommes », ou « se comparer en permanence avec les hommes en ayant une position et un salaire similaires à eux » alors que l’écart de salaire entre hommes et femmes est toujours estimé à 16%.

L’Europe est-elle armée pour faire face aux inégalités de genre ? 

Ainsi, malgré la mise à l’agenda politique des inégalités de genre au sein de l’Union européenne, ces dernières persistent. Le virage conservateur de certains gouvernements à l’image de la Hongrie et les disparités au sein des pays européens pourraient minimiser l’action menée par l’Union et son EU Gender Action plan III. Indépendamment des actions politiques menées par l’Union européenne, les mouvements sociaux féministes permettent de faire barrage à un recul de l’égalité entre hommes et femmes comme en Pologne avec l’importante mobilisation ayant permis de faire reculer le gouvernement dans son projet d’interdiction totale de l’avortement.  

[Cet article est paru dans le numéro 34 du magazine]

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