L’Union Européenne après la tempête : quel vent saisir?

20 December 2017 /

Défense, Europe sociale, Migrations, Brexit, Union Economique et Monétaire. L’agenda était chargé pour les leaders des Pays Membres de l’Union Européenne, réunis à Bruxelles les 14 et 15 Décembre pour deux jours de Conseil Européen, le dernier de la présidence Estonienne. L’ultime occasion en 2017 pour faire le bilan sur les points d’entente et les divisions, sur ceux qui restent et ceux qui s’en vont, et réfléchir plus concrètement sur ce que sera l’Union Européenne de demain, en essayant avant tout de mettre de l’ordre parmi les débris de la grande tempête.

Respectant le protocole consuétudinaire du sommet, les Chefs d’Etats et de Gouvernement ont défilé l’un après l’autre sur le tapis rouge. Un ‘doorstep’ donnant un avant-gout sur les discussions à aborder durant les différentes rencontres prévues. La Première Ministre du Royaume-Uni, Teresa May, a fait patienter les journalistes. Particulièrement attendue pour la poursuite des discussions sur le Brexit, elle a été la dernière à arriver sur le parterre : une marche un peu trébuchante sur une passerelle qui portera les britanniques à être les premiers à quitter la scène européenne.

L’Europe perd des pièces 

Le Brexit peut procéder à la deuxième phase de mise en œuvre de l’Article 50. Comme déjà anticipé dans les jours précédant le sommet par le Président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, le Conseil Européen a jugé suffisants les efforts fait par le gouvernement britannique, notamment sur les épineuses questions de la frontière Irlandaise, les droits des citoyens, les difficultés sur obligations financières, et sur la transition vers le cadre des futures relations.

La première phase de négociations du Brexit peut donc être considérée comme finalisée, pour bientôt accéder à la définition pratique de l’accord de retrait entre l’Union Européenne et le Royaume Uni. Afin de pouvoir procéder concrètement et rapidement à la séparation, les Etats Membres attendent maintenant la traduction, en des termes légaux, des résultats des négociations politiques du premier ‘round’. May a assuré que malgré les « déceptions » notables vis-à-vis de certains amendements adoptés qui ont affaibli son gouvernement à la veille du sommet, le projet de loi sur le retrait de l’UE à l’examen laborieux de la Chambre des Communes avait bien fait « des progrès ».

Londres a demandé et obtenu qu’on puisse s’avaloir d’une phase de transition après l’entrée en vigueur du retrait. A partir du jour du ‘divorce’ – le 29 mars 2019 – les rapports entre le Royaume Uni et l’UE disposeront ainsi de deux années durant lesquelles tout l’acquis communautaire sera maintenu. Cependant, durant cette période, le gouvernement britannique ne pourra nommer ses représentants au sein de des institutions européennes, n’y participer au processus décisionnel de l’UE. Un format que certains observateurs ont qualifié de « Norvégien ».

Avec l’intention de ne plus participer au marché unique après cette période de transition, l’ingérence de la Cour Européenne ayant été notamment un des principaux arguments de la campagne pro-Brexit, les deux parties doivent donc désormais ouvrir des négociations pour l’établissement d’un nouvel accord en matière de commerce et de coopération économique, touchant également à la lutte au terrorisme, la sécurité, la défense et les affaires étrangères. Lors de la conférence de presse conclusive du sommet, le Président du Conseil Européen, Donald Tusk a prophétisé : la seconde phase du Brexit sera « dramatiquement difficile ».

L’Europe veut pouvoir se défendre

La création de la Coopération Structurée Permanente (CSP) a été le premier effet concret de cette défection. Après avoir été mentionnée par le traité de Lisbonne, il y a 10 ans, elle a été finalement rendue possible grâce aux changements de contexte de politique interne à l’UE dû au Brexit, Londres ayant été son premier opposant, et par l’approche différente prospectée par les Etats Unis envers l’OTAN. A l’exception du Danemark, de Malte et du Royaume-Uni, la CSP a été lancée le 11 décembre dernier par le Conseil de l’Union Européenne.

Le but est de rendre l’UE « un fournisseur crédible de sécurité au niveau global », comme l’a souligné Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. L’UE sera désormais capable de déployer, sous le drapeau européen, des bataillons sur le terrain en scenarios de crise. Une photo solennelle des leaders européens, insolitement côte-à-côte avec les représentants militaires des 25 pays Membres signataires, a figé ce moment dans l’histoire.

Avec ses 17 projets dans le secteur de la défense, la CSP n’entend cependant pas se superposer à l’OTAN, mais plutôt renforcer l’action européenne au sein de l’Alliance Atlantique, en agissant de façon parallèle et coordonnée. Une collaboration majeure est envisagée entre les signataires pour une rationalisation mais aussi un accroissement des budgets militaires. Un programme européen pour le développement industriel dans la défense est prévu pour 2019 et un Fond européen pour la défense est en phase de conception pour 2018.

Envisagée également, une profonde révision du mécanisme Athéna, portant sur le financement des coûts communs des opérations militaires de l’UE, en vigueur depuis 2004 sous le titre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), prédécesseur de la PESCO. Toutes ces dépenses trouveront une place dans le prochain cadre financier pluriannuel, sans pour cela représenter, selon Mogherini, « une militarisation du budget européen ».

L’Europe se voit sociale, éduquée et multilingue

Les leaders européens ont eu l’occasion par ce Conseil Européen de réaffirmer l’intention de donner une force politique majeure à l’accord interinstitutionnel sur le Socle européen des droits sociaux, signé à Göteborg le mois dernier. Cher au Président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker a souligné que celui-ci « ne doit pas rester un recueil de poèmes », mais servir de base pour des engagements concrets des Pays Membres. Par la même occasion, il a réaffirmé que la Commission va bientôt adopter un texte pour l’institution d’une Autorité du travail. Les mesures de ce paquet sont aussi présentes dans la déclaration conjointe des trois Présidents sur les initiatives envisagées pour la période 2018/2019 par le triangle institutionnel, signé à l’occasion de ce dernier sommet afin de donner une vision plus claire sur les prochaines actions législatives en vue.

Les dispositions en matière d’Education et de Culture, abordées pendant les discussions en Suède, ont été plus clairement formulées par ce Conseil Européen. Les chefs d’Etat et de Gouvernement ont demandé de renforcer la mobilité et les échanges universitaires, en appelant à un prolongement et approfondissement du programme Erasmus +. Une coopération stratégique entre universités européennes est souhaitée pour créer une vingtaine d’‘Université européennes’, permettant aux étudiants d’obtenir un diplôme en combinant leurs études dans différents pays et créer des pôles de recherche continentale. L’institution d’une ‘carte étudiante européenne’ veut aussi accroitre la mobilité des milieux estudiantins, qui favoriserait la participation à des activités culturelles transnationales, et encouragerait d’avantage l’apprentissage de plusieurs langues européennes. Les leaders ont enfin décidé que 2018 sera l’Année européenne du patrimoine culturel, avec l’espoir que celle-ci puisse renforcer un sentiment européen qui, aujourd’hui, peine à percer face à un sentiment d’appartenance résolument national des citoyens d’Europe.

L’Europe reste divisée

Bien plus difficiles furent les discussions vis-à-vis de la question des migrants et de l’Union Economique et Monétaire (UEM). Affrontées de manière ouverte et sans conclusions officielles, elles ont permis aux Etats Membre de discuter franchement sur les problématiques à la source des divergences actuelles, pour comprendre sur quoi trouver le consensus. Une division qui a été tracée de façon emblématique par le Président du Conseil Européen Donal Tusk : une frontière « Est-West » sur le thème migration et « Nord-Sud » sur le plan de l’UEM.

A l’occasion du premier Sommet de la zone euro depuis 2015, en sa version ‘all inclusive’ comprenant tous les pays sauf le Royaume-Uni, les participants ont débattu du renforcement de l’Union Economique et Monétaire. Dans cette optique, les leaders européens ont discuté d’un dispositif de soutien commun mis en place dans le cadre du Fond de résolution unique, pouvant fournir des crédits via le Mécanisme européen de stabilité. Ce dernier devrait par ailleurs évoluer en un véritable Fond monétaire européen, chargé de s’occuper des éventuels prochains sauvetages financiers. Ensemble avec l’achèvement d’une Union bancaire qui puisse garantir une réduction et partager les risques par un système européen d’assurance dépôts, l’UE se rendrai plus résiliente selon certain.

C’est surtout sur possibilité de donner une capacité budgétaire à la zone euro et de créer un Ministre européen de l’Economie et des Finances que les Etats Membres se sont vu divisés, particulièrement par les positions fermes des Pays Bas, de la Finlande et de l’Autriche. Les leaders des Etats Membres ont ainsi décidé de reporter les discussions à mars. Dans une conférence de presse conjointe entre Allemagne et France, le Président Français Emmanuel Macron a souligné que l’ « on a besoin d’une Allemagne forte » afin de poursuivre les discussions, en faisant allusions aux difficultés d’Angela Merkel quant à la création d’une coalition stable pour un nouveau gouvernement. Une « discussion politique stratégique » se voit nécessaire en mars, pour arriver en juin à une roadmap définissant les « prochains cinq-dix ans ». « C’est le temps des reformes », a ajouté la Chancelière, en incitant à progresser maintenant que la crise se fait moins contraignante.

La position de Tusk par rapport aux redistributions des migrants sous forme de quotas, définis comme « diviseurs et inefficaces », a exaspéré les divisions des Etats sur ce thème, très délicat pour les opinions publiques nationales. D’un côté, les gouvernements Italien, Français et Allemand sont convaincus qu’ « il ne peut pas y avoir de solidarité sélective parmi les Etats Membre », comme l’a souligné la Chancelière allemande. La Commission Européenne a également affirmé soutenir une position « fermement en désaccord » avec les affirmations du Président du Conseil Européen. En appui aux affirmations de Tusk, les Visegrád 4, c’est-à-dire la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et la Hongrie, faisant front commun sur le rejet du système de quotas. Les V4, qui ont jugé les derniers progrès en Libye comme positifs, ont mis sur la table quelques 37 millions d’euros pour contribuer à la « défense des frontières externes et le combat aux causes profondes » du phénomène migratoire, a soutenu le Président Hongrois Viktor Orban.

La modification du système Dublin, actuellement en discussion, sera très difficile dans ce contexte de divisions. Le Président du Parlement Européen, Antonio Tajani, a exhorté de son côté au respect de la déclaration conjointe signée par les institutions du trilogue, basée sur la proposition de la Commission et les amendements du Parlement. Le représentant de la chambre européenne a incité de façon ferme à « respecter le Parlement » dans le cadre de la modification du règlement, et voit comme « inacceptable » que la réforme puisse se faire d’une façon autre que par la méthode communautaire régissant la matière. Les traités prévoient ainsi une majorité qualifiée au niveau du Conseil, et non pas l’unanimité intergouvernementale : en arriver à une bataille politique de veto, ne serait selon lui pas un bon message pour les citoyens européens, qui attendent de Bruxelles des réponses concrètes et applicables.

L’Union Européenne regarde donc vers l’horizon, sans y voir encore tout-à-fait clair. Les questions introspectives ouvertes par le Livre Blanc sur les scenarios possibles pour le futur de la Communauté attendent d’être plus précisément adressées par les leaders européens. L’année à venir pourrait se révéler cruciale. Consolider la quille du navire, prendre le gouvernail et retrouver le cap est maintenant d’importance primordiale pour éviter d’égarer d’autres morceaux du bateau, d’embarquer davantage de l’eau mer, et naufrager dramatiquement sur les côtes de la Méditerranée sous les yeux impassibles des nationalismes populistes.

Marzio P. Rotondò est étudiant du Master de spécialisation de l’Institut d’Etudes Européennes de l’ULB et Journaliste 

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