L’indépendance énergétique européenne : un projet utopique ?

11 April 2024 /

6 min

Cette dépendance crée une vulnérabilité géopolitique.

Cet article a été publié dans notre 39ᵉ magazine.

Alors que l’Europe cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement en énergie et à réduire sa dépendance à l’égard de fournisseurs externes, les résultats des élections européennes auront un impact significatif sur la formulation des politiques énergétiques. Dans le contexte actuel, examinons de plus près comment les élections européennes influencent la dépendance énergétique de l’Europe.

La géopolitique de l’énergie en Europe

L’Europe, actuellement, dépend fortement des importations d’énergie pour répondre à ses besoins croissants. Les principaux fournisseurs d’énergie de l’UE incluent la Russie, les pays du Moyen-Orient et certains États membres de l’OPEP. Selon les données officielles d’Eurostat, l’Union européenne a importé 56 % de son énergie totale en 2021. La Russie a contribué à l’apport d’environ 28% des importations de l’Union Européenne de pétrole non-raffiné, 44% des imports de gaz naturel, et 52% des combustibles fossiles. Cette dépendance crée une vulnérabilité géopolitique. Les fluctuations des relations internationales peuvent directement affecter la stabilité de l’approvisionnement énergétique, ainsi qu’augmenter la volatilité des prix. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe a tenté de réduire cette vulnérabilité liée aux hydrocarbures russes, notamment celle liée au gaz, pour essayer de freiner la montée affolante des prix énergétiques. Dès 2022, l’objectif a été de baisser de deux tiers les importations par l’Union Européenne de gaz provenant de Russie

 Influence des élections sur les politiques énergétiques

Les élections offriront une plateforme permettant aux partis politiques de présenter leurs visions et leurs engagements en matière de politique énergétique. Les citoyens européens ont, ainsi, l’occasion de choisir des représentants dont les positions reflètent leurs préoccupations en matière d’énergie, tout en déterminant la position de l’Europe sur la scène énergétique mondiale. Certains partis pourraient plaider en faveur d’une transition énergétique accélérée vers les énergies renouvelables, réduisant ainsi la dépendance aux combustibles fossiles, comme cela a été la plupart du temps le cas durant le dernier cycle politique européen. D’autres pourraient cependant soutenir des partenariats renforcés avec des pays producteurs de pétrole et de gaz, accentuant potentiellement la dépendance envers ces ressources.

L’équilibre entre diversification et dépendance

La diversification des sources d’approvisionnement énergétique est souvent au cœur des débats électoraux. Certains partis pourraient envisager de promouvoir l’idée d’une stratégie visant à augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, tandis que d’autres pourraient insister sur l’exploitation responsable des ressources nationales et internationales, y compris les hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. L’équilibre entre la diversification et la dépendance est délicat, et les résultats des élections peuvent influencer la manière dont cette balance est atteinte.

Durant l’actuel cycle politique européen, la commission a mis en place un nouveau plan intitulé RePowerEU. L’objectif de ce plan est de mettre fin à cette dépendance et d’intensifier l’utilisation des énergies renouvelables d’ici à 2027. La somme de ce plan est estimée à plus de  210 milliards d’euros. Ce dernier se concentrera sur quatre secteurs : l’innovation, l’investissement durable, l’inclusion sociale et la création d’emplois. 

Une des conditions pour avoir accès à ces fonds, est  qu’au moins 30 % de ces nouveaux emplois impliqués contribuent à rendre la zone européenne neutre en carbone. La Commission souhaite – grâce notamment et principalement à l’énergie solaire et éolienne – « permettre à l’Europe de se passer totalement des hydrocarbures russes ‘bien avant 2030’ ». La stratégie sera ainsi double: la diversification de l’approvisionnement en gaz de l’UE pour remplacer les importations russes à court terme, et l’intensification du déploiement des énergies renouvelables et des mesures d’économie d’énergie à long terme”.

Par la suite, en mars de cette année, les États membres et députés ont convenu de passer la part des renouvelables dans le mix énergétique européen pourcentage de 22 % à 42,5 %. Cette transition du simple au double permettra de diminuer les émissions de CO2 et éviter l’utilisation du gaz russe. 

Selon une étude de l’Institut de Potsdam sur l’impact climatique, l’Europe a la capacité d’atteindre l’indépendance énergétique dès 2040, à condition qu’elle investisse 2.000 milliards d’euros dans les énergies renouvelables d’ici la fin de la décennie. Le budget est considérable, mais possible sachant par exemple qu’en 2023 seulement les États Membres ont dépensé 729 milliards d’euros supplémentaires pour protéger leurs citoyens de la crise énergétique causée en grande partie par l’invasion en Ukraine. Pour rappel, à la suite de l’invasion russe en Ukraine, l’Union européenne a imposé à la Russie de multiples sanctions. La Russie a, en réponse, diminué de près de 80% le débit de ses gazoducs en direction de l’Europe.

Une Europe Unie, mais pas sur tout 

Les politiques adoptées par les membres de l’Union Européenne, qui sont autonomes en matière de sources d’approvisionnement et de mix énergétique, déterminent également l’indépendance énergétique globale. D’après les données d’Eurostat, il existe une grande variabilité du taux de dépendance énergétique entre les pays de l’Union, allant de 97 % pour Malte à 1,4 % pour l’Estonie. Certains États ont su réduire leur dépendance grâce à un mix énergétique plus largement basé sur les énergies renouvelables, comme la Finlande ou l’Estonie. D’autres au contraire ont vu leur dépendance s’accroître à cause par exemple du déclin envers l’énergie nucléaire ou des énergies fossiles nationales commençant à se faire plus rares, comme par exemple la Pologne ou le Danemark. 

Le niveau gouvernemental n’est cependant pas le seul niveau de pouvoir pouvant mener à l’action. Ainsi, il est crucial de faire participer les citoyens à la conception et à la réalisation de ces projets en leur donnant la possibilité de participer, de consulter et de co-investir. Une participation plus accrue de ces acteurs au sein des projets permettrait de développer l’acceptabilité citoyenne envers ces projets qui sont parfois porteurs d’oppositions, que cela soit sur des fondements esthétiques ou environnementaux.

La sécurité au centre des préoccupations

La sécurité énergétique est une priorité constante pour l’Union européenne. Les citoyens européens souhaitent s’assurer que leurs besoins énergétiques soient satisfaits de manière stable et durable. Les résultats des élections peuvent donc influencer la manière dont les gouvernements européens abordent cette question cruciale, que ce soit par le biais de politiques visant à renforcer les infrastructures énergétiques, à diversifier les sources d’approvisionnement ou à encourager l’efficacité énergétique. Les futurs eurodéputés devront cependant travailler avec des législations importantes qui ont été établies avant leur arrivée avec des objectifs de long-terme, comme le « Fit for 55 package » mis en place pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 et avec pour finalité l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. 

Changer ses sources d’approvisionnements et types d’énergie prend du temps. C’est une transformation graduelle qui peut néanmoins  être  à l’aide d’efforts et d’investissements venant de tous niveaux, tant bien européen, que national, ou local. L’Europe doit prendre ce train d’indépendance énergétique tant qu’il est en marche et saisir l’opportunité de devenir leader mondial de la transition énergétique, domaine jouant un rôle clé dans la transition climatique. Il faudra d’une part utiliser le savoir-faire, les technologies et l’expérience réglementaire que l’Union Européenne possède pour développer cette transition, mais aussi servir d’exemple sur la scène internationale.

En conclusion, les élections européennes à venir exerceront une influence significative sur la géopolitique de l’énergie en Europe. Les résultats de ces élections détermineront les orientations politiques, les priorités et les engagements des gouvernements européens en matière d’énergie. La dépendance énergétique de l’Europe est un enjeu complexe qui nécessite une approche équilibrée entre diversification des sources et relations avec les principaux fournisseurs. Ainsi, les électeurs européens jouent un rôle crucial dans la définition de la trajectoire énergétique du continent, et ce nouveau cycle électoral offre une opportunité pour remodeler la politique énergétique européenne pour répondre aux défis actuels et futurs.

Théo Lefèbvre est étudiant en Master de Spécialisation interdisciplinaire en Études Européennes.

(Edité par Léa Thyssens)

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