L’impératif du multilinguisme : l’Europe peut-elle se permettre d’ignorer la diversité linguistique ?

29 February 2024 /

7 min

La diversité linguistique est un atout précieux et la protection des langues nationales est une exigence fondamentale de l'agenda politique européen.

La maison européenne évoque la coexistence d’identités multiples au sein de l’Union européenne (UE), représentées par les citoyens des différents États membres. La diversité culturelle et linguistique est une caractéristique de l’UE dans laquelle le concept de multilinguisme apparaît comme une réponse cruciale à la question linguistique de l’Union. Bien qu’il ne soit pas explicitement mentionné dans les traités fondateurs, le multilinguisme est un principe implicite qui imprègne l’UE, essentiel pour une société inclusive et démocratique. 

La diversité linguistique est un atout précieux et la protection des langues nationales est une exigence fondamentale de l’agenda politique européen. Cette valeur est particulièrement pertinente dans la perspective des élections européennes de 2024, car l’Union est considérée comme une sorte de “famille” qui permet à ses membres de préserver leur patrimoine culturel et linguistique. Cette politique linguistique ne concerne pas seulement les États membres actuels, mais aussi les futurs  États membres qui, lors de leur adhésion à l’UE, déclarent laquelle de leurs langues deviendra officielle. Cette politique reflète le désir des citoyens européens de conserver leur identité culturelle et linguistique, même dans un contexte d’intégration européenne croissante. Le principe “Unie dans la diversité”, inscrit dans le traité de Lisbonne, a incité l’UE à mettre en œuvre une politique linguistique solide qui valorise et promeut la riche variété du continent. 

Cet engagement en faveur du multilinguisme se traduit par trois objectifs principaux : promouvoir l’apprentissage des langues et préserver la diversité linguistique ; garantir l’accès des citoyens à la législation, aux procédures et aux informations de l’UE dans leur propre langue ; et favoriser une économie multilingue qui facilite la mobilité de la main-d’œuvre au sein du marché unique. Ces objectifs reflètent l’importance stratégique que l’UE attache au multilinguisme, non seulement en tant qu’expression de l’identité culturelle, mais aussi en tant que moyen de promouvoir l’inclusion sociale et l’efficacité économique.

Le multilinguisme en tant que priorité institutionnelle : le rôle central du Parlement européen et des institutions de l’UE

Le multilinguisme est une priorité institutionnelle au sein de l’Union européenne (UE). Le Parlement européen et ses institutions jouent un rôle central dans sa promotion et sa mise en œuvre. La fonction législative de l’UE et l’implication directe des citoyens dans ses affaires montrent la nécessité d’utiliser plusieurs langues officielles, ce qui la distingue d’autres organismes internationaux tels que l’ONU ou l’OTAN. Cet engagement découle de la volonté de garantir aux citoyens l’accès aux documents officiels et de leur permettre de communiquer avec les institutions européennes dans leur propre langue, conformément au principe de participation démocratique. 

Le Parlement européen s’engage activement à promouvoir le multilinguisme dans tous les aspects de son travail, comme le prévoit son règlement intérieur. Chaque membre du Parlement européen a le droit de lire et d’écrire les documents parlementaires, de participer aux débats et de s’exprimer dans sa langue officielle. Les documents parlementaires sont publiés dans toutes les langues officielles de l’UE, en reconnaissant l’importance de chaque langue.

Les services linguistiques de l’UE sont essentiels pour une communication efficace au sein de l’Union et avec le reste du monde. Il convient toutefois de souligner que le multilinguisme va au-delà de la simple traduction et de l’interprétation. Il soulève des questions plus complexes concernant l’égalité linguistique, c’est-à-dire la question de savoir si toutes les langues ont le même poids et le même statut. 

Bien qu’il existe des politiques visant à promouvoir et à renforcer le multilinguisme, il n’existe pas de mécanisme pratique permettant d’accorder un statut égal à toutes les langues. Bien que chaque citoyen ait le droit de parler sa propre langue, l’égalité linguistique effective reste un objectif à atteindre.

L’égalitarisme linguistique dans l’UE : entre politiques, réglementations et perspectives

L’analyse de l’égalitarisme linguistique révèle la nécessité d’accorder plus d’attention à l’utilisation équitable des nombreuses langues officielles et de travail au sein de l’Union européenne (UE). La politique définie dans les traités de l’Union européenne, qui stipule que toutes les langues des États membres doivent être considérées comme des langues officielles et de travail, s’aligne sur les principes de  la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Cette Charte interdit la discrimination linguistique et promeut l’égalité de traitement pour toutes les nations européennes.

L’UE continue donc de renforcer son engagement en faveur de la protection et de l’amélioration des droits des minorités nationales et linguistiques, en suivant une longue tradition d’actions et de résolutions. Parmi celles-ci, la résolution adoptée par le Parlement européen le 17 décembre 2020, concernant le “Minority SafePack – un million de signatures pour la diversité en Europe”, représente un tournant important. Cette initiative, soutenue par plus d’un million de citoyens européens, reflète un soutien populaire clair en faveur d’initiatives concrètes visant à promouvoir la diversité culturelle et linguistique sur le continent. 

La résolution du Parlement européen souligne l’importance de protéger et de soutenir les langues régionales et minoritaires, ainsi les droits qui en découlent, considérées comme un élément indispensable de la richesse culturelle de l’Europe.

La résolution demande à la Commission européenne et aux États membres d’examiner sérieusement les demandes formulées par l’ICE Minority SafePack, en proposant des mesures législatives conformes aux traités de l’UE et au règlement relatif à l’initiative citoyenne européenne. Elle marque l’importance d’agir conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, tout en garantissant le plein respect des droits fondamentaux des personnes appartenant à des minorités. En outre, la résolution met en lumière le phénomène croissant des crimes et des discours de haine dirigés contre les minorités nationales et linguistiques en Europe, soulignant la nécessité urgente de combattre le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans toutes leurs manifestations. 

Parallèlement, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte linguistique du Conseil de l’Europe sont des instruments juridiques importants pour la défense et la promotion des langues minoritaires. Ces documents reconnaissent la valeur des langues minoritaires en tant qu’élément du patrimoine culturel européen et établissent des normes pour protéger les droits linguistiques des minorités. 

En résumé, l’engagement de l’UE et de ses États membres en faveur de la promotion de la diversité linguistique et culturelle reflète un principe fondamental d’égalité et de respect des droits fondamentaux, contribuant ainsi à préserver l’identité et la richesse de la communauté européenne.

Relever les défis du multilinguisme dans l’UE : réglementations, idéaux et réalités

L’Union européenne a fait de l’apprentissage des langues une priorité stratégique pour accroître la compétitivité mondiale et promouvoir la cohésion sociale sur le continent. Des programmes clés tels qu’Erasmus jouent un rôle essentiel dans la promotion de la mobilité internationale des étudiants et des jeunes professionnels . Cela permet non seulement d’améliorer les compétences en communication des citoyens européens, mais aussi leur compréhension interculturelle. 

L’UE s’est engagée à faire en sorte que chaque citoyen soit en mesure de maîtriser au moins deux langues en plus de sa langue maternelle. Des investissements importants sont consacrés à la recherche et à l’innovation dans le domaine des technologies linguistiques, avec des programmes tels que Horizon Europe et Digital Europe, pour surmonter les barrières linguistiques et faciliter la communication multilingue.

Récemment, lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en mai 2022, l’UE a adopté des initiatives visant à promouvoir le multilinguisme dès le plus jeune âge. Ces initiatives comprennent la protection des langues minoritaires et la création d’un organisme européen dédié à la diversité linguistique. Il est envisagé d’introduire l’apprentissage obligatoire d’une langue de l’UE autre que la sienne dès l’école primaire. Ces efforts reflètent l’engagement de l’Union  à préserver et à promouvoir la diversité linguistique en tant que partie intégrante de l’identité européenne et en tant que ressource fondamentale pour faire face aux défis mondiaux du 21e siècle.

Respecter la diversité linguistique : perspectives et défis pour l’UE

Le chemin vers une véritable égalité linguistique au sein de l’Union européenne est parsemé de défis complexes et inhérents. La domination inévitable de certaines langues, telles que l’anglais, le français ou encore l’allemand, dans les sphères administratives et décisionnelles de l’UE tend à marginaliser les autres langues officielles de ses États membres, alimentant ainsi un cercle vicieux dans lequel les langues minoritaires luttent pour émerger et gagner en visibilité et en reconnaissance. 

Le  coût et les limites pratiques associés à la traduction dans les 24 langues officielles de l’UE nécessitent des ressources financières considérables et entraînent des retards et des restrictions susceptibles d’entraver l’accès équitable et complet à l’information pour les citoyens parlant des langues moins répandues.  Violant ainsi les principes fondamentaux d’égalité et d’inclusion sur lesquels l’Union européenne est fondée.

Bien que les valeurs de la diversité linguistique et de l’égalité formelle soient inscrites dans les documents officiels de l’UE, la réalité sur le terrain est encore loin de l’idéal proclamé. Les disparités en matière d’utilisation des langues et d’accès aux ressources linguistiques persistent. Ce qui prouve que l’objectif de l’égalité linguistique reste ambitieux et n’est pas pleinement réalisé voir réalisable. Pour relever ces défis, les institutions européennes et les États membres doivent s’engager concrètement à mettre en œuvre des politiques linguistiques inclusives et durables, à investir davantage dans les ressources linguistiques, à promouvoir l’apprentissage des langues minoritaires et à garantir à tous les citoyens européens, quelle que soit la langue qu’ils parlent, un accès réellement équitable et égal à l’information et aux opportunités.

Dans ce contexte, on se demande : Quelles mesures concrètes les institutions européennes et les États membres peuvent-ils prendre pour transformer l’idéalisme de la diversité linguistique en réalité tangible, garantissant un accès équitable et égalitaire aux ressources linguistiques et aux opportunités pour tous les citoyens européens ?

Luca Maicon Vinicius Bellavia est étudiant à l’Institut d’Études Européennes.

(Edité par Léa Thyssens)

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