Les nouvelles routes de la soie : une Europe désunie dans la diversité ?

25 February 2020 /

7 min

UE et Chine

Cet article a initialement été publié dans l’édition n°31 du magazine Eyes on Europe.
 
L’Union européenne et la Chine sont aujourd’hui deux des plus grandes puissances mondiales et constituent, l’une pour l’autre, des marchés de tout premier plan. Compte tenu de la volonté chinoise de (re)devenir pour le centenaire de la révolution de 1949 le centre névralgique du monde, un bras de fer a lieu entre les deux puissances. L’Europe ne semble pourtant pas avoir forcément la main dans ce jeu. Les nouvelles routes de la soie, initiées en 2013 par Xi Jinping, en sont un exemple concret.
 

Relations sino-européennes : partenariat stratégique ou rivalité systémique ?

Depuis la fin des années 70 et l’ouverture de la Chine à l’économie mondiale, la position européenne à l’égard de ce pays a toujours été empreinte à la fois de méfiance et d’intérêt. D’une méfiance d’abord envers la nature ambiguë de son système politique qui, tout en arborant une dictature fondée sur des principes marxistes, semble désormais acquis aux préceptes du capitalisme libéral. C’est cette duplicité et cette forme d’opportunisme chinois qui, aujourd’hui encore, nourrissent une certaine méfiance. A cet égard, cette célèbre phrase de Deng Xiaoping, ancien président chinois, illustre bien cette ambivalence : « Peu importe que le chat soit noir ou blanc du moment qu’il attrape des souris ». Ainsi, les principes idéologiques importent peu pour les leaders chinois du moment que leur pays attire les investisseurs étrangers et se donne les moyens de (re)devenir au plus tôt le centre du monde. A côté de cela, l’Europe en général a toujours accueilli avec intérêt les perspectives économiques ouvertes par la Chine, nouvel atelier du monde, qui sut, en un laps de temps jamais vu dans l’histoire, se hisser au rang de grande puissance économique.

L’Union a, peut-être naïvement, toujours qualifié la Chine de ‘partenaire’

Les relations entre l’Union européenne et la Chine n’ont cependant jamais été sans vagues. Le refus européen d’accorder à la Chine le statut d’économie de marché, l’application usuelle de mesures antidumping envers elle ou encore l’embargo sur les ventes d’armes n’en sont que quelques exemples. Malgré ces difficultés, l’Union a, peut-être naïvement, jusqu’il y a peu toujours qualifié la Chine de ‘partenaire’. L’année 2019 fut cependant un tournant majeur à cet égard. En effet, la Commission européenne qualifia pour la première fois la Chine de ‘rival systémique’. Si cette appellation fut en Chine assez mal accueillie, beaucoup virent en elle un réveil européen, une rupture avec l’ancienne approche plus douce, certains diront moins entreprenante. C’est en tous cas un changement de ton que l’histoire des relations sino-européennes retiendra, qu’il fut suivi d’actes significatifs ou pas.
 

Les nouvelles routes de Xi Jinping

C’est en 2013 que le président Xi Jinping présenta les fameuses nouvelles routes de la soie. Si d’abord ses déclarations à cet égard passèrent plutôt inaperçues, les nouvelles routes devinrent rapidement l’outil principal de l’expansion chinoise à l’étranger et l’objet d’intérêts économiques majeurs pour de nombreux pays. Ces routes, nommées plus techniquement ‘Belt and Road Initiative’ forment un ensemble de liaisons maritimes, routières et ferroviaires serpentant principalement à travers l’Asie, l’Europe et l’Afrique bien que le projet en lui-même ne connaisse pas de limites géographiques.
En réalité, cette initiative consiste en des investissements massifs dans le développement d’infrastructures de transports le long de différentes voies de passage et vise, selon la Chine, à atteindre plusieurs objectifs clairs. En effet, il aspire tout particulièrement à renforcer la connectivité entre les pays participants et à promouvoir ainsi leur coopération dans tous les domaines. Ce grand marché prétend ainsi travailler à l’établissement d’une croissance durable et à la création d’un environnement favorable à l’innovation. Ce processus d’intégration régionale est donc présenté par les Chinois comme un projet dont les résultats devraient bénéficier de manière égale à l’ensemble des pays y prenant part.
 

L’Union, en preux chevalier libre-échangiste, voit d’un bon oeil l’amélioration de la connectivité économique

 

L’Europe partagée entre intérêt et méfiance

La position européenne à l’égard des nouvelles routes de la soie a toujours été très volontariste. L’Union, en preux chevalier libre-échangiste, voit d’un bon oeil cette amélioration de la connectivité économique et souhaite qu’elle et ses entreprises y jouent un rôle actif. La participation à ce projet ne va cependant pas sans conditions. En effet, celle-ci devrait coïncider pour les dirigeants européens avec la négociation d’accords assurant le caractère gagnant-gagnant du projet. Avancer sur la question de la réciprocité de l’accès des entreprises européennes au marché chinois reste pour l’Union primordial. En effet, de grandes parties de l’économie chinoise restent encore aujourd’hui difficilement accessibles aux investisseurs étrangers. L’Europe quant à elle est beaucoup plus ouverte. Il semble donc que la capacité des entreprises européennes à profiter équitablement des nouvelles routes de la soie et plus largement du marché chinois en soit amoindrie. Avancer sur ce sujet est une condition sine qua non pour l’UE.
D’autre part, l’Union européenne et les Etats-Unis ont aussi émis certains doutes quant à la bienveillance de la Chine. Si tous deux ne remettent pas fondamentalement en cause les bénéfices économiques attendus du projet, ceux-ci peuvent difficilement être détachés de leur dimension politique. Certains craignent en effet que les pays participant à l’initiative ne subissent une sorte de processus de ‘vassalisation économique’ qui les soumettent inexorablement à la Chine. Compte tenu du lien parfois ténu existant entre le parti communiste et les entreprises chinoises, la crainte d’investissements étayés sur des buts purement politiques reste présente. Cet ancrage chinois pourrait donc aussi poser des questions sécuritaires majeures. Il n’est également pas improbable que des pays, à la suite d’investissements massifs, finissent par faire les frais d’une ingérence chinoise dans leurs affaires politiques. Plus largement, l’expansion chinoise pourrait à terme déstabiliser l’hégémonie occidentale et remettre en cause l’ordre mondial tel qu’il existe aujourd’hui.
 

Une Union désunie

Si l’Union considère nécessaire d’user de son poids politique pour négocier des termes favorables avec la Chine, il semble cependant que cette dernière conserve un avantage significatif à cet égard. En effet, l’UE reste une entité politique relativement faible qui peine à établir une vision à long terme de ses objectifs. Ses divisions internes, presque naturelles, et sa difficulté à rassembler en son sein autour de positions communes la désavantagent par rapport au pays du milieu. L’Union ne pense pouvoir profiter des nouvelles routes qu’en négociant et en coordonnant par la même occasion les politiques de ses Etats membres. La Chine quant à elle possède un pouvoir fort et unifié, bâti sur une vision à long-terme de ses objectifs. Seule l’adoption de positions et de stratégies communes permettrait à l’UE de se mesurer à elle et d’en obtenir des concessions.
Aujourd’hui et dans le contexte des routes de la soie, l’Union peine cependant à forger cette unité. Mars 2019 fut en ce sens pour l’Europe une claque monumentale. L’Italie, grande courroie du projet européen, fut le premier pays du G7 à s’inscrire dans l’initiative chinoise. Le drame pour l’Europe est que cet évènement n’est pour ainsi dire qu’un exemple parmi d’autres de cette stratégie chinoise ayant pour effet de diviser les pays européens. De fait, la Chine a longtemps tenté d’interagir avec différents niveaux de pouvoirs, aussi bien au niveau européen qu’au niveau national. C’est ainsi qu’elle créa en 2012 le forum 16+1 rassemblant 16 pays d’Europe de l’Est. Elle tenta aussi mais vainement de créer un autre groupe en Europe du sud. C’est l’unité même de l’UE qui, par cette stratégie, est remise en cause. Le problème est que, pour pouvoir faire face à la Chine, l’Union ne peut se permettre de cultiver en son sein des voix dissonantes qui amoindrissent sa capacité à user de son influence dans le monde.
 

Conclusion

En définitive, les gains économiques obtenus par la participation des pays de l’Union européenne à l’initiative chinoise dépendront en grande partie de leur capacité à s’unir et à adopter des positions communes. La Chine est un pays au pouvoir grandissant. Si l’Europe souhaite profiter des routes de la soie et plus largement de ses relations avec la Chine, elle devra passer au dessus des divisions qui la tiraillent afin d’obtenir de ce pays des concessions.
Pour conclure cet article, il semble opportun d’évoquer l’un des grands esprits du siècle dernier, Paul Valéry, qui, en 1919 dans son ouvrage intitulé La crise de l’esprit, écrivit ces fameux mots : « L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire un petit cap du continent asiatique ? Ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire la partie la plus précieuse de l’univers, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ? ». La question est posée. Europe, ton sort est entre tes mains !
 
Maxime Henrion est étudiant en première année de Master en études européennes à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Libre de Bruxelles.

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