Les Limites Géostratégiques de l’UE : Mise en perspective

15 November 2023 /

5 min

Malgré les tensions, l'UE excelle dans le domaine du "soft power" et de la coopération, mais son manque d'unité interne limite son impact.

L’Europe n’a plus à subir la fameuse plaisanterie de Henry Kissinger lorsqu’il a déclaré “Who do I call if I want to call Europe?”. De toute façon, il y a peu de chance pour qu’on l’appelle. 

Dans ce monde changeant, instable et fluide où le système international se reconfigure et est peuplé d’une multitude d’acteurs, formels et informels, l’Union Européenne est toujours en retard. Le monde l’a vue passer du statut d’acteur international pertinent à celui d’ONG bien intentionnée. 

Les sanctions et l’aide humanitaire sont les principaux outils mis en place par l’Union pour tenter de maintenir une participation active à ce nouvel ordre qu’est devenu le monde. Les États membres parviennent à s’entendre sur des accords et des mesures temporaires, mais ces outils ne parviennent pas à se transformer en politiques structurelles. Car ils requièrent un processus graduel et tortueux de cession de souveraineté et de contrôle sur des questions sensibles. 

Influence et cohésion et coopération, un atout européen ?

Les principaux atouts de L’Union Européenne résident principalement dans les éléments du soft power – capacité à persuader et influencer d’autres acteurs par de moyen tel que la diplomatie ou les alliances. Lorsque l’UE possède des niveaux plus élevés de cohésion, d’autorité et de capacités, l’action diplomatique est plus efficace. Lorsque ces niveaux de cohésions sont plus faibles, l’efficacité de l’UE pour trouver un consensus interne, s’en trouve réduite. 

Dans les domaines où elle parvient à se comporter comme un bloc compact, et en particulier dans le domaine  du commerce international, son pouvoir est bien supérieur à celui de la somme de ses États membres. Ce qui se traduit par une influence si importante qu’aucun accord ne peut être mis en œuvre sans son soutien. En revanche, lorsqu’elle est divisée et qu’elle n’est pas en mesure d’exprimer une position commune, comme dans les domaines de l’énergie, de la politique étrangère et de sécurité ou des migrations, son influence est encore une fois limitée . 

La coopération au développement est un autre domaine dans lequel l’UE est en mesure de définir l’agenda international. Bien que cette politique ne soit pas dévolue à Bruxelles, la somme de l’aide publique au développement des pays de l’UE (plus ce que la Commission européenne y consacre) fait de l’Europe le plus grand donateur au monde, loin devant les États-Unis. Dans la mesure où les pays parviennent à coordonner leurs positions (ce qui se produit assez souvent, mais pas toujours), l’UE s’en sert comme d’un outil de politique étrangère pour se projeter au-delà de ses frontières.

Une Europe peureuse ? 

Au lieu de la puissance géopolitique dont Von der Leyen parlait lorsqu’elle est devenue présidente de la Commission, nous avons assisté à un déclin de l’Europe dans un certain nombre de domaines. Sur le plan diplomatique, l’Europe n’a pas toujours le courage de défendre ses valeurs et ses intérêts. L’Union européenne est confrontée à des voisins dans l’est européen instable et à des puissances extérieures de plus en plus agressives, mais l’Europe hésite  parfois à s’élever contre ceux qui nous menacent.

Alors que nos ancêtres se sont battus, et ont souvent sacrifié leur vie, pour faire progresser les droits de l’homme, nous sommes souvent incapables de publier une déclaration commune condamnant les violations des droits de l’Homme. Comme par exemple lorsque Xi Jinping, président de la République populaire de Chine a appelé à la « sinisation » des religions avec l’objectif de remodeler de manière globale les religions pour qu’elles se conforment à l’idéologie du parti et contribuent à promouvoir l’allégeance au parti constituant ainsi une violation l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

L’Europe doit accepter le fait qu’elle n’est plus le centre de la scène géopolitique et que celui-ci est également en train de se déplacer vers des régions telles que l’Asie ou le Moyen-Orient, et doit donc répondre aux attentes de stabilité et de paix qui ont été suscitées ces dernières semaines depuis sa position stratégique en Europe de l’Ouest.

Les 27 États membres ont toujours lutté au sein du Conseil de l’UE pour articuler une politique étrangère cohérente qui répondrait à chacun des intérêts nationaux en jeu. Cette capacité est parfois limitée par les difficultés pour identifier des priorités stratégiques claires et par le manque de volonté d’unir les forces. Ce manque d’accord se produit également au niveau inter-institutionnel, comme nous l’avons vu ces derniers temps lors de l’évolution du conflit entre Israël et le Hamas.

Après une avalanche de messages contradictoires de la part des dirigeants nationaux européens suite à l’éclatement du conflit entre Israël et le Hamas, un sommet extraordinaire s’est tenu le mardi 17 octobre. Sommet au cours duquel les dirigeants ont tenté de dissimuler cette absence de consensus dans un premier temps, craignant de nuire à l’image de l’Europe en tant qu’acteur international et de détériorer les relations avec les pays de la région. 

La confusion a été semée sur les médias sociaux quand il y a eu des messages mixés de manière prématurée de la part des représentants européens et nationaux, sans qu’une réunion des 27 n’ait été organisée pour discuter de la question. Donnant, par conséquent, l’impression que l’UE était un mélange d’opinions et qu’il n’y avait pas de position officielle unique. 

En réponse à cette situation, le Haut Représentant de l’Union Européenne, Josep Borrell, s’est montré ferme et a condamné les attaques menées par Israël, arguant qu’Israël a effectivement le droit de se défendre contre les attaques, selon l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Mais que cette défense doit toujours s’inscrire dans le cadre du droit humanitaire international. Il a réitéré cette position devant l’Assemblée européenne à Strasbourg le mercredi 18 octobre 2023.

Le contraste est présent, mais y a-t-il eu un changement de ton ? En effet, les États membres sont conscients des dommages causés par les multiples positions exprimées, qui ont accompagnées la plaisanterie de Kissinger sur la question de savoir qui appeler lorsque l’on veut s’adresser à l’Europe. L’Europe avec ses messages mixés sur la question a reproduit exactement le même scénario. 

S’ils veulent réellement préserver les ambitions de l’Union d’être un acteur géopolitique qui respecte le droit international et l’ordre multilatéral fondé sur des règles, les dirigeants de l’UE devront unir leurs priorités et s’efforcer de présenter une Europe unie et responsable. Cette Europe pourrait être pertinente dans un monde en constante évolution et retrouver sa légitimité, érodée au fil du temps.

Laura Nolasco Espino est étudiante à l’Institut d’Etudes Européennes.

(Edité par Léa Thyssens)

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