Les conséquences du Brexit sur le monde de la culture en Europe

17 February 2022 /

5 min

Dans un article paru le 27 juin 2021 dans le journal anglais The Guardian, le chanteur Elton John exprime sa colère contre le gouvernement de Boris Johnson. Il s’insurgeait de l’énergie déployée dans les négociations pour le secteur de la pêche, à côté du peu cas qui est fait de la filière musicale.

En effet, alors que l’industrie de la pêche représente 1,2 milliards de pounds par an dans l’économie britannique, le secteur de la musique pèse six fois plus lourd. Moins de quatre mois après le référendum de 2016, la Fédération des industries créatives britanniques tirait déjà la sonnette d’alarme quant aux conséquences du Brexit pour le secteur musical.

Bientôt un an après la sortie de la période de transition fixée au 1er janvier 2021, les effets d’une telle décision sont rudes pour l’ensemble du monde de la culture européenne. Le rapport de la Fédération des industries créatives britanniques montre à quel point les acteurs du monde culturel perçoivent le Brexit comme une catastrophe pour leur milieu et leurs activités : 96% des artistes britanniques interrogés se sont prononcés contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union. L’oubli du monde culturel dans la gestion du processus de sortie de l’UE par le gouvernement a fini de les décourager, leur donnant l’impression que la musique, l’art, la culture, ne sont pas ou très peu pris en compte. Pourtant, la culture constitue une des industries les plus dynamiques du pays. L’exportation de la musique, l’audiovisuel et les arts du spectacle dans les pays européens ont représenté à eux-seuls £326 millions en 2014. Mais au-delà de la perspective économique, ce sont les conditions nécessaires à la créativité même qui sont mises à mal avec le Brexit. En effet, la fin de la libre circulation et des partenariats et soutiens financiers a fait tomber à l’eau nombre de projets tant du côté britannique qu’européen.

La fin de la liberté de mouvement entrave la mobilité des artistes

Le Brexit signe la fin de la libre circulation des biens et des personnes aux frontières. La sortie de l’espace Schengen signifie le retour des visas et du passage à la douane. Autant de procédures longues et fastidieuses, particulièrement contraignantes pour les artistes habitués à traverser sans cesse les frontières. L’industrie musicale est particulièrement affectée, en raison des projets et tournées réalisés à l’étrangers. Obtenir un visa, que ce soit pour entrer ou sortir du territoire britannique, engage des coûts et des délais importants. Et si un accord pour des tournées sans visa ni permis de travail a été trouvé en août 2021 avec 19 pays de l’Union européenne, ce n’est qu’une partie du problème. Car en plus du visa, il est nécessaire de transmettre de nombreuses informations au contrôle des frontières, tel que le matériel emporté, le temps escompté passé en dehors du territoire, les salaires perçus, le lieu de résidence à l’étranger, etc… Une tournée européenne dans une quinzaine de pays membres de l’Union devient alors compliquée, voire impossible. Les œuvres d’art ne sont pas épargnées. Elles subiront elles-aussi un contrôle aux frontières, le passage à la douane entraînant des coûts supplémentaires et retards éventuels pour des expositions ou ventes.

Qui dit rupture avec l’UE dit rupture des partenariats financiers et fonds de solidarité européens

Le Programme Creative Europe était particulièrement bien implanté au Royaume-Uni avant le Brexit. Ce programme a pour objectifs la promotion du patrimoine, la diversité culturelle et linguistique et d’accroître la compétitivité et le potentiel économique des secteurs de la culture dans l’UE. Entre 2014 et 2018, Creative Europe a financé des projets culturels britanniques à hauteur de presque 90 millions d’euros.  Entre 2016 et 2018, 44% des projets financés par le programme possédaient un partenaire financier britannique. Le Royaume-Uni était donc l’un des principaux bénéficiaires du programme, mais également l’un des principaux financeurs. Le Brexit prive ainsi l’UE de précieux financements. Les Britanniques se coupent également des fonds tels que le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) et du Fonds Social Européen (FSE), qui financent entre autres des organisations culturelles. Par exemple, le Creative Kernow, une agence qui soutient les initiatives créatives et artistiques de la région de Cornwall en procurant studios et espaces de travail, était en partie financé par le FSE. De plus, il se sera plus possible pour le Royaume-Uni d’avoir une ville « capitale européenne de la culture » et ses villes candidates pour 2021 sont désormais hors course. Ce programme permet généralement d’apporter un nouveau souffle de dynamisme culturel et économique grâce à l’argent européen.

Droit d’auteur et rayonnement culturel à la dérive

Le cadre réglementaire de la culture est également bouleversé. Le Royaume Uni n’est plus lié par les directives européennes, comme celle portant sur le droit d’auteur, ou encore la directive « Services de médias audiovisuels ». Cette dernière vise à créer un marché unique des services de médias audiovisuels. Le pays doit donc redéfinir sa législation du domaine culturel sur son territoire, ou du moins la réviser.  De plus, le Brexit ne va pas seulement impacter la culture britannique, mais également la culture européenne dans son ensemble. Cette dernière était largement représentée dans le monde par les œuvres britanniques, qui s’exportent mieux en raison de la langue anglaise et de leur excellente réputation. Le Brexit signifie donc certainement la diminution du rayonnement culturel européen et donc du soft power européen. Les entraves à la circulation artistique, autant des personnes que des œuvres d’art, risquent de se traduire aussi par la réduction des interactions entre milieux artistiques britannique et de l’Europe continentale ainsi que de l’influence réciproque qu’ils exerçaient.

Des solutions, ou du moins des ouvertures émergent petit à petit

Malgré son exclusion du programme Creative Europe, le Royaume Uni peut toujours y participer mais en tant que pays non-européen, moyennant des frais de participation. Pour le moment, il a fait savoir qu’il ne participera pas au programme pour les années 2021-2027, mais il aura toujours la possibilité de le faire pour les programmes ultérieurs. De plus l’Arts Council England, l’organisme de financement des institutions culturelles britanniques, a produit un guide s’adressant aux artistes britanniques. Ce dernier peut être vu comme un recueil de conseils afin d’inciter ces derniers à continuer leurs activités dans toute l’Europe. Enfin, des négociations avec les 27 pays membres pourraient également porter leurs fruits pour faciliter l’accès aux visas et les déplacements pour les artistes britanniques et leurs équipes. Tout n’est donc pas perdu et les échanges culturels avec le Royaume Uni perdureront encore plusieurs années pour notre plus grand plaisir.

Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine

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