L’écoféminisme : quand les enjeux féministes et écologiques vont de pair

01 February 2022 /

4 min

Un lien entre la mobilisation environnementale et la lutte pour les droits des femmes existe-t-il ? A la croisée des enjeux féministes et écologiques, l’écoféminisme a su s’imposer ces dernières années comme un mouvement novateur dans un monde où les premières victimes des catastrophes écologiques sont les femmes.

Une origine française

Françoise d’Eaubonne, féministe française, semble être la première a formuler le terme d’écoféminisme en 1974. Dans son ouvrage Le féminisme ou la mort, elle évoque à travers ce mot la nécessité du contrôle des naissances. En effet, pour certains scientifiques des années 70, une surpopulation pourrait engendrer des pénuries de ressources. Contrôler les naissances serait donc une nécessité écologique. De plus, d’après ces chercheurs, cela permettrait une plus grande émancipation des femmes. 

Né en France, le mouvement s’est développé par la suite aux États Unis contre l’industrie nucléaire puis dans le reste de l’Amérique Latine. L’inde s’est également emparée de ce terme, et notamment les femmes Chipko dans leur lutte contre la déforestation. 

Une double exploitation des femmes et de la nature

Nos sociétés actuelles sont basées sur une logique de productivisme. Rendement et productivité sont les maîtres mots, quitte à provoquer des dommages irréversibles sur l’environnement et la biodiversité. Cette surexploitation des ressources de la nature intervient de concert avec l’exploitation des femmes occupant souvent les emplois les plus précaires. D’après Oxfam International, 75 % des femmes dans les pays en développement travaillent dans l’économie informelle, où elles ont moins de chances d’avoir un contrat de travail et de bénéficier de droits légaux ou d’une protection sociale. Toujours selon Oxfam International, à l’échelle mondiale, 600 millions de femmes occupent des emplois parmi les plus précaires. Cette double exploitation, de la nature et des femmes, est identifiée par les écoféministes comme l’essence même du système capitaliste et patriarcal. Comme l’explique Jeanne Burgat Goutal, professeur de philosophie et spécialiste de l’écoféminisme, “la thèse fondamentale de l’écoféminisme, c’est de soutenir qu’il y a des liens indissociables entre domination des femmes et domination de la nature, ou entre capitalisme écocide et patriarcat. Que ce sont les deux facettes de la même médaille, du même modèle de civilisation qui s’est imposé historiquement”. 

Par ailleurs, les femmes sont les premières victimes du réchauffement climatique et des catastrophes naturelles. Elles sont moins mobiles que les hommes car ce sont elles qui tiennent le foyer et s’occupent des enfants. De plus, elles sont moins nombreuses à savoir nager, grimper aux arbres, ou à disposer d’une voiture pour fuir en cas de situation d’urgence. Enfin, selon le GIEC dans un rapport datant de 2007, les conséquences du changement climatique différent selon le sexe et les revenus. D’après le rapport 2018/2019 de l’Organisation Internationale du Travail, les femmes étaient, en moyenne, payées 20% de moins que les hommes à l’échelle mondiale. Le lien entre l’exploitation des femmes et de la nature devient alors évident

Les femmes plus engagées dans l’écologie 

C’est sûrement pour toutes ces raisons que les femmes se sentent également plus concernées par l’écologie, que ce soit au niveau du foyer familial, local ou national. Dans de nombreuses régions du monde en proie à des désastres écologiques, les femmes s’organisent et luttent malgré les pressions et les menaces. Un exemple emblématique est celui de Berta Flores Cáceres, cofondatrice du Conseil citoyen des organisations des peuples amérindiens du Honduras (COPINH). En 2006, elle s’était opposée à la construction du barrage hydroélectrique de Agua Zarca sur le fleuve Gualcarque, dans le département de Santa Bárbara qui menaçait de priver d’eau des centaines d’habitants. Cette dernière a été tuée le 3 mars 2016 à la Esperanza au Honduras par des agents de l’entreprise de construction, mécontents de ses prises de position.

Et quel est le rôle de l’Union européenne là-dedans ?

L’égalité des sexes et la protection de l’environnement sont des valeurs officielles inscrites dans les traités de l’Union européenne. Pourtant, on peut distinguer un cruel manque de considération des inégalités de genre dans les politiques environnementales. Malgré les engagements du Conseil européen visant à « intégrer la perspective de genre dans tous les domaines politiques », les politiques liées au climat omettent fréquemment la question du genre.

Ce manque est à relever par ailleurs dans le Pacte vert européen. Au début de son mandat, la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, a déçu les collectifs écoféministes par son manque de mesures spécifiques liées aux inégalités de genre et la non prise en considération de l’impact spécifique du réchauffement climatique sur les femmes.

Les acteurs non étatiques tels Women Engage for a Common Future (WECF) ou encore le European Environmental Bureau (EEB) tentent alors de tirer la sonnette d’alarme en publiant un rapport en juillet 2021, contenant des recommandations à destination de l’Union européenne et des États membres. L’objectif est de donner des directives claires pour que le Pacte vert européen puisse inclure les questions environnementales liées intrinsèquement au genre.

L’écoféminisme joue aujourd’hui un rôle central dans les luttes environnementales et les jeunes générations ont conscience de son importance. Ainsi, le 8 mars 2019, la militante écologique Greta Thunberg déclarait : « Plus je lis sur la crise du climat, plus je réalise à quel point le féminisme est crucial. »

L’engagement des femmes est primordial en matière d’écologie et leurs présences au sein d’institutions politiques, de gouvernements et d’ONG est nécessaire pour faire entendre leur voix afin d’espérer garantir un monde plus durable et plus viable. 

Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine

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