Le Pacte vert européen, un pacte insuffisamment social

21 January 2022 /

6 min

Depuis les années soixante-dix, les luttes contre la pauvreté et l’engagement environnemental sont soutenues par l’Union européenne de manières distinctes. Ce n’est qu’en 2010 que ces deux combats se rejoignent, au sein de la stratégie Europe 2020. Cette dernière consiste à mettre en place une croissance économique durable et inclusive au sein de l’Union. Un an après la date butoire, nous sommes forcés de constater que l’UE n’a pas su tenir ses promesses, notamment celle de soustraire vingt millions de personnes de la pauvreté. Le Pacte vert européen réussira-t-il là où la stratégie Europe 2020 a échoué ? Rien n’est moins sûr.  

L’aspect social du Pacte vert pour l’Europe 

Bien que les objectifs de ce Pacte vert soient essentiellement d’ordre climatique, l’Union a également tenu à mettre en avant les enjeux sociaux de ce nouveau plan économique. En effet, afin d’assurer cette transition vers un avenir plus vert et durable, la Commission a pris en compte les coûts économiques qui risqueraient de dégrader encore plus les conditions de vie des citoyens déjà en précarité. Cette considération pour les intérêts sociaux avait d’ailleurs été rappelée lors du Discours sur l’état de l’Union en 2020 par la Présidente von der Leyen. “Nous avons solennellement promis de ne laisser personne de côté pendant cette transition”.  

Pour pallier aux coûts de cette transition, la Commission a mis en place le Fonds pour une transition juste, au sein du Pacte vert pour l’Europe. Ce fonds est destiné aux secteurs et régions les plus sujets à souffrir de troubles économiques et structuraux dus à cette transition durable. Les régions dont l’activité économique repose sur l’exploitation du charbon sont les plus à même de bénéficier de cette aide.  Le département du Nord pour la France et la Région Wallonne pour la Belgique sont, dès lors, susceptibles de se voir octroyer une partie de ce Fonds pour une transition juste.  

De plus, par la transformation de l’économie et, ainsi, de la société, un des objectifs du Pacte vert est la lutte contre les inégalités et la précarité énergétique. Cela passe notamment par la création de nouveaux emplois durables. Les travailleurs auront alors la possibilité de poursuivre diverses formations afin d’acquérir les nouvelles compétences requises par la transition. La Commission souhaite également mettre en place un  fonds social pour le climat qui se destine directement aux ménages les plus pauvres. Sont particulièrement visés les ménages vivant dans des logements énergivores et de surcroît impactés par la future hausse du prix des énergies fossiles.  

Une stratégie insuffisante pour la justice sociale 

Toutefois, l’amortissement de certains coûts engendrés par la mise en œuvre du Pacte vert pour l’Europe ne signifie pas que ce dernier prenne réellement en compte les menaces pesant sur les citoyens européens. En effet, les fonds dont il est question ne s’attardent qu’à tenter de gommer les inégalités de surface. En aucun cas, ils n’interviennent dans la promotion des droits sociaux des citoyens, des droits qui concernent notamment l’égalité des chances sur le marché du travail, des mesures d’inclusion sociale ainsi que des conditions de travail équitables.   

En effet, les objectifs sociaux assimilés au Pacte vert continuent à se situer dans un cadre de croissance économique. Or, la réduction de la pauvreté, tributaire de ce seul aspect économique, ne peut que se retrouver en tension avec les objectifs environnementaux, eux-mêmes dépendants du modèle de croissance économique de l’Union. Dès lors, pallier aux coûts de la transformation verte paraît incompatible avec la diminution des inégalités sociales. En outre, des discriminations liées à la fortune des citoyens jonchent nos sociétés et constituent, à de nombreuses reprises, les conséquences de certaines mesures normatives. Par exemple, l’augmentation du prix du carbone dans le but de réduire ses émissions dans les secteurs du transport et du logement aurait pour effet d’étrangler économiquement les personnes en situation de pauvreté. Un clivage apparaît alors entre les personnes ayant les capacités financières pour investir dans des solutions moins coûteuses en énergies fossiles et celles n’en ayant pas les moyens.  

Quel Pacte vert et social ? 

On constate que les personnes vulnérables sont celles qui, souvent,  souffrent le plus du manque d’inclusion des décisions politiques. Les mesures du Pacte vert européen ne feront pas exception à cette règle.  L’idée est alors de renforcer les mesures inclusives au sein de ce Pacte vert en le rendant plus social.  

Pour que les fonds soient utilisés à bon escient et constituent une réelle aide aux personnes menacées par la  pauvreté et l’exclusion sociale, une véritable étude des impacts de la transition écologique doit être insérée au Pacte. De plus, la création de nouveaux emplois durables et la promotion de formations s’y rapportant doivent être soutenues par une politique de réduction des inégalités sur le marché du travail. Plus précisément, le rôle des travailleurs doit bénéficier d’une plus grande importance au sein de la gouvernance des entreprises. Dans l’objectif d’une transition durable de ces dernières, il semble impératif que les travailleurs, œuvrant au premier plan au bon fonctionnement de chaque ouvrage de l’entreprise, soient entendus.  

De plus, une étude soignée des facteurs de risque de la pauvreté permettrait de résoudre la situation de vulnérabilité des personnes touchées. Ces facteurs concernent notamment la protection sociale, la santé ainsi que l’éducation. A la suite de cette étude, des mesures concrètes sont attendues en matière de sécurité sociale, de garanties de revenu minimum et du soutien des services sociaux. En l’occurrence, au sein de l’UE, il se trouve que les femmes sont plus sujettes à souffrir des menaces de pauvreté que les hommes, ces risques augmentant avec l’âge. Est également à prendre en compte le fait que les femmes sont largement surreprésentées au sein des familles monoparentales. Dès lors, ce type d’étude aurait vocation à influer, par exemple, sur ces manquements en matière d’égalité et de non-discrimination.  

Enfin, en dehors du support financier que ces dernières mesures peuvent apporter, il conviendrait de penser à des mesures propres à la poursuite conjointe des objectifs environnementaux et sociaux. Le professeur Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté, identifie quatre domaines d’actions : l’énergie, la construction, la nourriture et la mobilité. Dès lors, l’exploitation des énergies renouvelables constitue une source de création d’emploi présentant un plus grand potentiel que le secteur des énergies fossiles. Une révision de la politique de fiscalité et de subvention dans le secteur du bâtiment et du logement peuvent bénéficier à l’efficacité énergétique tout en limitant l’impact sur la pauvreté des ménages. La promotion de l’agroécologie améliore la qualité de l’alimentation de la population et diminue la pauvreté, pourvu que cette promotion soit mise en place rapidement et de manière généralisée. Parmi les mesures touchant la mobilité, les personnes soumises aux menaces de pauvreté verront un certain intérêt dans celle qui consiste à réduire les distances entre le domicile, le travail et le lieu d’éducation des plus jeunes.  

Conclusion 

Un Pacte vert et social pour l’Europe est possible et, plus que tout, ce dernier est essentiel à l’avenir de l’Union européenne. Malgré le bien-fondé écologique de certaines mesures visant la réduction des émissions de carbone, ces dernières ne peuvent toutefois pas être soutenues si elles ne prennent pas en compte la réalité sociale dans laquelle elles s’inscrivent. La justice sociale et la justice climatique constituent une lutte conjointe. Loin de représenter des intérêts incompatibles, il serait temps d’adopter une politique plus poussée et réfléchie que la simple distribution de fonds.  

Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine.

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