Le Mécanisme pour une Transition Juste, vraiment ?

31 January 2022 /

7 min

En annonçant le Pacte Vert Européen en décembre 2019, la Commission le présente comme une innovation écologique et un instrument de croissance économique. Suite à la pandémie de Covid-19, il ira de pair avec un plan de relance budgétaire. En plus de ces différents rôles à remplir, le Pacte Vert Européen peut-il souder les Etats membres autour de la transition énergétique ? 

“Notre ambition du Green Deal est de démontrer un nouveau modèle de transformation inclusive fondé sur une transition juste”, explique Frans Timmermans en juin 2020.Le vice-président exécutif du Pacte Vert Européen exprime ainsi la volonté de réaliser une transition écologique équitable. C’est un défi de taille pour l’Union Européenne. En effet, pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050, l’UE doit investir dans de nouvelles énergies. Cependant, ce changement de consommation risque de créer une hausse du chômage dans les industries polluantes. Pour limiter cela, la Commission européenne a proposé en janvier 2020 dans le cadre du Pacte vert européen, un Mécanisme pour une Transition Juste (MTJ). Depuis mai 2020, le MTJ est renforcé par le plan de relance pour dynamiser les économies européennes suite à la pandémie de Covid-19. L’objectif du MTJ est le suivant : accorder des subventions aux régions fortement basées sur la production de charbon et de carbone pour leur permettre de se reconvertir à des énergies moins polluantes. Le MTJ devrait aussi permettre d’éviter des écarts de développement socio-économique trop importants avec d’autres régions européennes.

En quoi consiste le Mécanisme pour une Transition Juste (MTJ) ?

Les fonds pour le MTJ viennent du programme-cadre Horizon Europe, qui finance la recherche et l’innovation dans l’UE entre 2021 et 2027. La Commission utilise une partie de ce budget pour réaliser les objectifs du Pacte Vert Européen. Le MTJ est composé de trois piliers : le Fonds pour une Transition Juste, soit 17.5 milliards d’euros, Invest EU qui représente une garantie budgétaire de 10-15 milliards d’euros provenant du secteur privé, et enfin une nouvelle facilité de prêts au secteur public qui mobilise entre 25 et 30 milliards d’euros d’investissements publics. Plus particulièrement, le Fonds de Transition Juste (FTJ) vise à soutenir les travailleurs des énergies fossiles dans les régions européennes les plus affectées par la transition énergétique. En effet, la Commission estime que les politiques climatiques menacent environ 18 000 emplois directs et 10 000 emplois indirects dans la production de charbon et de lignite en Europe.

Pour que les régions européennes concernées puissent avoir accès au FTJ, les Etats membres de l’UE présentent à la Commission des plans de transition afin de définir les défis à relever dans chaque territoire. La Commission étudie ensuite ces plans et détermine quelles régions sont éligibles pour obtenir une partie du FTJ. L’attribution se décide en fonction de trois critères : le pourcentage d’emploi à haute intensité carbone, l’activité industrielle dans l’énergie fossile et le PIB par habitant. Les fonds seront utilisés pour l’adaptation des travailleurs dans la production et l’utilisation de combustibles fossiles comme le charbon, et les changements de production par les installations industrielles à forte intensité de gaz à effet de serre.

En mai 2020, lors d’une conférence de presse, Frans Timmermans affirme que les pays européens doivent “faire preuve de solidarité envers les régions les plus touchées en Europe, notamment les régions charbonnières, afin d’assurer que le pacte vert recueille le soutien de tous et qu’il ait une chance de se concrétiser

Mais peut-on vraiment parler de solidarité entre Etats membres de l’UE ?

Allemagne et Pologne : principaux bénéficiaires du FTJ

Selon les rapports de la Commission pour le Semestre Européen rendus en février 2020, la Pologne et l’Allemagne sont les deux bénéficiaires les plus importants du FTJ et reçoivent respectivement des fonds pour 9 et 18 régions.

La Pologne reçoit 27% des fonds, selon les critères fixés par la Commission. Il s’agit en effet du pays européen qui emploie le plus de travailleurs dans les mines de charbon et de lignite. C’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement polonais était très réticent à s’engager dans le Pacte Vert Européen, pendant les négociations de décembre 2019.

L’Allemagne quant à elle reçoit 11% des fonds. En adoptant le plan de sortie du minerai noir en janvier 2019, le gouvernement allemand s’est fixé l’objectif de sortir son économie du charbon avant 2038. Les acteurs écologistes considèrent cette échéance trop tardive. Cependant, l’objectif implique d’importantes réformes pour le pays, soutenues par les fonds européens. Mais au-delà des trois critères fixés par la Commission, une telle attribution du FTJ est également liée à la situation économique actuelle en Allemagne. Selon l’Office Fédéral de la Statistique allemand, la croissance du PIB national a fortement ralenti entre 2016 et 2019, passant de 2.2% à 0.6%. Les fonds reçus dans le cadre de la transition énergétique permettent alors à l’Allemagne une relance économique de ses infrastructures, particulièrement pour son secteur des transports maritimes et ferroviaires.

Les autres pays principaux qui bénéficient du fonds sont la Roumanie, la République tchèque, la Bulgarie puis la France. Dans ses rapports pour le Semestre européen 2020, la Commission détaille les besoins du FTJ pour chaque pays. Mais au-delà de l’aide socio-économique, les fonds reçus visent aussi à obtenir le soutien de la population pour la transition énergétique européenne. En aidant particulièrement les régions dont les gouvernements sont peu soucieux du changement climatique, la Commission utilise ainsi le FTJ comme levier politique.  Le fonds soutient en effet les régions les plus dépendantes du charbon mais les sommes réparties divergent beaucoup et ce non seulement pour des raisons énergétiques, mais aussi politiques. Le FTJ reflète alors davantage les nécessités financières négociées entre chefs d’Etats plutôt qu’une véritable solidarité européenne.

L’Etat de droit comme condition de financement

Si les trois critères de la Commission déterminent quelles régions européennes pourront accéder au FTJ, d’autres conditions pourraient entrer en jeu, notamment le respect de l’Etat de droit, inscrit dans les traités européens. Il exige que la justice rendue dans les Etats de l’UE soit transparente dans ses jugements et indépendante des orientations politiques du gouvernement. Le 16 décembre 2020, le Conseil européen a d’ailleurs adopté un règlement pour permettre l’accès aux fonds européens à la condition que les gouvernements garantissent l’État de droit sur leur territoire.

Ce règlement est particulièrement problématique pour la Pologne. En effet, le parti politique PiS au pouvoir depuis 2015 a été accusé plusieurs fois par la Commission européenne de réduire l’indépendance de la justice. Dès l’entrée en vigueur de la loi polonaise sur le système judiciaire en février 2020, la Commission a ouvert une procédure d’infraction contre elle. Cette loi a été définie comme “portant atteinte à l’indépendance judiciaire en Pologne et incompatible avec la primauté du droit de l’Union” par le commissaire européen de la justice Didier Reynders. Avec la condition de l’Etat de droit, la Hongrie aussi est concernée par la suspension des fonds européens.

Cependant, la suspension des fonds doit d’abord être approuvée par la Cour de Justice Européenne (CJUE). En déposant un recours devant la CJUE en mars 2021, les gouvernements polonais et hongrois affirment que la condition de l’Etat de droit est contraire aux traités européens. De plus,  la récente remise en question de la primauté du droit européen par le tribunal constitutionnel polonais  ajoute des tensions sur la conditionnalité des fonds.

A première vue, les perdants de ces débats juridiques sont les citoyens polonais et hongrois. Mais l’attribution des fonds permet d’éviter “que les bénéficiaires finaux soient punis pour les fautes de leurs gouvernements et qu’ils continuent à recevoir les fonds qui leur ont été promis”,  explique Eider Gardiazabal, co-rapporteur au Parlement européen suite à l’adoption du règlement. Les citoyens peuvent alors déposer une plainte en ligne auprès de la Commission pour recevoir directement les fonds, sans permettre à leur gouvernement de les redistribuer. En fonction du jugement rendu par la CJUE, la population polonaise et hongroise pourrait utiliser ce mécanisme.

Solidarité européenne ou convergence des intérêts économiques ?

Le Pacte Vert Européen est tantôt jugé peu ambitieux par les acteurs écologistes, tantôt peu réaliste par ses opposants. Malgré toutes ses ambitions, il est issu de négociations entre gouvernements qui défendent leurs intérêts économiques nationaux. Les déclarations de solidarité ne sont pas reflétées dans l’attribution des fonds, ni dans les tensions liées à la conditionnalité de l’Etat de droit.

Cependant, le Pacte Vert Européen est sans aucun doute une grande avancée pour l’intégration européenne. La Commission Von Der Leyen fait une proposition ambitieuse en répondant à l’inquiétude liée au réchauffement climatique et en prenant en compte les adaptations socio-économiques nécessaires pour la transition énergétique. Les préoccupations des gouvernements les plus récalcitrants ont été entendues et des fonds ont été spécialement attribués à chaque région en difficulté. Il existe même un moyen de soutenir les citoyens pour qu’ils reçoivent directement les aides financières en contournant leur gouvernement. Reste à voir si cette possibilité sera utilisée et si elle sera efficace.

Cet article est paru dans le numéro 35 du magazine

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