Le Fidesz claque la porte du PPE : quelle stratégie politique européenne pour Viktor Orban ?

12 March 2021 /

6 min

“Que cela soit bien clair : si vous vous opposez à l’État de droit et à l’indépendance de la justice, vous n’êtes pas un démocrate-chrétien ; si la liberté de la presse et les ONG vous déplaisent, si vous tolérez la xénophobie, l’homophobie, le nationalisme et l’antisémitisme, vous n’êtes pas un démocrate-chrétien”. Ces mots ont été prononcés par Donald Tusk, alors Président du Conseil européen, en conclusion de son discours au Sommet du Parti Populaire Européen (PPE) en novembre 2018. Les eurodéputés du PPE représentant les droites européennes s’étaient réuni afin de désigner leur Spitzenkandidat en vue des élections de 2019. Pourtant, ces mots, indirectement adressés à Viktor Orban, Premier Ministre hongrois et à son parti, le Fidesz, mettent davantage en lumière la division que l’union que connaît la grande famille aux racines démocrates-chrétiennes du PPE. Depuis, la “question Orban” n’a cessé d’être au cœur des tensions traversant le groupe. 

Quitter avant d’être quitté

Ce mardi 2 mars 2021, le Fidesz a annoncé le départ de ses députés du PPE, après presque deux années de suspension. Cette décision, annoncée par une lettre postée sur Twitter par la ministre Katalin Novak, à destination du Président du PPE Manfred Weber, intervient suite à la modification des règles d’adhésion du groupe permettant d’exclure une délégation nationale si au moins 15% des élus d’au moins quatre délégations en font la demande. Les exclusions n’étaient jusqu’alors possible qu’individuellement. Dans son communiqué, Viktor Orban accuse le PPE de “réduire au silence” les députés élus démocratiquement. En effet, son parti représente 12 eurodéputés du Fidesz, soit le parti le plus représenté au sein du PPE après une large victoire lors des dernières élections européennes de 2019.  Il est clair que le Fidesz s’est senti menacé par ce changement de règle, approuvé à 148 voix contre 28 oppositions et 4 abstentions, et a préféré anticiper l’exclusion par un départ volontaire. 

La sortie forcée des députés du Fidesz marque la fin de la tolérance accordée par le PPE au parti hongrois et la victoire des opposants d’Orban au sein du groupe européen. Au printemps 2019, cette majorité n’avait pas réussi à se dégager et l’option de l’exclusion, à moins de deux mois des élections européennes, avait été écartée. La suspension avait été un terrain d’entente provisoire, suite  à la virulente campagne électorale lors des élections européennes qui ciblait Jean Claude Juncker, alors Président de la Commission et membre du PPE. Celui-ci avait été érigé en ennemi de la nation hongroise et désigné comme responsable de la crise migratoire.

Le contexte est aujourd’hui différent, et les relations entre le parti fondé par Viktor Orban et le PPE ne se sont pas améliorées. En effet, ces derniers mois, entre le veto hongrois bloquant l’adoption du plan de relance finalement levé en décembre 2020 et les provocations virulentes de l’eurodéputé du Fidesz Tamas Deutsch à l’égard du Président du groupe, Manfred Weber, les tensions s’étaient accumulées, sans réelles sanctions à l’égard de la Hongrie. Le vote de ce mardi 3 mars résulte donc de la volonté des membres du PPE de se doter de moyens plus efficaces contre les dérives de leurs élus et de mettre fin à “l’état de grâce” dont jouissait les membres du Fidesz depuis plusieurs années.

Un divorce déjà entamé

Membre du PPE depuis l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne en 2004, l’Alliance civique hongroise (Fidesz) a en effet bénéficié du soutien de la droite chrétienne autrichienne (ÖVP) et allemande (CSU) depuis le début. Le parti pouvait ainsi s’afficher en leader de la “démocratie-chrétienne” sans apparaître comme étant d’extrême droite. La doctrine européenne du parti du Premier Ministre hongrois était la défense de “l’héritage chrétien” contre “l’ordre libéral” et d’un mode de vie européen porté par des Etats membres forts. 

Le départ des membres du Fidesz du PPE laisse présager un choix dans le cap idéologique de la droite européenne. En effet, la présence du parti politique d’Orban divisait ses membre entre les partisans d’une droite libérale, incarnée par Donald Tusk, ancien Président du Conseil européen, qui rejette la vision de la droite portée par le Fidesz, et d’autre part une droite chrétienne, rassemblée par un attachement aux “valeurs” conservatrices. 

Depuis plusieurs années, Viktor Orban avait donc mis en place un “chantage” qui visait à pousser le PPE à choisir entre ces deux courants. Il affirmait en Janvier 2020 : “Si le PPE ne peut pas changer de cap, nous aurons besoin d’une nouvelle initiative européenne Nous allons lancer quelque chose de nouveau dans la politique européenne, pour contrebalancer Macron et son nouveau mouvement politique, nous avons besoin de quelque chose (…) à droite “.

Pour le moment, rien n’indique que cette nouvelle formation, à droite du PPE, va voir le jour. Ce qui est certain, c’est que le Fidesz est à la recherche d’alliés et d’une nouvelle identité au niveau européen. Si jusqu’à maintenant le parti avait évité de s’allier avec les partis d’extrêmes droites, la situation pourrait changer dans les prochains mois. 

Le Fidesz à la recherche de nouveaux partenaires

A droite du PPE, on retrouve deux groupes politiques principaux : le groupe Identité et Démocratie qui représente 10% des sièges du Parlement et regroupe La Ligue de Matteo Salvini,  le Rassemblement National français, l’Alternative für Deutschland (AfD), le parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ) ou encore le Vlaams Belang belge. Ces partis ont en commun le rejet de l’islam et de l’immigration, l’euroscepticisme et l’opposition au multiculturalisme. Néanmoins, la formation est très hétérogène, notamment sur le plan économique, un rapprochement entre cette formation et le Fidesz paraît donc peu probable. Il est en effet en pleine mutation puisque La Ligue italienne opère un revirement vers le centre, sans compter le récent alignement de Matteo Salvini sur la politique de Mario Draghi, désormais chef du gouvernement italien.

D’autre part, le groupe des Conservateurs et Réformistes européens (CRE) représente 9% des sièges, avec des partis comme le PiS polonais, très proche du Fidesz, Vox l’extrême droite espagnole, le parti des Frères d’Italie, le parti démocratique civique de Tchéquie, les Démocrates de Suède ou encore le Forum pour la Démocratie Néerlandais. La ligne politique de cette formation est plus claire : le groupe s’oppose à la construction d’une Europe fédérale  mais reconnaît l’utilité du projet européen. Il défendent une Europe pragmatique, par “la recherche de solutions pratiques aux enjeux des années 2050”. Si le rejet de l’immigration et de l’islam caractérise aussi le groupe, ils plaident également pour un renforcement du marché commun, par exemple sur le plan de la fiscalité.

La stratégie politique du Fidesz semble davantage se rapprocher de celle du CRE, dans son approche souverainiste et identitaire de l’Europe d’un côté, et néanmoins l’attachement au marché commun de l’autre. De plus, l’entente entre le Fidesz hongrois et le PiS polonais, dont les membres composent majoritairement le groupe, n’est plus à prouver.

Cependant, une zone d’ombre subsiste : comment Viktor Orban va-t-il justifier ce rapprochement avec l’extrême droite et les partis populistes dont il s’efforce de se distinguer, et même de combattre, depuis plusieurs années ? 

Il affirmait par exemple en 2018 dans un discours prononcé en l’honneur de la commémoration de la mort d’Elmut Kohl, au sujet de l’alliance des partis traditionnels face aux forces populistes “qu’au lieu d’affaiblir les forces que nous voulons vaincre, elle les renforcera de fait, en tant que seule alternative à l’élite dirigeante.” Il justifiait ainsi le maintien du Fidesz au sein du PPE par la lutte contre le populisme et les extrêmes.

Cette schizophrénie entre les politiques nationales autoritaires et la volonté de s’affirmer comme alternative aux dérives des extrêmes au niveau européen prendra-t-elle fin avec le départ du Fidesz du PPE ? Les prochaines semaines apporteront des réponses en même temps qu’un renouveau dans le rapport de force au Parlement européen.

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