La Première Loi Européenne de Lutte Contre les Violences Envers les Femmes Adoptée par le Parlement Européen.

09 May 2024 /

6 min

“Les femmes et les victimes à travers l’Europe réclamaient cette directive depuis plus de 30 ans”. (Evin Incir)

Ce mercredi 24 Avril 2024, le Parlement Européen a ratifié la première loi européenne de lutte contre les violences de genre et la violence domestique. Malgré l’absence flagrante du viol de la liste des infractions pénales, cette directive est une victoire pour l’avancement de la lutte au niveau européen.

La première Directive sur la Lutte contre la Violence à l’égard des Femmes et la Violence Domestique a été ratifiée ce mercredi 24 Avril 2024 par le Parlement Européen. Comme le martèlent les co-rapporteures Frances Fitzgerald pour la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres (FEMM) et Evin Incir, pour la commission des libertés civiles (LIBÉ) lors d’une conférence de presse, cette directive est “une pierre ajoutée à l’édifice, mais il y a encore du travail à faire”.

La version finale du texte a vu le jour à l’issue de trilogues achevés le 6 Février 2024, et pour le Parlement Européen, les résultats sont mitigés. Il y a de grandes avancées sur l’harmonisation au niveau européen de la lutte contre les violences à l’égard des femmes mais il y a un point sur lequel les parlementaires européen·nes s’avouent déçu·es : l’absence du viol basé sur une définition de non-consentement de la liste des infractions pénales établie par cette directive. Cet article souhaite aller au-delà de ceci et se pencher sur ce qui rend cette directive novatrice et porteuse d’espoir pour nos luttes. Selon les mots d’Evin Incir : “Les femmes et les victimes à travers l’Europe réclamaient cette directive depuis plus de 30 ans”.


– Une pierre ajoutée à l’édifice –

L’une des principales victoires est l’inscription des mutilations génitales féminines, du mariage forcé et des cyber-violences comme infractions pénales passibles de sanctions. Cette directive est particulièrement novatrice dans sa définition claire des différentes infractions dans les articles 3’ à 9’, particulièrement celles en ligne qui sont souvent un angle mort légal. La directive exige des États membres qu’à présent, les cyber-violences qui affectent d’autant plus les personnes sexisées comme le partage non consenti de matériels intimes ou manipulés (ou revenge porn), la traque furtive en ligne (ou stalking), le cyberharcèlement et l’incitation à la violence ou à la haine en ligne soient passibles d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins un an.

Elle prévoit également que la répétition d’actes de violences à l’égard des femmes ainsi que la nature intra- familiale de l’infraction soient considérées comme des circonstances aggravantes. Sont également considérées comme des infractions passibles de sanctions l’incitation, la complicité et les tentatives. Cette directive prend donc une approche globale de la pénalisation de la violence à l’égard des femmes et domestiques.

En plus d’introduire la définition et le niveau de sanction minimal pour ces infractions pénales, les victimes sont placées au centre du combat européen contre la violence faite aux femmes. De l’Article 14’ au 24’, l’Union se focalise sur les mesures qu’elle estime nécessaires à la protection des victimes et comment faciliter leur accès à la justice. De l’Article 25’ au 34’, sont développées les mesures minimales de soutien aux victimes auxquelles les États membres doivent s’engager.
Cette directive complète les engagements internationaux souscrits par les États membres. La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (aussi appelée Convention d’Istanbul) par exemple, n’a pas été ratifiée par tous les États européens. De ce fait, l’existence d’une directive de l’Union Européenne ne peut que renforcer les fondations légales de la lutte contre les violences à l’égard des femmes et les violences domestiques au sein de l’Europe.

La lutte se fait donc de manière systémique, et la directive traduit une réelle volonté de régler, d’anticiper et de prévenir les violences. Différentes sections de la directive élabore sur les mesures nécessaires à l’amélioration de la collecte de données, la prévention et l’intervention précoce. Le but est ici d’adresser les violences à l’égard des femmes sur le terrain, mais aussi en amont, dans la culture et les normes. Cette directive se révèle donc prometteuse car elle envisage de faire face aux violences basées sur le genre comme il se doit: les reconnaître comme inhérentes au système patriarcal en place dans nos sociétés européennes.


– Encore du travail à faire –

“Il reste encore du travail à faire” selon Frances Fitzgerald. Cela concerne principalement la forme de violence à l’égard des femmes la plus controversée au sein des institutions : le viol. Inscrire le viol comme une infraction pénale est une demande du Parlement Européen, soutenue par la Commission. Cependant, au sein du Conseil, l’idée d’une définition européenne basée sur le non-consentement divise les États membres.

Selon la co-rapporteure pour LIBÉ, certains États ne voulaient absolument pas de cette directive, telle que la Hongrie. D’autres, comme la France et l’Italie ne voient pas l’échelle européenne comme le niveau approprié pour la pénalisation de ces violences et perçoivent la volonté européenne comme un risque. Celui de forcer une définition légale inadaptée pouvant altérer la trame légale et sociale de leur société. Frances Fitzgerald avoue : “Je suis perturbée par l’attitude de certains États membres sur le viol”.

De l’autre côté, treize États membres sont en faveur d’une telle définition ou bien l’ont déjà inscrite dans leur code pénal. C’est le cas pour la Belgique et l’Espagne qui ont permis à travers leurs présidences successives du Conseil Européen, d’apporter cette directive au terme du processus législatif de l’UE. Certains ont revu leur position sur le sujet au cours des négociations comme la Pologne après l’élection de Donald Tusk. Finalement, certaines tensions au sein du Conseil ont empêché d’obtenir un vote à majorité qualifiée pour que le viol basé sur le non-consentement soit reconnu comme une infraction pénale dans la directive. Evin Incir admet : “Je ne comprends pas comment certains États membres peuvent faire obstacle à cette définition européenne, comment la lutte contre les violences sexistes et sexuelles peut être aussi polémique”.

Et pourtant, une lueur d’espoir se dessine : l’inscription de l’Article 35’ à la version finale du texte sur laquelle se sont accordées les trois institutions. Au sein de la section de prévention de la directive, il est donc prévu de mettre en place : “des campagnes ou programmes de sensibilisation qui visent notamment à faire davantage prendre conscience du fait que des relations sexuelles non consenties constituent une infraction pénale”.

Ainsi, avant de pouvoir changer les fondations légales des États membres, la directive souhaite changer l’état d’esprit des États membres réfractaires autour du viol. Il est nécessaire de démonter les mythes et stéréotypes dangeureux qui existent autour du viol comme nécessairement basé sur la force, la contrainte ou la surprise pour qu’une définition moderne, fondée sur le non-consentement, devienne la norme pour protéger et adresser ces violences de manière plus efficace. La Suède, par exemple, a observé un nombre grandissant de plaintes déposées et un plus grand pourcentage de condamnations suite à l’adoption de cette définition au niveau national, comme le rapporte Evin Incir, elle-même de nationalité suédoise.

La directive est munie d’un mécanisme de révision tous les 5 ans. Et l’Article 45’ prévoit qu’au plus tard huit ans après l’entrée en vigueur de la directive, un rapport de la Commission évaluera “s’il est nécessaire d’étendre le champ d’application de la présente directive et d’ajouter de nouvelles infractions”. Une proposition législative pourra donc en ressortir.

Evin Incir insiste particulièrement sur la volonté du Parlement de continuer à soutenir les États membres et de pousser pour que le consentement devienne une norme culturelle et sociale européenne. Elle explique en effet que ce travail a déjà porté ses fruits lors des négociations qui ont mené au texte final de la première directive de lutte contre les violences à l’égard des femmes et domestiques. Le Parlement ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin et la sensibilisation sur le consentement et la prévention autour du viol ne sont que le début de ce que pourrait permettre cette directive.

La lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique au niveau Européen connaît donc un grand essor à travers cette directive, mais il reste du travail à faire face aux racines patriarcales profondément ancrées dans nos sociétés.

Elea Cogoluenhes est étudiante en Master d’Études Européennes Interdisciplinaires.

(Edité par Léa Thyssens)

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