La Politique Européenne de Voisinage face à la crise en Ukraine

26 December 2019 /

22 min

la politique européenne de voisinnage en Ukraine

Cet article est une contribution de notre partenaire EU-Logos.
Bien que ce conflit ne soit plus au centre de l’actualité, la guerre dans l’est de l’Ukraine reste une réalité. Depuis 2014, plus de 13 000 personnes ont été tuées dans le cadre du conflit qui oppose les séparatistes pro-russes et les forces du gouvernement ukrainien après le soulèvement populaire du mouvement Euromaïdan. La crise qui en résulte entre l’Union Européenne (UE) et la Russie au sujet de leur voisinage commun invite donc à s’interroger sur la Politique Européenne de Voisinage en Ukraine.
 

1. Introduction

Bien que ce conflit ne soit plus au centre de l’actualité, la guerre dans l’est de l’Ukraine reste une réalité. Depuis 2014, plus de 13 000 personnes ont été tuées dans le cadre du conflit qui oppose les séparatistes pro-russes et les forces du gouvernement ukrainien après le soulèvement populaire du mouvement Euromaïdan. La crise qui en résulte entre l’Union Européenne (UE) et la Russie au sujet de leur voisinage commun invite donc à s’interroger sur la Politique Européenne de Voisinage en Ukraine. Cet article consistera tout d’abord à revenir sur les débuts de la mise en œuvre de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) en Ukraine jusqu’à l’éclatement de la crise et de l’annexion de la Crimée. Ensuite, il reviendra sur la réaction de l’UE, illustrée principalement au travers de l’imposition de sanctions à l’égard de la Russie et des régions séparatistes, ainsi que par le développement en parallèle de négociations de paix dans le cadre du « format de Normandie ». Pour terminer, un bref bilan sera dressé concernant les principales critiques à l’encontre de la mise en œuvre de la PEV en Ukraine.

 

2. Les débuts de la PEV en Ukraine

En 1991, l’Ukraine devient l’un des quinze pays nouvellement indépendants après la chute de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Le pays doit alors construire sa propre politique étrangère avec le monde extérieur. Rapidement, cette question devient une priorité en Ukraine, en raison des nombreux problèmes économiques et sociaux auxquels le pays faisait face. En effet, le défi principal de l’Ukraine depuis l’indépendance consistait surtout à se moderniser, construire son identité et asseoir sa nouvelle souveraineté.

Mais la situation géopolitique de l’Ukraine est complexe, constamment partagée entre ses intérêts européens et russes. En tant qu’ancien pays membre de l’URSS, elle était historiquement liée à la Russie. Mais après l’indépendance, l’Europe devient pour les Ukrainiens, synonyme de liberté, de modernisation démocratique et de développement économique. Le rapprochement avec l’UE est ainsi invoqué à plusieurs reprises dès le début des années 1990. L’élargissement de l’UE et la modernisation accélérée des pays de l’Est vont encore davantage renforcer l’attractivité du modèle européen pour les Ukrainiens. Par conséquent, depuis l’indépendance, la politique étrangère de l’Ukraine a été dominée par la question déterminante du « retour à l’Europe ». Néanmoins, malgré le désir de la plupart des Ukrainiens de se rapprocher de l’Occident, on ne peut pas dire que ce sentiment soit partagé par l’ensemble de la population. Certains soulignent plutôt l’importance des liens avec l’espace postsoviétique, particulièrement avec la Russie et considèrent que seul un rapprochement avec les pays de la Communauté des États indépendants (CEI) permettrait de surmonter les difficultés auxquelles le pays doit faire face.

L’élection présidentielle de 2004 illustra cette grande tension persistante au sein de la population ukrainienne, constamment partagée entre une politique pro-russe et pro-européenne. Les deux candidats Iouchtchenko et Ianoukovytch proposaient deux programmes complètement différents : tandis que le premier, populaire à l’ouest, considérait l’adhésion à l’UE et à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) comme impérative, le second soutenu par la Russie voulait privilégier le rapprochement avec la CEI et prévoyait également l’intégration à l’Espace Économique Eurasien. Ces élections seront finalement marquées par l’émergence de plusieurs manifestations politiques, mieux connues sous le nom de « Révolution orange », indiquant le choix d’une large partie de la population en faveur de l’Europe.

Après avoir joué un rôle significatif pendant la Révolution orange, l’UE a apporté son plein soutien au président Iouchtchenko. C’est dans ce contexte que la PEV a été mise en place. Elle vise à étendre aux pays voisins les valeurs démocratiques ainsi que certaines normes et pratiques économiques, sociales et environnementales de l’UE. Grâce à la mise en œuvre de ses politiques, elle voyait la possibilité de créer un « cercle d’amis » en soutenant et en favorisant la stabilité, la sécurité et la prospérité dans les pays les plus proches de ses frontières.

En 2005, l’Ukraine a été le premier pays à signer un Plan d’Action, élaboré dans de nombreux domaines tels que la politique, l’économie, les affaires sociales, les transports, la justice, ou encore l’énergie, et comprenant une série de mesures susceptibles de renforcer le développement et la modernisation du pays. Mais malgré le soutien européen pendant cette période, cela ne suffit pas à faire progresser l’Ukraine vers une intégration européenne comme il était attendu. Les accords n’ont abouti à aucune véritable modernisation de l’économie et de l’administration, le pays avait besoin des réformes qui ne sont pas réalisées. Le bilan est donc décevant, et un an après la révolution, la majorité des Ukrainiens était déjà déçue par les dirigeants.

En 2007, les négociations sur la conclusion éventuelle d’un nouvel accord sont renforcées et l’année suivante l’UE conclut un nouveau Plan d’action avec l’Ukraine dans les domaines judiciaire, économique, politique et social. Les leaders européens reconnaissent alors les aspirations européennes ukrainiennes, mais l’effectivité du plan est toujours freinée en raison d’un manque de transparence des autorités publiques, de l’insuffisance des capacités institutionnelles et de ressources administratives.

C’est dans ce contexte que le président Ianoukovytch, qui avait perdu les élections de 2004, est élu. Connu comme pro-russe lors de la Révolution orange, il déclare en 2010 que l’UE reste malgré tout un objectif prioritaire pour son pays et réussit plusieurs avancées positives entre Kiev et Bruxelles, tandis que l’UE continue d’apporter son soutien financier. Néanmoins, son orientation russe va rapidement devenir une évidence : en 2013, le président décide unilatéralement de suspendre l’accord d’association négocié depuis 2007 avec l’UE, cédant ainsi à la pression de la Russie, et relance par la même occasion un dialogue actif avec Moscou.

 

3. La crise : la révolution Maidan et l’annexion de la Crimée

Dès l’annonce de cette décision, soit 10 ans après les débuts de la Révolution orange, des manifestants se rassemblèrent Place de l’indépendance à Kiev. Ces manifestations pro-européennes, mieux connues sous le nom du mouvement « Euromaïdan », ont mobilisé des centaines de personnes dans les rues de Kiev pour s’opposer à cette décision et revendiquer la démission du président Ianoukovytch. Les forces de l’ordre réprimèrent sévèrement les rassemblements ce qui mobilisa encore davantage de monde. Début 2014, l’escalade de la violence conduit à la mort de plusieurs manifestants, mais aussi de policiers.

Ainsi, en février 2014, les ministres des Affaires étrangères allemand, français, polonais, et des représentants russes tentent de trouver une sortie de crise avec le pouvoir ukrainien. Mais dans la nuit qui suivit, le président Ianoukovytch prit la fuite en Russie. Le lendemain, il fut destitué par le Parlement ukrainien et, en attendant l’organisation de nouvelles élections présidentielles, l’Assemblée nomma un président par intérim, Oleksandr Turchynov.

Après l’élection du gouvernement pro-européen de Porochenko en 2014, les tensions se sont accentuées entre les forces ukrainiennes et les rebelles dans l’est du pays, soutenus par la Russie. Les régions de l’est de l’Ukraine, majoritairement russophones et opposées au mouvement de Maïdan, décident alors de ne pas reconnaitre le nouveau gouvernement. En réaction, le Parlement retire le statut de langues officielles aux langues régionales, dont le russe, ce qui accentue les tensions. Commence alors un conflit armé opposant le gouvernement ukrainien aux séparatistes de Crimée, et des régions orientales de Donetsk et Louhansk, soutenus par la Russie.

En mars 2014, la Russie mit en place une opération militaire pour prendre le contrôle et annexer la Crimée.  En plus d’être composée d’une majorité de russophones, la Crimée constitue pour la Russie une zone territoriale d’influence historique. « Dans l’esprit et le cœur des gens, la Crimée a toujours été une partie inséparable de la Russie. Cette conviction empreinte de vérité et de justice a été transmise de génération en génération quels que soient les changements dramatiques survenus dans notre pays au cours du XXème siècle » a ainsi expliqué V. Poutine. Par ailleurs, elle constitue un enjeu stratégique majeur pour la Russie. La péninsule héberge toujours la flotte russe de la mer Noire à Sébastopol. Cette base est stratégiquement importante car elle lui donne un point de sortie sur la mer Noire, et qui est le seul accès pour la Russie aux mers chaudes. Son annexion visait donc à préserver à la fois les intérêts géopolitiques et économiques de la Russie. Cette annexion ne fut pas reconnue par la communauté internationale et fermement condamnée par l’UE. Elle fut également suivie de troubles dans les régions à l’Est de l’Ukraine, de Louhansk et de Donetsk, qui après l’organisation de référendums, s’autoproclamèrent « républiques populaires » indépendantes.

Face au nouveau gouvernement de Kiev faisant le choix d’un rapprochement économique avec l’UE, la Russie craignait donc que cette union ne se fasse au détriment de ses intérêts. Elle y voyait notamment une tentative de l’UE de se rapprocher de son territoire, la privant ainsi de ce qu’elle considère comme un de ses alliés historiques de sa sphère d’influence. La Russie manifestait son inquiétude au sujet de cet accord depuis l’été 2013 qu’elle juge incompatible avec l’adhésion de l’Ukraine à l’Union douanière. L’Union douanière établie le 1er janvier 2010 par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Espace économique commun en vigueur depuis le 1er janvier 2012 a été l’une des premières étapes vers une Union eurasienne lancée en 2015.

Par ailleurs, l’intervention russe en Ukraine s’inscrit dans la lignée de précédentes interventions militaires dans l’espace post-soviétique, comme en Abkhazie et en Ossétie du Sud (Géorgie), ou en Transnistrie (Moldavie). L’objectif est de soutenir les populations pro-russes de ces pays pour garantir leur autonomie politique vis-à-vis des États centraux.  La Russie a agi de la même sorte en Crimée, en déployant ses troupes officielles à la demande des dirigeants dissidents de la région, ce qui conduit à une intégration de la région dans l’État russe. Concernant les provinces de Donetsk et Louhansk, la Russie se limite officiellement à leur apporter son soutien politique. Officieusement toutefois, et malgré ses démentis, Moscou leur aurait fourni des troupes et des armes lourdes. Quoi qu’il en soit, il semble que les pays perçus comme des voisins et des partenaires par l’Europe relèvent néanmoins pour Moscou de « l’étranger proche » et en se rapprochant de l’UE, ils risqueraient de discréditer le projet d’affirmation d’une grande Russie pensée comme prolongement de l’URSS.

D’autres facteurs ont pu jouer dans la stratégie russe comme le manquement à la parole donnée concernant l’élargissement de l’OTAN tel que V. Poutine l’a mentionné. La Russie craint le rapprochement des anciennes républiques soviétiques de l’UE, ainsi qu’une éventuelle adhésion de ceux-ci à l’OTAN, que Poutine perçoit comme une organisation concurrente. Dès lors, l’influence exercée par la Russie sur les régions séparatistes ukrainiennes est un moyen de peser sur la politique internationale de Kiev, afin de garder l’Ukraine dans le giron de la sphère d’influence russe.

Aujourd’hui on peut dire que même si les combats ont baissé en intensité depuis leur apogée en 2014, la guerre reste encore bien d’actualité. Selon un rapport des Nations Unies, on estime à environ 13 000 le nombre de morts depuis le début du conflit, dont environ 3300 civils. Cet été encore, quatre soldats ukrainiens ont trouvé la mort dans un bombardement par les forces séparatistes, et quatorze autres soldats ukrainiens furent tués en septembre dernier.

 

4. La réponse de l’Union Européenne

Dès le début du conflit, l’UE a condamné la Russie, l’accusant d’intervenir militairement en Crimée et a ordonné la suspension immédiate des négociations de libéralisation des visas tout en évoquant la possibilité de sanctions économiques. En juillet 2014, l’UE décida d’imposer ses premières sanctions en réponse aux actions russes en Ukraine et les renforça en septembre 2014. Les sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie ont été introduites en juillet 2014, pour une durée initiale de douze mois. Ces mesures ont été unanimement approuvées par les vingt-huit États membres de l’UE, « dans le but d’accroître le coût des actions de la Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. »

À la suite du crash du Boeing 777 de Malaysia Airlines reliant Amsterdam à Kuala Lumpur, abattu en plein vol au-dessus du Donbass, et faisant 283 victimes, majoritairement hollandaises, les sanctions ont été renforcées en septembre 2014, « afin de mettre la pression sur le gouvernement russe », en réponse à l’escalade militaire de la Fédération de Russie, dans la région de Donetsk en Ukraine. Des sanctions presque identiques ont été mises en place, de manière coordonnée, par les États-Unis et d’autres pays, tels que le Canada, le Japon et l’Australie.

L’UE a imposé différents types de mesures restrictives: des mesures diplomatiques, des mesures restrictives individuelles (gel des avoirs et restrictions à l’entrée sur le territoire de l’UE), des restrictions en matière de relations économiques avec la Crimée et Sébastopol, des sanctions économiques ainsi que des restrictions en matière de coopération économique. Concrètement, elles visent à isoler la Russie sur la scène internationale, à affaiblir le système de pouvoir du Président Poutine en touchant son entourage proche, et à porter atteinte aux sources de revenus de l’État russe en ciblant le secteur énergétique, le secteur bancaire et financier et l’industrie de la défense[31]. Au début du conflit, la politique européenne vis-à-vis de Moscou s’est donc principalement illustrée par des sanctions politiques et économiques. Mais même reconduites tous les six mois par l’UE, les sanctions à l’égard de la Russie n’ont pas eu tout l’effet escompté, puisque l’attitude de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine n’a pas changé.

Par ailleurs, lors du Conseil européen de mars 2014, les 28 États membres ont également accéléré les efforts engagés pour renforcer la sécurité énergétique de l’UE et réduire sa dépendance énergétique, notamment par la valorisation du gaz de schiste, le développement des terminaux de GNL ou le développement des projets d’interconnexion grâce aux moyens prévus dans le cadre du Mécanisme d’interconnexion en Europe.

 

5. La réaction russe

Trois mois après les premières sanctions de l’UE, la Russie répliqua en décrétant un embargo économique sur l’importation des produits et marchandises venant d’Europe, des États-Unis, de Norvège, d’Australie et du Canada. Cet embargo a principalement touché les produits agricoles et alimentaires. L’embargo russe s’installe également dans la durée en réponse au prolongement de la durée des sanctions européennes, incluant à chaque fois de nouveaux noms de compagnies russes ou de personnes publiques. Tour à tour, d’autres pays sont ajoutés à la liste établie par le Kremlin. L’embargo fut à nouveau prolongé, cette fois au moins jusqu’à fin 2019.

Moscou dispose d’un autre levier de pression à savoir la dépendance énergétique de l’Ukraine et de certains pays européens à l’importation du gaz provenant de Russie. En octobre 2014, lors du sommet de Milan, Vladimir Poutine avait d’ailleurs mis en garde les Européens contre de grands risques de perturbation des livraisons de gaz l’hiver suivant, faute d’accord avec l’Ukraine. La Russie fournit du gaz via l’Ukraine à la plupart des pays européens. Le gaz russe représente environ 30% de la quantité totale de gaz importée par l’Europe. Or près de 50% du gaz en provenance de Russie transite par Kiev. Une interruption de l’approvisionnement via l’Ukraine aurait donc un fort impact dans certains pays européens. Elle pourrait plonger des villes comme Bucarest dans le noir comme en 2009 lorsque le Kremlin décida de couper l’approvisionnement en gaz. Cependant, cette dépendance vis-à-vis des importations russes peut être relativisée dans la mesure où, d’une part, celle-ci est très variable d’un pays à l’autre et que d’autre part, en faisant cela, la Russie aurait elle aussi beaucoup à perdre étant donné la part que représente les exportations d’hydrocarbures dans le budget de l’État russe. Il serait donc plus exact de parler d’une interdépendance.

 

6. Le format de Normandie

Depuis le début de la crise, la diplomatie européenne est quasi-exclusivement assurée par la France et l’Allemagne, qui ont engagés des pourparlers entre les deux parties sur la base d’un dialogue dénommé, « format Normandie » ou « processus de Minsk ».  Après une nuit marathon de négociations dans la capitale biélorusse, le 12 février 2015, les dirigeants de la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine trouvaient un accord visant à mettre fin aux combats dans la région du Donbass.

Cet accord prévoyait notamment un cessez-le-feu immédiat,  une zone démilitarisée dite « zone tampon » sur la ligne de contact d’au moins 50 km, et précise le mécanisme pour le retrait des armes lourdes. L’accord invite également les parties au conflit à entamer un dialogue ayant pour but la recherche d’une solution politique en accord avec la législation ukrainienne. À ce propos, l’accord précise la nécessité de créer un « régime spécial » donnant plus d’autonomie aux régions de Donetsk et de Lougansk. Il souligne par ailleurs la nécessité d’une réforme constitutionnelle afin de fixer « la décentralisation comme élément-clé » de la forme de gouvernement en Ukraine. Les rebelles de la région du Donbass sont quant à eux appelés à libérer tous les prisonniers. L’accord appelle également au respect de la souveraineté territoriale de l’Ukraine, précise que le pays doit « reprendre le contrôle total de ses frontières extérieures » et demande le retrait du territoire ukrainien de tous les « groupes armés étrangers » et « des mercenaires ». Et enfin, le dernier point souligne l’importance du groupe de contact trilatéral de Minsk, intégré par l’OSCE, les représentants de Kiev et des régions rebelles de Donetsk et de Lougansk, dans le but de favoriser l’implémentation de la feuille de route accordée par les parties signataires.

Le format de Normandie organisa un nouveau cessez-le-feu au travers des accords de Minsk II. En mars 2015, le Conseil européen lia la durée des restrictions économiques à la mise en œuvre complète des accords de Minsk. Mais les conflits et tensions restent encore d’actualité, tout comme la présence militaire de la Russie en Crimée et dans l’est de l’Ukraine.  Pour le gouvernement ukrainien, il est indispensable de retrouver le contrôle sur l’intégralité de son territoire, et donc la partie est du Donbass et la Crimée. Abandonner la revendication sur l’une des deux régions pour récupérer l’autre est exclu, bien qu’un certain degré d’autonomie pourrait néanmoins être concédé aux régions séparatistes.

En février 2019, les diplomaties française et allemande tentent de relancer le processus de sortie de crise et viser à la normalisation des relations entre le Kremlin et l’UE. En effet, au-delà de leurs appels répétés à mettre en œuvre l’accord de Minsk II, la France et l’Allemagne souhaitent désormais normaliser leurs relations avec la Russie. La fédération est en effet considérée comme un partenaire important sur la scène internationale, disposant notamment d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, mais aussi sur le plan économique, notamment en raison des enjeux de dépendance énergétique. Un pas européen a été fait en direction de la Russie en juin 2019, quand le Conseil de l’Europe approuve la réintégration de la fédération dans son assemblée parlementaire. Une décision soutenue par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Après une rencontre en France entre le président français et Vladimir Poutine fin août 2019, Emmanuel Macron soutient également le retour de la Russie au sein du G8. Si l’Ukraine s’inquiète parfois de ce rapprochement, Kiev parvient elle-même à s’entendre directement avec la Russie pour procéder à un échange de prisonniers le 7 septembre.

L’Ukraine et des représentants séparatistes s’entendent également, le 1er octobre, pour proposer un texte de loi au Parlement ukrainien qui permettrait de mettre en œuvre la formule Steinmeier soutenue par la diplomatie allemande, du nom de son ministre des Affaires étrangères en 2016. La formule doit son nom au président allemand Frank-Walter Steinmeier, qui avait tenté en 2016, lorsqu’il était encore ministre des Affaires étrangères, de trouver un moyen de sortir de l’impasse des accords de Minsk signés en 2014 et 2015. La « formule Steinmeier » prévoit en particulier l’organisation d’élections dans les territoires séparatistes, suivant la législation ukrainienne et sous la supervision de l’OSCE. Si l’organisation européenne juge le scrutin libre et équitable, un statut d’autonomie des territoires commencera à être mis en place et l’Ukraine reprendra le contrôle de sa frontière la plus orientale. Cette proposition consisterait à se rapprocher légèrement des positions de Moscou en accordant un statut spécial aux territoires séparatistes, en l’échange de quoi l’Ukraine retrouverait le contrôle de sa frontière orientale. Il s’agit d’un élément clé pour parvenir à une solution durable du conflit dans l’est de l’Ukraine.

Cependant, en Ukraine, la « formule Steinmeier » est très contestée, car nombreux sont ceux qui la jugent trop favorable à la Russie. Nombre d’entre eux accusent donc le nouveau président V. Zelensky, le nouveau président élu en mai 2019, de trahison. Le 6 octobre 2019, 10 000 personnes se sont mobilisées à Kiev pour protester contre l’application de la formule Steinmeier, qualifiée de « capitulation ». Une récente rencontre diplomatique à Minsk laisse espérer la tenue d’un sommet international pour mettre un terme aux combats dans l’est de l’Ukraine. V. Zelensky affirme cependant qu’il n’y aura pas d’élections dans le Donbass avant que les forces pro-russes se soient retirées et que l’Ukraine ait retrouvé le contrôle de sa frontière. Nombreux sont ceux qui voient l’empreinte d’Emmanuel Macron dans les efforts déployés pour mettre un terme au conflit dans l’est de l’Ukraine et normaliser les relations avec la Russie.

Malgré les signaux contradictoires de certains responsables politiques, l’UE s’est montrée inébranlable dans son soutien à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine. À chaque fois qu’il a vraiment fallu choisir, les décisions ont été unanimes, en dépit des efforts d’influence de Moscou. L’UE continue également de voir dans la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk la base d’une solution politique durable au conflit dans l’est du pays et a intensifié son soutien aux réformes économiques et politiques en Ukraine. La Commission a encore récemment souligné qu’elle avait constamment appuyé les efforts du format « Normandie », du groupe de contact trilatéral et de l’OSCE pour favoriser la mise en œuvre des accords de Minsk. Le porte-parole a ajouté que l’UE continuerait à apporter un soutien indéfectible à la souveraineté et à l’indépendance territoriales de l’Ukraine.

 

7. La PEV aujourd’hui: un état des lieux

En visant à transférer une large partie de l’acquis communautaire européen dans les pays frontaliers, la PEV s’inspire de la politique d’élargissement. Les accords qui ont émergé de ce processus sont assez ambitieux. Mais l’ambition des accords proposés aux États voisins contraste avec l’absence de finalité explicite. En effet, la finalité de la PEV n’est pas explicite quant à une potentielle perspective d’adhésion. Par conséquent, il est difficile de mettre en œuvre le principe de conditionnalité en sanctionnant ces pays sur les plans juridique et politique. De plus, au vu du contexte actuel en Europe, même si les pays du voisinage comme l’Ukraine parviennent à réaliser ces réformes, il y a peu de chances que l’UE envisage de nouveaux élargissements. Par ailleurs, alors que les ambitions sont similaires à celles d’une stratégie d’adhésion, les financements ne sont pas quant à eux comparables à ceux alloués aux pays en voie d’adhésion. Ainsi, le montant et les modalités de l’assistance financière contrastent également avec l’ambition affichée.

Pour certains, la mise en œuvre de la PEV en Ukraine n’aurait pas suffisamment tenu compte des perceptions de sécurité de la Russie sur son « étranger proche ». Mais en réalité, la principale faiblesse de la PEV serait plutôt d’avoir les ambitions de la politique d’élargissement sans en avoir les moyens et sans que les États partenaires aient les capacités qu’avaient les pays candidats. Précisons d’ailleurs qu’aux origines de la PEV, l’offre européenne concernait également la Russie qui la déclina, préférant un partenariat stratégique, qui n’a pas énormément évolué, au vu des multiples contentieux entre l’UE et la Russie ces dernières années. Ainsi, on peut dire que la philosophie de la politique d’élargissement est adoptée vis-à-vis du voisinage mais elle est dépourvue des éléments clés pour mener ces pays vers l’intégration européenne tels qu’une assistance financière significative, un calendrier et une promesse explicite d’adhésion. Certains états membres considèrent que seule une perspective explicite d’adhésion créerait les conditions d’une transformation profonde des systèmes au voisinage oriental. On peut donc dire que le doute subsiste quant aux réels bénéfices de l’accord d’association avec l’Ukraine. D’autant que, comme souvent souligné, ils ne sont pas toujours bien adaptés aux réalités du pays. En l’occurrence, les capacités d’absorption de l’Ukraine restent pour l’heure limitées et la corruption y est encore très importante.

 

8. Conclusion

En revenant sur les débuts de la mise en œuvre de la PEV en Ukraine jusqu’à l’éclatement de la crise et de l’annexion de la Crimée, cet article a voulu permettre de mieux comprendre les enjeux de la crise actuelle. Si l’élément déclencheur de la protestation du mouvement Euromaïdan fut la décision du président Ianoukovytch de dénoncer l’accord d’association, les questionnements sur l’orientation de sa politique étrangère en Ukraine, partagée entre ses intérêts russes et européens, existent au sein de la population depuis son indépendance. Le développement de la PEV qui visait à promouvoir les « valeurs européennes » a créé une tension entre l’UE et la Russie sur ce « voisinage commun ». Depuis le début du conflit, la politique européenne vis-à-vis de Moscou s’est ainsi principalement illustrée par des sanctions politiques et économiques. Mais elles ne suffisent pas à entraîner un changement d’attitude du Kremlin. Par conséquent, la France et l’Allemagne ont tenté récemment de favoriser à nouveau un rapprochement diplomatique avec la Russie en attendant une sortie de la crise.

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