La culture : un moteur pour la santé mentale dans l’UE

17 July 2023 /

8 min

Dans son discours sur l’état de l’UE de septembre 2022, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a annoncé une nouvelle approche globale de la santé mentale en 2023. En septembre 2021, l’OMS Europe a présenté son cadre d’action européen sur la santé mentale pour répondre aux défis de la santé mentale et investir dans les services de soins spécialisés. Comment le sujet est-il devenu si important au niveau international, et en particulier pour l’exécutif européen ? Comment le niveau international peut-il agir concrètement en matière de santé mentale, malgré le fait qu’il soit éloigné des soins de la vie quotidienne ?

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la santé mentale correspond à un état de bien-être mental, qui nous permet de s’intégrer dans les espaces sociaux amical, scolaire et professionnel. Elle dépend de facteurs individuels et collectifs, comme la santé physique, certaines prédispositions génétiques, l’environnement relationnel, mais aussi du milieu de vie, la réalité socio-économique et l’environnement global. Les conditions de la santé mentale varient d’une personne à une autre, et fluctuent en permanence chez les individus. La santé mentale ne se définit pas seulement par l’absence de trouble mental. Une personne peut ne souffrir d’aucune maladie psychique sans pour autant se sentir en bonne santé mentale. Les risques associés à une mauvaise santé psychique sont la détresse psychologique, la stigmatisation à l’école ou sur le lieu de travail, l’exclusion, et dans les cas les plus graves le suicide. En 2018, les problèmes de santé mentale touchaient 84 millions de personnes en Europe, d’après le rapport de l’OCDE/UE « panorama de la santé ». Avec la pandémie de Covid-19, l’état de la santé mentale des européens s’est dégradé. En 2022, près de la moitié des jeunes européens sont en situation de santé mentale précaire, le taux de dépression chez les 15-20 ans a plus que doublé et le nombre de suicides a augmenté de façon inquiétante. Ces signaux se manifestent également dans le monde du travail, notamment au Danemark et aux Pays-Bas où les troubles de la santé mentale comptent parmi les principaux motifs de demande de congé maladie. De façon générale, on observe un haut niveau de stress dans les sociétés européennes, causé notamment par les facteurs contextuels du changement climatique, de la guerre en Ukraine, de l’inflation et de la précarité socio-économique.

Les besoins des européens en termes de santé mentale

L’UE s’est emparée du sujet de la santé mentale il y a près de 20 ans. En 2005, elle publiait le Livre vert « améliorer la santé mentale de la population – vers une stratégie sur la santé mentale pour l’Union européenne », et en 2008, elle réalisait le Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être. Cependant, la politique de santé de l’UE tend à se concentrer sur le traitement des maladies physiques. La pandémie et les confinements successifs ont empêché les interactions sociales, le sport, la culture, provoquant isolement, anxiété et dépressions. Les jeunes et les populations à faible revenu ont été les plus durement touchés. Cette période a aussi été marquée par la perturbation des soins de santé mentale, ayant une incidence négative sur les personnes en soin. Le sujet de la santé mentale n’a jamais été rendu aussi public qu’à la suite des restrictions sanitaires. Aujourd’hui, nous assistons à une forte demande de la part des citoyens de voir les autorités agir pour la santé mentale.  Il est donc nécessaire d’adopter une approche plus ambitieuse et plus globale de la santé, en incluant le bien-être et en croisant les initiatives avec d’autres domaines, tels que l’éducation, l’emploi, la protection sociale, et ce qui nous intéresse en particulier dans cet article, la culture

Quels liens entre santé mentale et culture ?

Les liens entre culture et santé mentale sont anciens et multiples. Aujourd’hui la recherche démontre que les activités culturelles peuvent avoir un impact significatif sur la santé mentale et le bien-être. La culture peut aider au traitement et à la prévention de certaines maladies, notamment les troubles mentaux, et de manière générale, l’accès à la culture a le potentiel d’améliorer la santé mentale.

En effet, l’accès à la culture intervient comme moyen de prévention des troubles psychiques et améliore le bien-être, la qualité de vie et l’épanouissement émotionnel et social. De façon générale, participer à toutes sortes d’activités culturelles comme aller au cinéma, au théâtre, au musée provoque un relâchement d’hormones, telles que la sérotonine qui contribuent à diminuer les inflammations et le stress. Pour une personne atteinte de troubles de la santé mentale, telle que la dépression, l’accompagnement à la création artistique et l’art-thérapie peuvent être efficaces. L’art-thérapie est une démarche thérapeutique qui utilise l’art comme mode d’expression et de communication. Son objectif est d’accompagner les patients dans l’exploration de leurs émotions, de favoriser leur compréhension de leurs sentiments et comportements, et de les soutenir dans la résolution de problèmes plus profonds tels que le stress, l’insomnie, la douleur chronique, les traumatismes, etc. L’art-thérapie est une spécialité paramédicale complémentaire dans la prise en charge globale des patients (diagnostic, psychothérapie, médicaments…). Les bénéfices sont nombreux et variables : réduction du stress, diminution de la douleur et amélioration de l’estime de soi. Par exemple, la musique peut aider les femmes souffrant de dépression post-partum. L’art-thérapie peut aussi être utilisée pour réduire les symptômes de maladies graves, comme le cancer. Une étude publiée en 2006 dans la revue Journal of Pain and Symptom Management a montré que l’art-thérapie avait réduit les symptômes de douleur, fatigue, dépression, anxiété, somnolence, manque d’appétit, et essoufflement chez des patients atteints de cancers. Il a aussi été observé que l’art rend plus résilient, grâce au jeu, au rire, à la créativité. L’association Red Noses Clowndoctors International, un projet financé par le programme européen Creative Europe, organise des activités de clown dans les hôpitaux, notamment avec les enfants atteints de troubles du spectre autistique et les personnes âgées souffrant de démence. L’architecture des lieux de soin est également à prendre en considération lorsqu’on parle de bien-être et de santé mentale. D’après Stéphane Beel, professeur d’architecture à l’origine de la conception du centre hospitalier psychiatrique de KU Leuven, l’architecture des lieux publics, notamment les lieux de soin, peut avoir un effet sur la santé mentale. Un hôpital ne doit pas seulement être fonctionnel, mais doit aussi comprendre la dimension de bien-être émotionnel à travers l’étude des lumières, de la sonorisation, des ressentis, de la vue par les fenêtres, etc… Quelle marge de manœuvre possède l’UE sur les questions de culture et de santé mentale ?

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Le rôle de l’UE : coordination et promotion de la recherche

Le rôle de l’UE est de faire reconnaître la contribution de la culture à la santé mentale, et obtenir davantage de financements pour les actions et la recherche sur ce sujet. Depuis la pandémie, l’UE a notamment adopté un rôle de coordination des actions entre ses États membres. Elle a par exemple créé la plateforme sur la politique de la santé, un outil interactif qui permet aux professionnels de santé de s’organiser en réseau et de partager leurs expériences et recommandations en la matière. En juin 2022, la Commission européenne lançait l’initiative « vivre ensemble en bonne santé », qui vise à aider les pays de l’UE à définir et mettre en œuvre des politiques et des mesures efficaces en termes de maladies non transmissibles. Cette initiative possède un volet santé mentale et prodigue des orientations pour les autorités nationales et de santé sous forme de document libre d’accès, à compléter au fur et à mesure des progrès réalisés par la recherche. Mais l’UE agit surtout pour financer la recherche, le suivi et l’évaluation des potentialités de la culture comme moyen de soin et de prévention pour la santé mentale. Cela passe aussi par le financement de la recherche appliquée et de projets pilotes, pour déterminer les modes d’action les plus efficaces.

Rapprocher les politiques culturelles et de santé 

Le 5 décembre 2022, la Direction générale de la culture publiait le rapport CultureForHealth, qui plaide pour que la culture fasse partie intégrante de la stratégie de santé de l’UE. Le rapport a été produit dans le cadre du projet du même nom, CultureForHealth, co-financé par l’UE, pour explorer des pistes pour rapprocher les politiques de santé, culturelles et sociales. Le rapport adresse plusieurs recommandations aux dirigeants européens pour davantage soutenir l’intégration de la culture dans les stratégies de santé et de santé mentale de l’UE. Le rapport recommande un soutien stratégique et financier accru et l’augmentation des investissements dans la prévention et la promotion de la santé mentale. Il préconise une meilleure stratégie de sensibilisation du public aux bénéfices des activités culturelles pour la santé et le bien-être et un renforcement des formations des professionnels faisant le lien entre les acteurs de la prise en charge de la santé mentale et du bien-être et ceux du milieu culturel. Le rapport rappelle que des financements plus importants de la recherche et du développement sur le rôle de la culture dans les soins sont essentiels. Il propose de renforcer les discussions politiques sur la place de la culture dans les politiques de santé, notamment entre l’UE, les États membres, les régions, les villes et les organismes de santé, pour qu’ils puissent établir leurs propres stratégies en matière de culture pour la santé et le bien-être, et affecter des ressources financières et humaines à la promotion de politiques en matière de culture et de santé.

Autre sujet d’actualité, l’UE utilise le lien santé-culture pour la prise en charge de la santé mentale des personnes déplacées et des réfugiés venant d’Ukraine, avec des actions de soutien traitant des symptômes post-traumatiques, mais aussi pour améliorer le bien-être et l’intégration des réfugiés. Par exemple Projet Ukraine! Unmuted vise à mettre à disposition des réfugiés des appartements dotés d’un centre culturel, avec des expositions, une bibliothèque, et l’intervention de psychologues.

Les institutions internationales prennent conscience de la nécessité d’agir pour la santé mentale, sujet devenu prégnant après la crise sanitaire. La collaboration entre culture et soin offre des opportunités intéressantes pour promouvoir le bien-être et traiter les troubles de la santé mentale. Cette collaboration entre les secteurs est de plus en plus pertinente pour répondre aux défis de grande ampleur.

[Cet article est paru dans le numéro 38 du magazine]

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