La Conférence sur l’Avenir de l’Europe: La participation des citoyens à l’exercice démocratique

19 July 2021 /

9 min

La Conférence sur l’Avenir de l’Europe s’ouvre et déclare comme intention de joindre les citoyens à l’exercice démocratique. L’intérêt est d’ouvrir le débat européen, répondre au recul démocratique qui a souvent été relevé et commenté et intégrer les citoyens dans le cadrage des décisions européennes. Comment amener un débat à travers les Etats membres et créer la discussion au sein de l’Europe ? Différents instruments et outils technologiques émergent dans cette course à la démocratie. Nous allons essayer de comprendre comment les animateurs de cette consultation citoyenne s’inspirent des expériences passées pour les adapter aux capacités actuelles.

Une ‘politisation’ des affaires européennes

La Conférence sur l’Avenir de l’Europe fait incontestablement partie de la réponse de la Présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen, dans son programme pour l’Europe. Portée par la participation de près de 50% des citoyens européens aux dernières élections européennes de 2019, la ‘sphère bruxelloise’ interprète ces résultats comme une volonté des citoyens européens de prendre davantage part à la définition des politiques publiques. Ainsi, les institutions montrent une volonté d’améliorer la participation des citoyens à l’exercice démocratique européen. Le constat d’une politisation des politiques européennes est largement partagé tant au niveau des décideurs européens que du monde académique*. Ils constatent au sein de l’Union européenne une dissonance accrue entre les décisions politiques et les groupes de contestation qui s’organisent face à celles-ci. En parallèle, on observe une mise en cause plus vive du système-même dans lequel s’inscrivent ces décisions politiques. Sans entrer dans une analyse détaillée, il faut comprendre ici que les décideurs européens doivent plus que jamais rendre compte de leurs décisions et répondre aux critiques citoyennes en démystifiant la technicité de certains débats.

Représentation et Participation

Comme le relève Gaëtane Ricard-Nihoul, cheffe d’unité adjointe “dialogue citoyens” à la Commission Européenne, dans un policy paper pour le compte de l’Institut Jacques Delors : « L’emploi du terme ‘participation’ à cette échelle honore et oblige les Européens. Il nous honore car l’Union européenne pourrait être le premier espace politique transnational à réinventer la pratique démocratique, en conjuguant représentation et participation d’une façon à la fois innovante et engageante. Il nous oblige car il implique de ne pas s’arrêter au milieu du gué et de prendre au sérieux les signaux faibles de nos démocraties actuelles. » En ce sens, la Conférence sur l’Avenir de l’Europe peut enrichir le dialogue entre représentants et représentés, poussée par une transition numérique qui apporte toujours plus d’accessibilité aux affaires européennes. Il convient de noter que l’Union européenne n’en est pas à sa première réforme des Traités. Du Traité de Maastricht (1992) au Traité de Lisbonne (2009) en passant par l’impossible ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (2004), la volonté a toujours été d’améliorer la représentation du citoyen à l’échelle supranationale et de réconcilier le citoyen avec le projet européen. Comme le fait justement remarquer le Professeur Alberto Alemanno lors de son intervention à la High-level Interdisciplinary Conference on the Future of Europe organisée par le Collège d’Europe, les questions se ressemblent mais le contexte diffère. Les attentes des citoyens visà-vis de l’Europe ont largement évolué sur le plan normatif, mais la difficulté première reste de rendre les institutions plus sensibles aux préférences locales au sein de l’Union. L’exemple qu’il donne pour corroborer son analyse est le rôle joué par l’Union européenne dans la crise sanitaire et économique que nous connaissons aujourd’hui. Nombre de citoyens européens se retournent vers l’UE et attendent une action conjointe ; ce qui marque les limites de l’État-nation mais également les limites de la coopération entre les Etats membres.

Représentation et Communication

Sans s’attarder sur le cadre de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, nous allons explorer les différents instruments pensés pour le débat et l’agrégation des opinions des citoyens aux quatre coins de la communauté européenne.

En premier lieu, dans la boîte à outils de la démocratie européenne, nous devons marquer la distinction entre les dialogues citoyens et les consultations européennes des citoyens. Les dialogues citoyens, à l’initiative de l’ancienne vice-présidente de la Commission en charge de la Justice, des Droits fondamentaux et de la citoyenneté Viviane Reding et largement soutenus par les Commissions suivantes, sont des événements locaux organisés conjointement par la Commission européenne et ses différents représentants dans les Etats membres. Ils s’organisent sous forme de questions-réponses entre des commissaires européens en déplacement dans la région et des citoyens intéressés par le thème de la discussion. Les dialogues avec les citoyens sont des séances de discussions qui peuvent prendre des formes très différentes selon la qualité des intervenants et les tournures que peuvent prendre la discussion. Ils ont également su s’adapter aux restrictions sanitaires en proposant un format de discussion en ligne, ce qui ouvre par ailleurs la possibilité aux échanges transnationaux. Bien qu’ils offrent une opportunité d’échanger et d’émettre des propositions concrètes, les dialogues citoyens ne constituent pas un instrument d’influence direct des politiques mises en place par les commissaires. Les dialogues citoyens sont donc avant tout un outil de communication qui ne cherche pas à engager les participants dans les choix d’orientation politique européens mais cherche plutôt à ouvrir une voie de réconciliation entre les européens et la défiance envers les institutions.

Représentation et Consultation

Les consultations européennes des citoyens (CEC), et plus particulièrement les CEC de 2009 auxquelles la participation citoyenne fut notable, montrent quant à elles la complexité et les obstacles auxquels doit faire face un exercice participatif qui se veut à la fois “visible, inclusif et délibératif” comme le fait apparaître Raphaël Kies dans un ouvrage sur le potentiel des consultations citoyennes. Construite autour de la question : « Que peut faire l’UE pour façonner notre futur économique et social dans un monde globalisé ? », les chercheurs ont réalisé une analyse pragmatique de l’élaboration des CEC 2009 structurée selon différentes phases. Dès lors, les consultations commençaient par une première phase en ligne, via une page web dédiée aux CEC et ouverte aux propositions de tout citoyen européen. Cette phase a notamment permis d’accroître la visibilité et l’inclusion d’un plus grand nombre de participants. La deuxième phase s’organisait autour de deux jours de consultation dans les 27 pays membres pour agréger et synthétiser les propositions afin de mieux les représenter et les partager dans une ‘atmosphère européenne’. Pour terminer, une liste synthétique et thématique des 10 recommandations les plus votées par les participants à la consultation citoyenne était dressée et présentée lors d’un Sommet Européen, qui guiderait les thèmes des futures discussions dans la relation des représentants avec les citoyens européens.

Leur analyse de l’élaboration des CEC 2009 fait ressortir les difficultés pratiques d’un tel exercice, notamment celle de l’agrégation des volontés de publics multiples. La perte de pluralité, à travers une sélection limitée de propositions, et la perte de diversité, du fait de la participation d’un public nécessairement intéressé par les affaires européennes, déterminent la faible portée de ces propositions et la nécessité de restreindre résolument le sujet de la consultation.

Un mécanisme tel que les CEC a certainement exigé une coopération interinstitutionnelle plus importante. Ces consultations à l’échelle européenne constituent les fondements de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, en impliquant notamment les trois institutions centrales dans l’organisation de ce moment européen. D’une autre manière, les CEC ont également constitué un terrain propice à la coopération et la coordination entre Etats membres des efforts sur la participation citoyenne qui s’est concrétisée en 2018, sur une proposition du président français Emmanuel Macron soutenue par la commission Juncker. La réalisation d’un rapport de ces consultations pour le Conseil de l’UE a permis de consacrer un système de reporting au sein des Etats membres ainsi qu’une coordination au niveau supranational, comme le relève dans son policy paper Gaëtane Ricard-Nihoul. On peut noter que l’exercice a connu certaines réticences, notamment de la part de la Hongrie et a manqué d’influence du fait de son approche trop vaste et peu ciblée.

Représentation et Initiative

Au niveau de la Commission, les Initiatives Citoyennes Européennes ont également été un formidable outil pour transposer les demandes émanant de la société civile dans l’agenda politique européen. Là où la machine s’enraye, c’est au niveau des résultats. Les campagnes lancées par les défenseurs d’une initiative citoyenne européenne doivent, sur une période d’un an, récolter plus d’un million de signatures dans un minimum de 7 pays membres validant au moins 750 fois le nombre de députés dudit pays présents au Parlement européen. Si une initiative remplit ces conditions, la Commission en tant qu’institution ayant le quasi-monopole pour la proposition d’amendements des Traités se donne alors trois mois pour étudier le dossier et le projet de financement.

Il est enrichissant de se préoccuper de l’avancée des différentes initiatives en cours autant que des initiatives passées pour se rendre compte du peu d’influence qu’ont les ICE sur les propositions d’amendements votées au niveau européen. La première raison qui pousse la Commission à renvoyer les quelques initiatives supportées par plus d’un million de citoyens européens est essentiellement le manque de compétences en la matière. On notera toutefois que l’ouverture du débat au niveau des institutions permet de faire bouger les lignes entre les différentes parties prenantes au débat et l’adaptation du discours public sur des sujets chers aux citoyens.

Comme le notent les chercheurs Alvaro Oleart et Luis Bouza García : « il y a beaucoup à apprendre des succès et des échecs des ICE. La Conférence sur l’Avenir de l’Europe ne peut pas être un énième exercice de la bulle Bruxelloise dans lequel les acteurs traditionnels se parlent entre eux ». Il faut comprendre ici que faire participer le citoyen aux décisions politiques est souhaitable et souhaité, si toutefois la possibilité d’influencer le débat s’ouvre aux citoyens européens. Sans pour autant devoir user de moyens significatifs pour se faire une place parmi les lobbies en orbite autour de la place Schuman, ces premiers avancent que les mécanismes censés accroître la participation aux affaires européennes doivent créer un lien avec les acteurs nationaux concernés pour renforcer le rôle de la scène européenne comme cadre des discussions. C’est dans cette logique que les discussions relatives à la participation citoyenne doivent s’appuyer sur la transition numérique et la défendre.

Participation citoyenne numérique

Comme le fait remarquer la professeure Kalypso Nicolaïdis ; autant que le droit de vote pour tous l’a été en son temps, assurer un accès égal à la participation pour tous les citoyens est une nécessité. L’exercice est d’autant plus difficile qu’il oblige les institutions conjointes à respecter leurs engagements et à amener toujours plus de transparence. Il est d’autant plus ponctué par la dimension domestique que les sujets controversés dans un pays membre seront exacerbés et médiatisés sans pour autant s’assurer une place centrale au sein du débat au niveau européen. Les sujets les plus ‘technocratiques’, comme on aime les qualifier, resteront en marge du débat et seront défavorisés par rapport à des organisations aux intérêts plus organisés dont le message est plus répandu et perceptible par les citoyens participant à la Conférence sur l’Avenir de l’Europe.

De nouveaux outils numériques pourront dans un futur proche proposer une meilleure agrégation, plus neutre et transparente, des volontés citoyennes. Ils ne pourront toutefois pas remplacer la participation ou décharger les représentants politiques de leur mandat. Un élément substantiel qui peut se mettre en place dès aujourd’hui, et le directeur du CitizenLab Wietse Van Ransbeeck en parle très bien, est la mise en place d’outils numériques dans le ‘hors ligne’. Des débats citoyens assistés d’outils tels que le vote ou l’exploration en ligne par exemple permettent d’ouvrir un espace de délibération et une approche facilitée pour l’appréhension collective et la compréhension des enjeux derrière les questions examinées.

[Cet article est paru dans le numéro 34 du magazine]

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