La conférence sur l’avenir de l’Europe : enjeux et limites

23 November 2021 /

7 min

La Conférence sur l’Avenir de l’Europe est encore trop (voire totalement) inconnue du grand public. Cet événement a pourtant pour vocation de faire participer tous les citoyens de l’Union européenne souhaitant proposer leurs idées pour le futur de celle-ci. Analyse d’une initiative de participation citoyenne inédite confrontée à ses propres limites.

La Conférence a été lancée à Strasbourg le 9 mai 2021 devant le Parlement européen. Peut-être que vous-même qui lisez ces lignes, n’avez pas connaissance d’une telle initiative politique. Celle-ci a été impulsée par les États membres et par les trois institutions principales de l’Union, à savoir le Conseil européen, la Commission européenne et le Parlement européen. Avant d’évoquer les limites de cette gigantesque consultation citoyenne, revenons sur son origine et son fonctionnement.

Une initiative française

La conférence sur l’avenir de l’Europe est évoquée pour la première fois dans une tribune du président de la République française, Emmanuel Macron, en mars 2019. Dans sa « Lettre aux Européens pour une renaissance européenne », le chef d’État énonce l’objectif d’une « Renaissance européenne » marquée par l’humanisme. En plein cœur du Grand débat national, solution censée calmer la révolte française des gilets jaunes, le président français affirme que « partout, les citoyens demandent à participer au changement ». C’est ainsi qu’il appelle à mettre en place une Conférence pour l’Europe « afin de proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique ». Le fonctionnement même de cet événement est déjà esquissé par le Président : le citoyen sera au centre de son organisation au travers de « panels » auditionnant des universitaires ou des partenaires sociaux. Cette proposition du chef d’Etat français s’inscrit dans une volonté d’apaisement après la crise des gilets jaunes, mais surtout dans un désir de changer son image de « président jupitérien », déconnecté de la volonté des citoyens. Celui-ci propose ainsi en l’espace de quelques mois le Grand débat national (une sorte de relève des doléances des citoyens français), la Convention citoyenne pour le climat (une assemblée de citoyens tirés au sort pour proposer des mesures permettant de respecter l’accord de Paris) et la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Si cette dernière n’est pas terminée, les deux premiers événements ont plutôt bien fonctionné. Cependant le gouvernement est revenu plusieurs fois sur ses engagements de traduire en mesures concrètes les recommandations des Français. Il faut garder ce passif en tête pour relativiser et ne pas ériger Emmanuel Macron en « président de la participation citoyenne ». Sommes-nous alors face à une réelle volonté d’écouter le citoyen ou à du « democratic-washing » ? Il nous faudra attendre le printemps 2022 et le rapport de la Conférence pour en tirer une conclusion.

Fonctionnement de la conférence

Malgré son report dû à la situation sanitaire, le processus de la conférence est toujours en cours. Son fonctionnement repose sur quatre organes qui interviennent à différentes étapes. Tout d’abord, la source de toutes les propositions est les citoyens. Ceux-ci peuvent soumettre leurs idées au cours d’événements décentralisés ayant lieu dans tous les pays (conférences, débats, forums, ateliers participatifs…). Ces événements sont organisés par des particuliers, des organisations ou des autorités nationales et locales. Les citoyens peuvent également soumettre leurs idées en ligne sur un site disponible dans les vingt-quatre langues de l’Union. Neuf thèmes couvrant toutes les politiques européennes sont censés guider les citoyens dans leur partage d’idées. Cette plateforme numérique permettra aux citoyens « de partager leurs idées, leurs craintes, leurs espoirs et leurs rêves » selon Dubravka Šuica, vice-présidente de la Commission.

En parallèle, quatre panels de citoyens interviennent depuis septembre et jusqu’en janvier. Chacun d’entre eux se réunit à trois reprises et est composé de deux-cents citoyens tirés au sort. Ceux-ci sont représentatifs de la population européenne en termes d’âge, de sexe, de pays d’origine et de lieux de vie (urbains ou ruraux). S’occupant de thèmes différents, les panels réfléchissent à des idées et les approfondissent collectivement tout en auditionnant des experts. Les panels tiennent également compte des contributions provenant de la plateforme numérique. Sur la base de leurs débats puis de leur délibération, ils formulent des recommandations pour l’Assemblée Plénière. Celle-ci s’est réunie pour la première fois (hors inauguration) le 22 et 23 octobre 2021. La prochaine séance est prévue en décembre. Cette assemblée rassemble 500 personnes dont 108 citoyens (vingt par panel et un représentant par pays membres). En plus de ceux-ci, des eurodéputés seront présents, ainsi que des représentants des parlements nationaux et des institutions européennes. Quelques représentants de la société civile (ONG) et des partenaires sociaux participeront également. À la manière d’une assemblée parlementaire, la plénière débat et travaille les recommandations des panels en plus des idées provenant de la plateforme et des événements décentralisés. Elle soumet ensuite des propositions au comité exécutif. Ce dernier représente  les trois institutions principales (Commission européenne, Parlement européen et Conseil européen). Son rôle est de rédiger le rapport final en se basant sur les propositions de la plénière. Enfin, l’Assemblée Plénière approuve ou non ce rapport.

Figure 1 : Schéma explicatif du fonctionnement de la Conférence – Crédit : Paul Cardon

Une conférence citoyenne qui connaît quelques limites

Malgré son fonctionnement bien balisé et sa volonté d’impliquer les citoyens à chaque étape du processus, la conférence est confrontée à plusieurs limites.

Tout d’abord, nous pouvons évoquer le désintérêt pour les questions européennes dans la plupart des pays de l’Union. Avec 50,66% de participation aux élections européennes de 2019, un Européen sur deux ne vote pas. On peut donc aisément penser que des gens qui ne prennent pas la peine de voter ne feront pas la démarche de proposer leurs idées pour le futur de l’Union. De plus, il risque d’y avoir une grande différence de participation entre les pays. En effet, on peut s’attendre à plus d’idées en provenance d’Allemagne, du Danemark ou de Malte étant donné leur taux de participation de plus de 60% aux dernières élections. En revanche, pour des pays comme la Slovaquie, la Tchéquie ou la Slovénie dont les derniers taux étaient inférieurs à 30%, on peut s’attendre à recevoir très peu de contributions. Les résultats seront donc, par conséquent, en faveur des pays ayant le plus participé. 

À ce problème s’ajoutent de nombreux biais qui limitent la participation en ligne des citoyens. Le plus évident est le biais d’usage autour du numérique, tous les européens n’étant pas à l’aise avec la technologie. Néanmoins, ce problème peut être atténué par l’existence des événements décentralisés, permettant aux citoyens de participer sans recourir aux outils numériques. Un autre frein est la complexité de l’enjeu : au-delà du simple désintérêt, on peut s’attendre à ce qu’un grand nombre d’Européens ne se sentent pas compétents pour discuter des politiques européennes : vouloir participer est une chose, arriver à produire une idée pour l’échelle européenne en est une autre. Enfin, le co-dirigeant d’Open Source Politics – l’entreprise qui fournit la plateforme à la Conférence – fait remarquer que les contributeurs sont en majorité des hommes, plus jeunes et diplômés que la moyenne. Conscients de ces limites propres à la plateforme numérique, les organisateurs de la Conférence ont choisi d’assurer la représentativité parmi les citoyens tirés au sort avec des quotas d’âge, de sexe et de lieux de vie pour les panels citoyens.

Pour finir, seulement 51% des interrogés souhaitent participer personnellement aux activités de la Conférence selon l’Eurobaromètre. Ceci est sans compter la très faible, voire inexistante, médiatisation de l’événement dans les pays membres. En France, aucun journal télévisé n’a relayé l’information alors même que le président du pays est à l’origine de l’idée. Seuls Touteleurope.eu et Euractiv, médias spécialisés sur les questions européennes, ont consacré des articles au fonctionnement et à la portée de la Conférence. Sans doute aurait-il fallu une incarnation politique de l’événement dans les pays membres, comme on a pu le voir en France avec le « grand débat national ». Ce dernier a été porté par les figures du gouvernement lors de nombreuses interventions et il est resté durant plusieurs semaines un sujet majeur dans les médias grand public. Concernant la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, ni les politiques, ni les médias ne se saisissent du sujet. Dès lors, peut-il réellement toucher massivement les citoyens ? Rien n’est moins sûr. En attendant, vous pouvez toutes et tous contribuer en ligne sur https://futureu.europa.eu/

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