L’Union Européenne, entité exportatrice de l’Etat de droit au-delà de ses frontières

12 June 2023 /

8 min

L’Union Européenne a souvent été considérée comme manquant de pouvoir coercitif et de souveraineté, l’empêchant d’être une « véritable puissance » sur la scène internationale. Toutefois, bien que défaillante en termes de puissance militaire et politique, l’UE a pu s’affirmer sur le plan international, grâce à sa capacité à imposer certains de ses modèles et influencer la conduite d’autres acteurs internationaux. Selon Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État, l’UE est une « puissance normative », car elle a la « capacité à exercer, par le droit, une autorité qui lui permet d’être écoutée et d’exporter hors de ses frontières ses valeurs et ses normes ». Parmi ses valeurs, l’UE tend notamment à promouvoir celle de l’Etat de droit sur la scène internationale, consacré par l’article 2 du traité sur l’Union Européenne (TUE).

Les traités européens consacrent la diffusion des valeurs et principes européens par le biais des relations de l’UE avec le reste du monde. En effet, l’article 21 TUE affirme que lorsque l’UE agit sur la scène internationale, ses actions sont fondées sur ses principes fondateurs, qu’elle se doit de promouvoir non seulement sur son territoire, mais également à travers le monde. Ces principes incluent, entre autres, la paix, l’Etat de droit, la démocratie, les droits et libertés fondamentales, l’égalité, la solidarité, etc. Dès lors, l’article 21 place le respect de l’Etat de droit au centre de la politique extérieure de l’UE, notion dont le contenu demeure néanmoins vague.

« Etat de droit » : dissection d’un concept abstrait

Le concept d’Etat de droit est né en Europe, et peut se définir comme « la prédominance du droit sur le pouvoir politique dans un État ». Autrement dit, respecter le principe d’Etat de droit implique que la loi soit à la fois respectée par les gouvernants et par les gouvernés.

L’Etat de droit, la gouvernance démocratique et la protection des droits de l’Homme sont des principes interdépendants et interconnectés les uns aux autres. L’UE associe principalement la protection de l’Etat de droit à une protection judiciaire efficace dans les Etats membres, système judiciaire qui doit garantir aux citoyens européens la protection de leurs droits, ainsi que l’égalité de chacun devant la loi et l’accès à la justice pour tous. La promotion de l’Etat de droit prend tout son sens par exemple à l’égard des pays post-soviétiques, qui ont connu un régime d’ingérence politique dans le pouvoir judiciaire.

Il n’existe pas de définition universelle dans les traités européens. Dès lors, pour éclairer le concept d’Etat de droit, l’UE s’est appuyée sur les développements d’autres institutions, comme le Conseil de l’Europe. Plus précisément, la Commission de Venise a développé certains critères essentiels intrinsèques au principe de l’Etat de droit ; (i) la sécurité juridique – comprenant la prévisibilité, stabilité et cohérence du droit- ; (ii) la prévention de l’abus de pouvoir et l’interdiction de l’arbitraire ainsi comme le respect des Droits de l’homme ; (iii) l’égalité devant la loi ; et (iv) la non-discrimination et l’accès à la justice.

Pourquoi l’UE promeut-elle l’Etat de droit en dehors de son territoire ?

Si les Etats Membres enfreignent l’Etat de droit, un des risques concrets pour l’UE serait un impact négatif sur sa politique étrangère. Etant donné que l’UE accorde de l’importance à la promotion de ses valeurs, celle-ci perdrait toute sa crédibilité si les valeurs qu’elle défend à l’extérieur de son territoire ne sont pas respectées à l’intérieur même du territoire.

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La promotion de ce principe en dehors du territoire de l’UE devient délicate :  il est compliqué d’imposer des obligations précises lorsque le principe n’est pas clairement défini. Dès lors, l’objectif du respect de l’Etat de droit peut plutôt être considéré comme un idéal abstrait. Ce concept flou permet à l’UE d’adapter sa définition en fonction du contexte institutionnel national du pays avec lequel elle entretient des relations.  

Garder le concept d’Etat de droit ouvert est un choix, car trouver une définition uniforme est bien trop compliqué. La définition vague vient aussi de la nature contestée du concept d’Etat de droit, qui revêt diverses conceptions en fonction de l’État concerné. En cela, imposer une définition univoque n’est pas souhaitable. De plus, le concept revêt différents sens en fonction de la relation qu’entretient l’UE avec un autre pays : une relation basée sur une future adhésion à l’UE emploiera peut-être une autre définition du principe qu’une relation basée sur le partenariat. Au vu de ces différences entre Etats, le pays partenaire insistera sur différents éléments du principe en fonction de ses propres particularités institutionnelles.

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La promotion de l’Etat de droit dans les programmes d’aide au développement

L’UE diffuse ses valeurs et ses normes notamment à travers ses programmes d’aides, par le biais de projets menés dans des pays partenaires. Selon une analyse publiée en 2012 du docteur en sciences politiques Alfonso Mattera, l’UE est devenue un « protagoniste de la scène mondiale » en mettant certaines valeurs en avant, et en créant un « modèle de société européenne » fondé sur de multiples valeurs.

La promotion des valeurs de l’UE dans sa politique étrangère est fondée sur du soft power, c’est-à-dire qu’elle ne tente pas de les imposer par le biais de la violence et de la force, mais par la conditionnalité financière. C’est de cette façon que l’UE remplit l’obligation de l’article 21 TUE.

Par le biais de cette aide au développement, l’UE espère lutter contre la pauvreté et participer à la transition politique et économique de ces pays, la promotion des droits de l’Homme, et le respect du principe d’Etat de droit. Pour pouvoir bénéficier de son aide, les pays candidats doivent respecter ses valeurs fondamentales. Par exemple, la démocratie au sein d’un Etat partenaire de l’UE est un des critères primordiaux qui conditionne son aide au développement. Les relations d’aide au développement sont entérinées dans des accords de coopération. 

Pour concrétiser le concept flou d’Etat de droit, l’UE agit de diverses manières. Elle renforce les institutions nationales chargées de l’applications de la loi, et forme les responsables nationaux de différents secteurs (police, justice, douanes). L’UE contrôle également la sélection des juges et procureurs, en soutenant la révision de la législation et constitution, en développant de nouvelles institutions, et en apportant un soutien aux institutions chargées de l’Etat de droit.

Dans sa politique d’aide au développement, l’UE a parfois inclus dans ses accords des clauses désignant l’Etat de droit, la démocratie et le respect des droits humains comme des éléments essentiels de l’accord, qui pourraient mener à certaines sanctions s’ils sont violés. C’est par exemple le cas des accords Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP).

La promotion de l’Etat de droit dans les pays voisins de l’UE

La politique de voisinage de l’UE est développée en 2003 à partir d’accords bilatéraux conclus entre l’UE et ses pays voisins. A travers cette politique, l’UE souhaite stabiliser ses frontières et assurer la sécurité de ses pays voisins. L’objectif n’est pas l’adhésion d’un nouvel Etat membre, mais la simple construction de relations bilatérales. Pour autant, l’UE dispose de différents instruments et moyens financiers pour assurer cette politique.

En Ukraine ou encore en Moldavie, l’UE tente d’éliminer l’ancienne culture soviétique, en instaurant des objectifs et des réformes pour établir la paix, la démocratie, le respect des droits fondamentaux, la stabilité, l’Etat de droit, la lutte contre le terrorisme, etc.

Par exemple, l’UE est intervenue dans les pays Baltes, comme le Kosovo, par le biais de la mission EULEX, dont l’objectif était d’exporter l’Etat de droit et sécuriser le pays. Cette mission avait pour but de transformer le système judiciaire en un système efficace et neutre, de promouvoir le développement économique, ainsi que la construction d’un système démocratique, de poursuivre des crimes de guerres et de corruption, etc.  Ces réformes sont mises en œuvre par la Commission, en relation avec le gouvernement de l’Etat bénéficiaire.

L’UE fournit des efforts pour s’assurer que ses pays partenaires partagent les mêmes valeurs qu’elle. Si ces valeurs sont partagées par un nombre important de nations, l’UE peut imposer son modèle dans ses partenariats avec d’autres pays qui respectent les mêmes valeurs européennes, et assurer sa crédibilité. Une autre raison pour cette promotion est celle de la sécurité pour construire un environnement voisin qui lui ressemble et permet de ce fait d’éviter certaines menaces près de ses frontières.

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La promotion de l’Etat de droit lors du processus d’adhésion de nouveaux membres

L’UE promeut également l’Etat de droit au sein des pays candidats. qui peuvent se voir imposer des sanctions en cas de violation de ce principe, la suspension des négociations et de l’aide financière. Les pays Balkans occidentaux sont les principaux concernés.

Le processus de promotion de l’Etat de droit consiste à développer et renforcer les liens avec le pays candidat en entamant un dialogue politique, en instaurant un processus de suivi, et en apportant une aide financière et technique au pays. Le pays candidat doit, de son côté, respecter un ensemble de conditions tout au long du processus d’adhésion. Lorsque ces pays se conforment aux conditions, l’UE les récompense, par exemple en leur donnant accès au marché interne, en permettant une libéralisation des visas, ou encore en améliorant l’aide financière.

L’adhésion des nouveaux pays candidats post-soviétiques au début des années 90 a poussé l’UE a élaboré des conditions d’adhésion : les critères de Copenhague. Ces critères conditionnent l’adhésion, pour que les Etats candidats puissent intégrer les acquis européens et incorporer dans leurs systèmes juridiques les valeurs démocratiques libérales. L’UE fournit une aide financière et technique pour aider les pays candidats à élaborer certaines réformes nécessaires, via un instrument d’aide de préadhésion  (IAP). D’ailleurs, si le pays candidats ne fait pas de progrès pour implémenter des réformes, les fonds de l’IAP peuvent être retirés en guise de sanction. En fin de compte, la conditionnalité des critères de Copenhague a poussé les nations post-communistes à adopter des normes démocratiques et respectueuses de l’Etat de droit, ce qui a favorisé le processus d’adhésion.

L’Etat de droit : une valeur modulable en fonction du contexte national

Les traités fondateurs ne contiennent aucune définition du principe de l’Etat de droit, ce qui fait de celui-ci un idéal doux, plutôt qu’une obligation juridique à proprement parler.

Lorsque l’UE soutient des réformes de l’Etat de droit dans ses pays voisins et partenaires, celle-ci vise à garantir le même niveau de respect de ses valeurs fondamentales que dans ses Etats membres. En poursuivant ces réformes, l’UE entend mettre ses valeurs au cœur des transitions démocratiques.

Dans son action extérieure, l’UE doit en tout temps trouver un équilibre entre la promotion de ses valeurs fondamentales, et la nécessité d’une intervention sur mesure, qui tienne compte des besoins et spécificités locales. Cela est nécessaire pour que les citoyens du pays bénéficiaire ne perçoivent pas les réformes de l’Etat de droit comme étant imposées par un acteur étranger.

[Cet article a été publié dans le numéro 38 du magazine]

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