Espagne-Kosovo, un ballon qui ne tourne pas rond ?

29 March 2021 /

6 min

Ce 31 mars 2021 aura lieu l’affrontement des équipes nationales de football du Kosovo et de l’Espagne. Ce match, joué dans le cadre des poules donnant accès à la Coupe du Monde de 2022 du Qatar, fait couler beaucoup d’encre tant du côté de Madrid que de Priština. Décryptage de cette situation qui dépasse le simple cadre du football dans cet article.

Le 9 mars dernier, l’équipe nationale espagnole annonça dans un communiqué les différents jours convoqués pour jouer les 3 matchs qualificatifs de ces prochaines semaines à savoir contre la Grèce, la Géorgie et le territoire du Kosovo. Et c’est cette appellation « Territoire du Kosovo » qui pose problème. En effet, l’Espagne ne reconnait pas l’indépendance du Kosovo et l’a bien fait comprendre à travers cette dénomination. En réponse à cela, la Fédération Kosovare a menacé de ne pas prendre part à ce match dans ces conditions et a exigé que son drapeau et son hymne soit respectés lors de la tenue de cet affrontement. Face à ce différend diplomatique et pour éviter de rajouter de l’huile sur le feu, la liste définitive des 24 joueurs espagnols publiée le 15 mars accompagnée de la mention des « trois prochaines rencontres internationales » afin de ne pas citer le Kosovo. Ce match, d’ores et déjà historique, devrait donc bel et bien se jouer sur la pelouse du stade olympique de Séville ce 31 mars.

Un manque de consensus autour de l’indépendance du Kosovo

Le Kosovo n’est pas encore pleinement reconnu aujourd’hui comme un État indépendant. En effet, la souveraineté de cette ancienne province autonome Yougoslave divise sur la scène internationale. Les aspirations d’autonomie et d’indépendance de Priština ne datent pas d’hier.  Ayant vu son autonomie diminuer au lendemain de la prise de pouvoir de Slobodan Milosevic, le Kosovo connut un conflit sanglant entre 1998 et 1999 ayant opposé la communauté albanaise, L’UCK et l’OTAN à Belgrade. La Serbie ayant perdu le contrôle de la région, le Kosovo déclara unilatéralement son indépendance envers celle-ci en 2008. Aujourd’hui, le Royaume-Uni, les États-Unis ou encore Israël reconnaissent cette dernière tandis que la Chine, la Russie et bien sûr la Serbie s’y opposent catégoriquement. Au niveau de l’Union européenne, 22 états ont reconnu son indépendance. Cette reconnaissance de la majorité des États Membres eut lieu au lendemain de la déclaration de la Cour internationale de justice en 2010 ; cette dernière déclarant que d’indépendance unilatérale du Kosovo ne viole pas le droit international. Cependant, la Slovaquie, la Roumanie, la Grèce, Chypre et l’Espagne n’ont toujours pas reconnu le Kosovo comme étant un état souverain à part entière. Cette situation d’entre deux au niveau de sa reconnaissance bloque l’accession du Kosovo à de nombreuses organisations internationales dont notamment aux Nations Unies et à l’Union européenne. L’un de ses plus fidèle détracteur est sans aucun doute l’Espagne. Comme énoncé par le politologue Alejandro Esteso Perez dans Libération à la suite du communiqué de la Fédération Espagnole de football en amont du match contre le Kosovo, l’Espagne a été le pays le plus actif dans l’opposition à l’indépendance de Priština. Ce communiqué renforce « une fois de plus sa posture historique de rejet ».

Comment expliquer cette non-reconnaissance ?

L’indépendance du Kosovo est un sujet sensible du coté de Madrid. Pour comprendre cette position, il est indispensable de prendre en compte la situation domestique dans laquelle se trouve l’Espagne. État multiculturel aux divers velléités autonomistes, l’Espagne a souvent défendu l’existence de constructions étatiques multinationales. De plus, l’Espagne a développé une approche pragmatique concernant la déclaration d’indépendance privilégiant les « communs accords » entre la partie sécessionniste et le pouvoir central. Ouvrir la voie à une reconnaissance de l’indépendance du Kosovo pourrait, selon Madrid, créer un précédent dans le droit international pouvant dès lors être préjudiciable au pays de la péninsule ibérique notamment autour de la question Catalane.

Beaucoup font dès lors un lien entre Catalogne et Kosovo. Malgré les différentes réalités historiques et politiques de ces deux cas, l’analogie faite entre Priština et Barcelone reste forte. Celle-ci incita en 2018 Premier ministre kosovar de l’époque Hashim Thaci à dénoncer ce lien. L’ancien homme fort du Kosovo énonca notamment que « L’Espagne n’est pas la Serbie et la Catalogne n’est pas le Kosovo ». Cependant, les positions de Madrid sur la question restent les mêmes comme l’illustre l’énonciation du « territoire du Kosovo ».

La reconnaissance du Kosovo par la diplomatie du sport et de la culture

Face aux blocages concernant sa reconnaissance sur la scène internationale, le Kosovo a mis en place des stratégies d’existence en s’investissant dans les domaines culturel, digital et sportif. Cette stratégie paya notamment via sa reconnaissance par diverses fédérations internationales dont le Comité International Olympique en 2014 ainsi que par l’UEFA et la FIFA en 2016. Cette stratégie, présentée par Dario Brentin et Loïc Tregoures comme une stratégie de compensation et d’incitation, permet de pallier le manque de consensus au niveau politique par une visibilité présentant le Kosovo comme une entité sportive et culturelle à part entière. Dès lors, les Dardanët (surnom donné l’équipe masculine du Kosovo) ou encore la chanteuse Dua Lipa font offices e représentation du petit État balkanique à l’international De plus, l’équipe masculine de football Kosovare est, malgré sa précocité, devenue un adversaire à ne pas sous-estimer pour les autres nations européennes.

En effet, forte de plusieurs succès contre notamment le Monténégro, la Bulgarie ou encore dernièrement contre la Lituanie, cette jeune équipe pourrait faire figure d’outsider.  Aux côtés, de l’Espagne, de la Grèce, de la Géorgie et de la Suède, le Kosovo a les atouts pour venir titiller ses adversaires et, qui sait peut-être, décrocher un ticket pour le prochain mondial. Son vivier de joueurs compte notamment des noms connus des amateurs de foot comme Vedat Muriqi (Lazio Rome) ou encore Amir Rrahmani (SSC Napoli).

Un match à suivre sur et en dehors des terrains

Pour en revenir au match de ce 31 mars, celui-ci se déroulera bien malgré les menaces de boycott du Kosovo et d’éventuelles sanctions des hautes instances du football envers la Roja (la sélection espagnole). Ce match promet d’être intéressant à suivre tant pour les amoureux du ballon rond que pour les passionnés de géopolitique. D’un point de vue sportif, parler de David contre Goliath parait approprié. Malgré le talent de la sélection du Kosovo, l’Espagne fait partie des meilleures équipes de la planète malgré une baisse de régime depuis le départ à la retraite de certains de ses cadres. Pour ce qui est d’un point de vue extra sportif, il sera intéressant de suivre si oui ou non la Fédération espagnole respectera le protocole de la FIFA. Est-ce que l’hymne nationale du Kosovo dénommée « Europe » se fera entendre au Stade olympique de Séville ? Réponse ce 31 mars !

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