Défi du gaz en Méditerranée, une partie jouée sur plusieurs échiquiers: le cas de l’Algérie 

06 February 2023 /

3 min

« Les relations entre l’Algérie et l’Italie sont essentielles pour faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés – des crises régionales à la transition énergétique. Nous voulons continuer à travailler ensemble pour la prospérité de nos entreprises et de nos citoyens, pour le futur de la Méditerranée. »

C’est avec ces mots que l’ancien Premier ministre italien Mario Draghi a décrit les rapports économiques et politiques entre les deux pays, à l’occasion du Sommet intergouvernemental Italie-Algérie. 

Après cette rencontre, les relations entre les deux Etats se sont intensifiées dans le domaine énergétique. En effet, le 26 mai 2022, la Société Nationale pour la recherche, la production, le transport et la transformation et la commercialisation d’hydrocarbures en Algérie (Sonatrach) et l’entreprise italienne Eni ont signé un Mémorandum d’Entente. 

Ce Mémorandum avait pour objectif d’augmenter la capacité d’exportation du gaz algérien vers l’Italie à travers le gazoduc Transmed, qui permet de transporter 30 milliards de mètres cubes de gaz par an. En retour, l’Eni a promis de promouvoir des projets de développement et d’investir sur le territoire algérien.

Mais pourquoi l’Italie s’est tournée vers l’Algérie ? Est-ce que la possession du gaz modifie les équilibres géopolitiques dans la Méditerranée ? En réalité, l’Algérie est seulement un des pions du jeu.

Les dynamiques nationales : de la guerre d’Algérie à la Zone Économique Exclusive

Le rapport italo-algérien a une histoire profonde, enracinée dans le soutien que l’Italie a apporté à l’Algérie pendant la guerre civile des années cinquantes. Mais cette relation n’est pas seulement basée sur l’entraide entre les entreprises. Au contraire, les deux pays partagent aussi des contentieux ouverts concernant le contrôle de la mer.

La Convention de Montego Bay de 1982 établit des indications pour gérer les ressources maritimes. En particulier, le Traité définit les zones économiques exclusives (ZEE), qui permettent aux pays propriétaires non seulement de contrôler les ressources halieutiques, mais aussi d’en extraire les matériaux énergétiques. Ce dernier élément est particulièrement pertinent dans le contexte de la crise russo-ukrainienne.

Même si l’Italie n’a pas encore une ZEE, l’Algérie en a institué une pour elle-même sans l’accord des États frontaliers. L’Italie s’est opposée à cette décision algérienne le 26 novembre 2018.

Le rapprochement des objectifs énergétiques et la stricte collaboration entre les deux pays permettraient de surmonter les disputes juridiques qui ont conduit à la non-reconnaissance de la zone algérienne par l’Italie.  

Le rapport avec la Russie de Poutine

Dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, l’Algérie joue un rôle ambigu. En effet, elle  s’est abstenue de la condamnation des référendums illégaux en Ukraine à l’Assemblée Générale de l’ONU.

En plus d’être le principal fournisseur militaire de l’Algérie, la Russie a aussi des connexions énergétiques avec le pays africain : en 2020 Sonatrach et la compagnie russe Lukoil ont signé un Mémorandum d’Entente pour investir dans des opérations d’exploration et de production d’hydrocarbures en Algérie. Le site officiel de Sonatrach rappelle que « la société Lukoil est l’une des plus grandes sociétés pétrolières et gazières cotées en bourse (…) représentant plus de 2% de la production mondiale de pétrole ».

La position algérienne reste très opaque : le pays ne peut se permettre de soutenir complètement la Russie ; mais, en même temps, il est conscient que son approvisionnement en gaz ne peut pas remplacer entièrement celui de la Russie. Pour compenser ce gap énergétique, l’Algérie pourrait exporter le gaz de schiste, un gaz non-conventionnel dont le pays est le troisième producteur au monde. 

Le gaz pour l’Algérie : un contrat social et une occasion géopolitique

La possession du gaz et l’augmentation des prix à cause de la guerre représentent une opportunité stratégique pour l’Algérie, dont l’économie dépend à 95% du gaz et du pétrole. Les coûts réduits de l’énergie garantissent la paix sociale et un rapport serein avec le gouvernement ; une hausse des prix pourrait pousser les citoyens à manifester dans les rues.

Mais le gaz est aussi utilisé comme chantage politique dans le scénario international. En effet, l’Algérie fournit le gaz à l’Espagne avec des gazoducs traversant le territoire marocain, rival de l’Algérie pour le contrôle du Sahara occidental. L’Espagne est favorable au projet marocain de déclarer l’autonomie spéciale du Sahara occidental. Cette coopération entre les deux pays a conduit à la suspension du Traité d’amitié Algérien-Espagnol, avec des aboutissements dangereux du point de vue énergétique.

Un hiver froid nous attend et la situation internationale est encore en suspens : qui fera échec et mat ?

Cet article est paru dans le numéro 37 du magazine

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