CRISE ÉNERGÉTIQUE DANS L’UE, UNE LUTTE DÉSORGANISÉE À LA PAUVRETÉ

16 January 2023 /

7 min

Inégalités et crise énergétique: je t’aime, moi non plus

L’Union européenne (UE) se trouve aujourd’hui dans une crise multiple qui pourrait tout aussi bien renforcer que menacer son engagement pour la lutte contre la pauvreté. Ces crises, en effet, ont exacerbé les inégalités sociales entre les citoyens européens, au sein et entre les États membres. Il est difficile de déterminer l’impact exact de la crise énergétique sur les ménages les plus pauvres. Cependant, la hausse des factures d’énergie est un fait et ses conséquences sur les budgets des ménages et des entreprises se font déjà sentir. La crise énergétique peut être considérée comme une crise transversale impactant différents secteurs et avec des conséquences variées. En même temps, cette période de crise énergétique mène à penser à la transition écologique essentielle pour atteindre la résilience énergétique du territoire européen. Il est donc nécessaire tout d’abord de tenir en compte la dimension sociale du Pacte Vert, où la transition verte contribuerait à la réduction des inégalités. 

Précarité énergétique en Europe

On entend souvent parler d’inégalités sociales, mais qu’est ce que cela veut dire concrètement? Pour l’OCDE, les inégalités sont d’abord liées au revenu et mesurées avec plusieurs indicateurs, notamment le coefficient de Gini (indiquant le niveau d’égalité dans la distribution des revenus dans un pays). La Commission Européenne quant à elle, a défini dans le socle européen des droits sociaux en 2017 deux dimensions principales des inégalités: l’inégalité de revenus et l’inégalité de chances. Ce socle européen des droits sociaux définit les bases des nouvelles politiques sociales européennes. La lutte contre les inégalités en Europe est surtout une lutte contre le risque de pauvreté. Les chiffres d’Eurostat montrent qu’entre 2009 et 2019, il y a eu une baisse des inégalités en Belgique, France mais une hausse en Italie et en Allemagne. Néanmoins, face à la crise énergétique, les inégalités de pouvoir d’achat et énergétique des européens ont aussi augmenté. Les ménages subissent en effet une pression à cause de l’augmentation des prix de l’énergie par rapport à la même période en 2021, laissant un bon nombre de ménages dans la précarité.

La précarité prend des formes différentes et dans le célèbre rapport Wresinski sur la précarité économique et sociale l’on peut trouver la définition suivante: « la précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux ». En termes de précarité énergétique, le pourcentage des ménages qui ont été forcés de réduire leur consommation de gaz en 2021 a augmenté dans toute l’Europe, avec des pics de précarité en Estonie (22,5%) et en Bulgarie (23,7%); l’Italie (8,1%) et la Belgique (3,5%) se positionnent mieux par rapport aux autres pays européens. Il n’y a pas de consensus sur la définition de précarité énergétique. Pour la Commission Européenne, la précarité énergétique « résulte de la combinaison de faibles revenus, d’une part élevée du revenu disponible consacrée à l’énergie et d’une efficacité énergétique insuffisante, en particulier dans les bâtiments ». Cette définition montre bien l’influence de plusieurs facteurs sur la précarité énergétique, qui va au-delà de la simple difficulté économique, puisqu’elle comprend aussi l’isolation des bâtiments. La précarité énergétique n’est donc pas une nouveauté sur le plan des urgences sociales, mais elle revient sur le devant de la scène aujourd’hui à cause de la crise énergétique qui sévit depuis 2021 dans toute l’Europe.

Pendant la crise du Covid-19, les prix de l’énergie avaient connu une diminution grâce à la baisse de la demande des secteurs plus énergivores. Néanmoins, les prix avaient déjà commencé à augmenter en 2021 avec la reprise de la production et la hausse de la demande énergétique du secteur industriel.  Cette inflation était due à une hausse de la demande et à la difficulté des fournisseurs d’augmenter leur production. À ceci s’est ajoutée l’inflation due à la guerre en Ukraine. D’un côté, l’UE a estimé nécessaire de réduire la dépendance du gaz russe et de l’autre, elle a accumulé du retard dans la mise en place de mécanismes de contrôle des prix et l’utilisation d’autres ressources d’énergie. Ce cocktail de hausses n’a pas seulement augmenté l’instabilité des ménages face à leurs factures, mais a aussi un impact sur les produits alimentaires et de première nécessité. Cette inflation résulte en une baisse du pouvoir d’achat pour les européens définis par la Commission Européenne comme des « consommateurs vulnérables ». En outre, comme l’indique le commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux, Nicolas Schmit, l’inflation et la crise énergétique ont un impact fort sur les entreprises, augmentant le risque de chômage et de précarité parmi les travailleurs les plus vulnérables. Des mesures publiques sont donc nécessaires pour faire face à ces difficultés multiples et interdépendantes. Pour l’instant, ce sont les États qui restent les responsables de la protection des plus vulnérables face aux augmentation des factures d’énergie.

Outils et ressources nationales en Belgique et en Italie

Belgique : sécurité sociale et tarif social

Le régime de sécurité sociale de la Belgique puise ses bases dans la lutte ouvrière pour les droits sociaux. Son but : réduire les risques des aléas professionnels en développant une solidarité entre travailleurs. Depuis les années 80 , des politiques néolibérales ont commencé à réduire graduellement l’accès aux droits, en augmentant les conditions d’octroi de ceux-ci. Déjà avant la pandémie, la précarité énergétique concernait 20% des ménages belges, selon la Fondation Roi Baudouin: « soit parce que leur facture d’énergie était trop élevée par rapport à leurs revenus, soit parce qu’elle était au contraire anormalement basse (sous-consommation subie) ». Ce chiffre n’a pas beaucoup varié depuis le début des années 2000.  Aujourd’hui, on constate une augmentation du nombre de personnes concernées, notamment des individus vulnérables comme les étudiants, les personnes âgées, les familles monoparentales. La Belgique a mis en place depuis longtemps le tarif social qui permet d’avoir un prix réduit pour le gaz et l’électricité tout en s’adaptant à l’inflation. Ce tarif a été progressivement étendu à une plus grande partie de la population depuis 2021 et les associations de lutte contre la pauvreté demandent de poursuivre cette évolution ainsi que de geler les factures.

Italie: bonus énergie et coupes sur la TVA

En ce qui concerne l’Italie, il est estimé qu’environ 9 millions de personnes subissent la précarité énergétique, surtout dans le sud du pays. Ces chiffres démontrent une inégalité structurelle interne très délicate. Depuis 2021, l’Italie a dépensé 3,25% de son PIB dans des mesures pour retenir la flambée des prix visant les ménages et les entreprises. Comme la Belgique, l’Italie a émis un bonus énergie pour les ménages les plus pauvres, afin de réduire leurs factures. Pour soutenir toute sa population, l’Italie est aussi intervenue sur la baisse des accises et de la TVA. La nouvelle manœuvre budgétaire du gouvernement italien prévoit un paquet d’interventions financières pour faire face aux augmentations du coût de la vie. Il prévoit 21 milliards d’euros pour soutenir les ménages et les entreprises. Il reste à vérifier que cet argent aide les ménages en difficulté et pas seulement les secteurs productifs les plus énergivores.

La crise énergétique, tremplin pour améliorer la cohésion européenne sur les politiques sociales

Loin d’être des panacées aptes à résoudre structurellement la précarité énergétique, ces mesures montrent les limites d’une action axée sur les revenus. Ces mesures restent des outils d’urgence pour contrôler les prix. Mais elles resteront essentielles tant qu’une alternative durable ne sera pas accessible aux consommateurs. En outre, la crise énergétique est en train de visibiliser un problème de précarité qui concerne tous et toutes, et d’autant plus les personnes les plus fragilisées et une part de la classe moyenne basse. Les tentatives de coopération face aux augmentations des prix de l’énergie montrent l’importance d’une plus grande cohésion autour de la lutte contre la pauvreté. Dans le long terme, ceci devrait rendre les sociétés européennes plus résilientes en cas de crise. C’est pour cela que il est important de développer le côté social du Pacte vert et de miser sur des solutions structurelles à appliquer dans l’ensemble des pays européens. Notamment, le Fond social pour le climat pourrait être un instrument de financement pour la transition énergétique avec des financements ciblés sur la rénovation et l’isolation des bâtiments pour les ménages les plus modestes. 

Il semble clair que les 27 ne peuvent pas faire cavalier seuls face aux multiples crises qui ont touché l’UE lors des dernières années. Néanmoins, sans une volonté politique adaptée, l’intégration européenne en matière sociale ne pourra qu’être inférieure aux ambitions. Et si la crise énergétique pouvait être l’occasion d’échafauder une Union Européenne plus sociale, verte et juste?

Cet article est paru dans le numéro 37 du magazine

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