La création du parquet européen : un exemple de coopération renforcée

28 November 2017 /

Malgré le fait que les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union Européenne touchent une grande partie de son budget, le parcours vers l’établissement d’un parquet européen contre ces activités illégales fut long. Le projet de la création du parquet n’est adopté que sous la forme d’une coopération renforcée, permettant aux intérêts économiques de prévaloir face aux réticences étatiques.

Des réticences étatiques à la coopération renforcée

L’importance de la protection des intérêts financiers de l’Union Européenne est considérable. En chiffres, la fraude seule touche entre 1 et 3% du budget communautaire et les infractions financières intracommunautaires coûtent au total 151 milliards d’euros par an à l’Union. Pourtant, même si les Traités contiennent des dispositions concernant la lutte contre ces activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union Européenne, cette lutte a connu beaucoup d’obstacles jusqu’à l’obtention d’un caractère répressif d’après l’établissement d’un parquet européen pertinent.

En 1988, l’Unité de Coordination de Lutte Anti-Fraude (UCLAF) a été créée, faisant partie de la Commission européenne. En 1999, elle sera remplacée par l’Office de Lutte Anti-Fraude (OLAF). Entre temps, la Convention sur la protection des intérêts financiers de l’Union a été adoptée. Mais c’est avec le Traité de Nice et puis avec celui de Lisbonne que la création d’un parquet pour la protection des intérêts financiers communautaires a été prévue explicitement. En particulier, l’art.86 du TFUE prévoit la possibilité d’instauration du parquet, mais pour y arriver la procédure législative spéciale doit être mise en place. Autrement dit, l’unanimité au niveau du Conseil est exigée, après l’approbation par le Parlement du projet de règlement portant création du parquet. Au cas où cette unanimité ne pourrait pas être atteinte, l’article permet la mise en place d’une coopération renforcée par neuf états-membres minimum qui notifient la Commission, le Conseil et le Parlement sur leur volonté d’instaurer le parquet. Une fois que les Institutions donnent leur autorisation, les Etats concernés peuvent procéder à l’exécution du règlement.

Néanmoins, l’unanimité n’est restée qu’une prévision dans le Traité. Les échanges au niveau du Conseil concernant la création du parquet ont été constamment freinées à cause de plusieurs obstacles et réticences dont l’origine on pourrait identifier aux questions de souveraineté étatique. Plus précisément, la compétence pénale est réservée a priori aux Etats membres et la marge d’intervention et d’harmonisation par l’Union reste donc très limitée. Ensuite, le sujet des intérêts financiers est politiquement et économiquement sensible puisque les états-membres ne sont pas forcément prêts à accepter qu’un parquet supranational mène des enquêtes et impose des sanctions dans leur juridiction. Par conséquent, les divergences et les lacunes existantes quant à la répression pénale de la criminalité financière transnationale rendent la coopération judiciaire et policière très complexe et moins efficace.

En tenant compte de ce besoin d’une répression et d’une lutte cohérente et coordonnée, en 2013 le Conseil a proposé la création du parquet, mais les discussions ont toujours été  bloquées par la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne et la Suède. A cause de ces réticences persistantes, la coopération renforcée était la seule solution afin de protéger les intérêts financiers de l’Union. Par conséquent, d’après les prévisions de l’article 86, elle est mise en place en avril 2017 , quand 16 états-membres ont communiqué au Conseil leur intention de procéder à l’adoption d’un règlement portant création du parquet. Ainsi, le 8 juin 2017, vingt Etats membres sont arrivés à un accord politique quant à la création du parquet. Après ce progrès important, récemment, le 5 octobre 2017, le PE a donné son approbation au projet du règlement. Enfin, le 12 octobre 2017 ce Règlement a été adopté par les Ministres de la justice des Etats membres.

La compétence du parquet

Le parquet commencera ses travaux en 2020, sous la forme d’une instance indépendante, basée à Luxembourg. Il va diriger des enquêtes et mener des poursuites pénales, même au niveau national, contrairement à l’OLAF qui possède des pouvoirs afin d’enquêter mais pas de sanctionner. De plus, le parquet pourra procéder aux perquisitions et gels des produits de crime ainsi qu’à l’interception des données numériques. Chaque Etat membre aura un procureur européen qui sera entouré par 20 magistrats et en plus de procureurs délégués dans chaque pays afin de faciliter les enquêtes au niveau national.

Le but du parquet sera la protection des intérêts financiers de l’UE en mettant en place des enquêtes contre la corruption des fonctionnaires européens, le blanchiment d’argent, le détournement des subventions européennes, la fraude transfrontalière impliquant des fonds européens et la fraude sur le TVA, quand celle-ci dépasse les 10.000 euros. Malgré le fait que sa compétence ne sera pas étendue à toutes les formes de criminalité organisée financière, les Etats membres auront la possibilité de l’étendre aux autres formes de criminalité organisée et également au terrorisme. Mais la route afin d’y arriver paraît encore plus difficile.

Vers une nouvelle étape judiciaire européenne:

Malgré des réticences importantes, la protection des intérêts financiers de l’Union Européenne concerne tous ses Etats membres. La création du parquet paraît indispensable pour la poursuite des fraudes intracommunautaires et constitue un étape considérable dans l’espace judiciaire européen. Cette nouvelle jurisdiction contribuera à l’amélioration de la coopération et de la lutte et sera, peut-être, le début d’un rapprochement substantiel et d’une harmonisation en matière pénale, un volet traditionnellement national. Mais, pour arriver à une véritable confiance mutuelle dans le domaine pénal parmis les états-membres, il y a encore beaucoup des obstacles à dépasser, plutôt politiques que juridiques.

Marina Tsikintikou  est diplômée d’un Master en Droit Pénal de l’UE de l’ Université de Strasbourg

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