Confinement, naissances et égalité familiale

07 July 2021 /

7 min

Retour sur les ambitions manquées des congés de paternités et de coparentalité…

Plus d’un an après les premières mesures pour lutter contre la propagation de la pandémie, il convient de compter avec joie les premiers « bébés covids ». Si le contexte sanitaire impose des conditions difficiles pour donner la vie, cet article va se concentrer sur les ambitions européennes d’égalité de genre à partir des congés de maternité et de paternité. À cet égard, l’UNFPA indiquait déjà en mars 2020 que les différentes mesures prises pour lutter contre la crise sanitaire (la fermeture des écoles, le télétravail, etc.) ont un effet différentiel qui pèse davantage sur les femmes. En l’occurrence, l’expérience du confinement démontre que les femmes reprennent la plupart des tâches domestiques tout en devant télétravailler. 

Au bilan, cet article propose une réévaluation de la directive 2019/1158 sur les congés parentaux, les congés de paternité et des aidants, car elle présente des enjeux importants en matière d’équilibre entre homme et femme sur le marché du travail, mais aussi en ce qui concerne l’égalité familiale au moment de la naissance.

Une Europe qui ambitionne l’égalité entre les hommes et les femmes 

L’égalité entre hommes et femmes est affichée clairement comme un « objectif de l’Union » à l’article 8 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « pour toutes ses actions, l’Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes ». En ce sens, l’égalité entre hommes et femmes est inscrite comme une valeur fondamentale de l’Union.

Les congés de maternité ont été harmonisés et consacrés au niveau européen par la directive 92/85. Cette directive a fait l’objet d’une première tentative de révision en 2008 qui n’a pas abouti. Dans cette voie, la Commission a relancé en 2017 un projet de directive en faveur de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Le projet de directive se base sur l’article 153 §1 du TFUE qui consacre « l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail ». Ainsi, le projet de la Commission présentait différentes avancées en ce qui concerne l’égalité familiale : des congés parentaux, de l’allongement de la période non transférable du congé parental, du congé de paternité, d’un congé d’aidant et du droit de demander des arrangements de travail flexible. 

Cependant, le Conseil est resté mitigé vis-à-vis du projet. Si certains ont considéré que l’Union n’était pas compétente, d’autres comme les Pays-Bas et la Pologne ont estimé que la proposition n’était pas conforme au principe de subsidiarité. Par la suite, les discussions en elles-mêmes ont été également compliquées. À titre d’exemple, la France (déjà réticente au projet d’allongement du congé de maternité à 12 semaines) s’est opposée à la rémunération du congé parental. Encore, l’Allemagne refusait catégoriquement tout congé de paternité. En conséquence, le texte a été appauvri tout au long des négociations. À la grande tristesse des syndicats européens et des associations familiales, les propositions les plus fortes ont été abandonnées.

Contrairement au Conseil, le Parlement européen a été beaucoup plus ambitieux. Il a même cherché à renforcer certaines avancées et propositions de la Commission. Dans un contexte où les élections européennes de 2019 se rapprochent, et ne voulant pas risquer un nouvel échec en la matière, le Parlement a décidé d’avancer sur la base des propositions du rapporteur pour entamer les négociations interinstitutionnelles. Finalement, après 4 mois de discussions et six réunions en trilogues, les progrès de ce texte sont assez modestes. 

Quels droits concrets ? 

Eu égard aux difficultés politiques qu’a suscitées cette directive, beaucoup de ses points sont en fait une refonte des directives de 1996 et 2010. Cela concerne, par exemple, les absences au travail pour des raisons familiales impérieuses. Néanmoins, nous pouvons compter quatre domaines d’innovation : le congé de paternité, le congé d’aidant, le congé parental et le droit de la demande d’aménagements. Pour rester sur les questions d’égalité entre hommes et femmes, il convient d’analyser les droits relatifs aux congés parentaux, les droits aux aménagements et au congé de paternité obligatoire. 

Droit à un congé parental 

L’article 5 de la directive consacre un droit à un congé parental en raison d’une naissance ou de l’adoption. Ce congé a une durée de quatre mois et il offre un retour garanti dans l’emploi (article 10). La rémunération du congé parental consacré à l’article 8 est laissée à l’appréciation des États membres. En ce qui concerne les mères, ce droit s’ajoute aux quatorze semaines obligatoires consacrées par la directive de 1992 précitée. Ce droit peut être invoqué moyennant un préavis (déterminé nationalement), et l’ancienneté exigée du travailleur ne peut dépasser un an. Pour inciter les deux parents à prendre le congé, deux mois des quatre ne sont pas transférables. Dans les faits, très peu de pays ont dû changer leurs cadres légaux pour se conformer à la directive. Seuls l’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas, la Grèce, Chypre et Malte vont devoir intégrer une rémunération pour les deux premiers mois du congé. 

Droit aux aménagements pour les parents et les aidants

La directive de 2019 apporte une innovation en ce qu’elle rend obligatoires l’examen et la réponse aux demandes de tout aménagement concernant équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Plus particulièrement, le texte reconnaît un droit de demander des formules souples de travail (comme le télétravail, le temps partiel ou encore des horaires aménagés) pour les parents et les aidants jusqu’à un âge maximal de l’enfant (déterminé par les États membres sans dépasser huit ans).

Un congé de paternité de deux semaines

Il s’agit sans doute de la « grande nouveauté » de la directive. L’article 4 prévoit un congé de paternité (au bénéfice du second parent) d’au moins dix jours ouvrables à l’occasion d’une naissance ou adoption. Ici, la rémunération équivaut au moins à celle en cas de congé maladie (article 8). In fine, ce congé s’accompagne d’une garantie de retour à l’emploi moyennant une ancienneté de six mois maximum (article 10). 

Un enjeu crucial pour l’égalité homme-femme

Si certains peuvent légitimement afficher une déception quant à cette directive, force est de constater que des avancées sont à retenir. Le congé pour le second parent de dix jours ouvrables en est une. En ce sens, la directive s’inscrit dans une approche timide qui tend vers la reconnaissance d’un congé effectif pour les seconds parents suffisamment rémunéré et non transférable.  

Permettre un congé pour le second parent est essentiel pour réduire le « risque maternité ». Ce risque pèse sur les femmes et les discrimine sur le marché du travail. En effet, pour que les hommes et les femmes soient égaux sur le marché du travail, les responsabilités familiales doivent être partagées également. En l’espèce, l’égalité entre les genres doit se manifester dès le premier jour dans la participation à l’éducation de l’enfant et dans le partage des tâches ménagères avant et après les premières naissances. Selon l’institut pour l’égalité entre hommes et femmes, les statistiques montrent que les hommes préféreraient travailler moins d’heures pendant la phase parentale. Ces résultats suggèrent également un potentiel de changement : les aspirations des hommes pourraient être satisfaites en offrant aux familles des conditions d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

À cet égard, si la question des congés de paternité était sur la table des négociations lors de la composition de la Vivaldi, la Belgique pourrait s’inspirer d’autres mesures au sein des pays de l’Union européenne concernant les congés de paternité et de seconds parents.  Le Parlement espagnol a, par exemple, adopté un principe de remplacement du congé de paternité et de maternité rémunéré à 100% (moyennant un plafond), d’une durée de seize semaines non transférable. Parmi celles-ci, six semaines sont obligatoires pour les deux parents. Ce congé peut être pris de manière continue ou ponctuelle tant qu’il l’est jusqu’à la première année de l’enfant. En outre, la Suède établit 480 jours à partager entre les parents tout en gardant 60 jours réservés à chacun d’entre eux.

La Covid-19, changera-t-elle la donne?

Si la généralisation du télétravail a mis en lumière et contribué au recul de l’égalité entre hommes et femmes, alors il faut espérer que les premiers « bébés covids » ne vont pas accroitre ces inégalités. L’étude de la directive de 2019 montre de grandes divergences au sein des États membres qui en font une opportunité manquée. Dans un contexte de relance européenne, la question sera sans doute remise sur la table au moins au niveau national ou certains montrent déjà l’exemple. Au niveau belge, l’accord de la coalition Vivaldi avait prévu de doubler le congé de naissance pour le second parent (passant de 10 à 20 jours). La question de rendre ce congé obligatoire pose encore débat. Selon la ligue des familles et l’institut pour l’égalité entre hommes et femmes, la question de l’obligation est importante sur deux plans. D’une part, il s’agit de rendre ce congé effectif, car des seconds parents n’osent pas revendiquer ce droit par peur de représailles professionnelles. D’autre part, le but est de lutter contre le « risque maternité » qui pèse sur les carrières des femmes.

[Cet article est paru dans le numéro 34 du magazine]

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