Citoyenneté de demain, la jeunesse aux urnes : l’Europe face à la question cruciale du vote à 16 ans

07 March 2024 /

Nombreux sont ceux qui à 16 ans s’engagent et participent à la société, mais pourtant ils n’ont pas le droit de pratiquer l’un des actes les plus fondamentaux de la citoyenneté : voter.

Cet article a été publié dans notre 39ᵉ magazine.

À seize ans, on peut conduire, travailler, payer ses impôts… Et si on pouvait aussi voter ?

Dans de nombreux États-membres de l’Union Européenne, le débat sur le droit de vote à partir de seize ans resurgit systématiquement à l’approche des élections. Le dernier pays en date à avoir baissé l’âge du droit de vote est la Belgique en mai 2023. 

Ce changement du droit électoral belge s’est par ailleurs heurté à une particularité de la Loi qu’est l’obligation de vote en vigueur dans le pays. Dès lors, une question s’est posée : Est-ce que les jeunes électeurs de moins de 18 ans devront  eux-aussi “passer dans l’isoloir” comme doivent le faire tous les citoyens belges de plus de dix-huit ans ?

Avant que le Plat Pays ne saute le pas, l’Allemagne, la Grèce, Malte, et l’Autriche (précurseur en la matière…) avaient déjà voté des législations similaires. L’entrée de cette nouvelle frange électorale dans les sondages a apporté de nouveaux enjeux propres à chacun de ces pays, par exemple, en Allemagne, c’est la question de la digitalisation qui fait le plus écho aux 16-17 ans, à Malte, c’est la question de la qualité de la vie à laquelle les jeunes s’intéressent, et enfin, en Belgique, c’est surtout la nature même du système fédéral que les jeunes peinent à saisir.

Alors que pour l’Union européenne, ce sont les Gouvernements nationaux qui sont libres d’établir l’âge électoral minimum, le Parlement européen, en vue des élections européennes de 2024, a mis sur la table une résolution qui vise non seulement à l’harmonisation de l’âge minimum à travers tous les États-membres, mais aussi recommandé d’abaisser l’âge du droit de vote à seize ans.                                            

La position du Parlement se justifie notamment pour des raisons démographiques (population vieillissante) et démocratiques (augmenter la participation). Dès lors, quelle voie prendront les décideurs européens ?

Les Jeunes, trop immatures pour entrer dans l’isoloir…

Les détracteurs de cette nouveauté ont tendance à mettre en avant l’argument d’une immaturité présente chez les jeunes citoyens et futurs électeurs pour voter de manière éclairée et consciente des enjeux.

Cet argument se base sur l’idée que l’expérience de vie serait un facteur fondamental dans la création d’une opinion politique valable, et que les jeunes n’ayant pas suffisamment vécu voteraient donc en se basant principalement sur les a prioris qu’ils pourraient avoir de la vie “adulte”. De plus, et ce toujours selon une idée non-fondée, ils seraient trop occupés “à jouer à des jeux vidéos, à passer du temps sur leur téléphone portable ou à sortir avec leurs amis” pour s’intéresser à la politique.

 De ce fait, les jeunes de moins de 18 ans n’y connaîtraient rien à la politique et ne pourraient avoir de conscience politique ou sociale. Pire encore, les jeunes seraient particulièrement victimes de manipulation sur les réseaux sociaux, en particulier pendant les campagnes électorales, lorsque les discours démagogues et simplificateurs sont particulièrement présents sur Internet, et c’est ainsi qu’ils sauteraient plus facilement à pieds joints dans ces rhétoriques “alléchantes” tout bonnement parce qu’ils n’auraient pas ladite  maturité émotionnelle suffisante pour entrevoir les conséquences de leur choix électoral impulsif qui rentrerait en opposition avec le caractère presque solennel du vote.

Enfin, ceux qui placent la famille au cœur de leurs valeurs, considèrent que les seize ou dix-sept ans, qui n’ont pas eu à gérer l’éducation d’enfants et à faire face à ces responsabilités familiales, iraient voter sans conscience sur des enjeux sociaux réels et de leurs conséquences.

Les Jeunes, désireux de s’engager et de participer…

Cependant, contrairement à ce que semblent penser les partisans des arguments contre le droit de vote des jeunes citoyens à partir de 16 ans, les jeunes  semblent avoir une certaine conscience politique. Ces dernières années, les mouvements de jeunes avec des revendications se sont multipliés à travers l’Europe.

L’exemple du “European Youth Forum” qui réunit plus de 100 organisations à travers toute l’Union Européenne et représente plus d’un million de jeunes est révélateur d’une conscience politique chez les jeunes. Ce forum lutte pour les droits des jeunes en matière de logement, d’éducation, de travail ou de santé, et il se positionne en faveur d’un dialogue entre la politique et les jeunes. Selon eux, abaisser le droit de vote à seize ans renforcerait nos démocraties en réduisant le fossé entre les élus et les plus jeunes générations. À présent, ils sont actifs dans la société, bien souvent ils travaillent, conduisent et payent leurs impôts, déjà. En somme, nombreux sont ceux qui à 16 ans s’engagent et participent à la société, mais pourtant ils n’ont pas le droit de pratiquer l’un des actes les plus fondamentaux de la citoyenneté : voter.

Les marches pour le climat sont aussi un autre exemple particulièrement criant de l’engagement des jeunes. Par exemple, en Belgique en 2019, “Youth for Climate” lance le mouvement en s’inspirant de la Suédoise Greta Thunberg. Et à travers plus de 185 pays, ce sont plus de quatre millions de jeunes qui se sont mobilisés, pendant des semaines pour demander à leurs élus de remettre au premier plan de leurs politiques la lutte contre le réchauffement climatique. Les statistiques estiment que plus d’un tiers des manifestants avaient moins de 19 ans. 

Ces jeunes manifestants ont démontré, à travers leurs actions, vouloir s’engager dans la vie politique notamment pour des enjeux sociaux et environnementaux prépondérants qui auront des conséquences dans leur avenir.  Abaisser l’âge légal du vote serait donc une reconnaissance de cette conscience politique et de leur capacité à contribuer de manière significative à la vie démocratique. 

En outre, la société est confrontée à des défis complexes et se trouve à un moment décisif où les décisions prises par les gouvernements auront un impact direct et durable sur les jeunes générations, qu’il s’agisse d’éducation, d’emploi ou encore de protection de l’environnement. Leur voix devrait donc être entendue dans le processus décisionnel, car les jeunes seront les premiers à ressentir les conséquences de ces choix dans le futur.

Enfin, l’argument de l’ignorance des jeunes en matière de politique pourrait être très concrètement défait par leur participation dans le processus électoral et en abaissant l’âge de vote, les jeunes auraient l’opportunité d’acquérir une compréhension pratique du système politique et développer une identité citoyenne plus tôt. Le développement de cette dernière aurait un impact tout au long de la vie de ces jeunes citoyens et favoriserait une participation continue et informée à la vie sociale et politique.

En conclusion, la question de l’abaissement de l’âge du droit de vote à seize ans suscite un débat dont les enjeux sont complexes, mettant en lumière des arguments variés et parfois dichotomiques qui révèlent des visions contradictoires de la jeunesse. Face à ces interrogations importantes pour l’avenir de nos démocraties, il en revient aux décideurs européens de faire un choix éclairé, décisif en termes de reconnaissance des jeunes et de leur implication dans la Société.

Les arguments “contre” mettent en avant une immaturité des jeunes électeurs, la susceptibilité à la manipulation politique à travers les réseaux sociaux, et l’absence d’expérience de vie, mais ils sont contredits et ils le sont par une réalité où les jeunes démontrent une conscience politique et une vitalité grandissante. Les mouvements de jeunes, tels que le “European Youth Forum” et les “Marches pour le Climat”, témoignent de leur engagement et de leur désir de contribuer activement à la société.

D’un autre côté, abaisser l’âge du vote offre une opportunité d’intégrer les jeunes plus tôt dans le processus démocratique, renforçant ainsi la légitimité de la gouvernance. Leur participation active dans des mouvements sociaux et leur compréhension des enjeux contemporains indiquent une fraîche capacité à contribuer de manière réfléchie aux décisions politiques.

Au-delà des arguments théoriques, la réalité des défis auxquels la société est confrontée exige une implication des jeunes dans la prise de décision étant donnée des conséquences futures des choix d’aujourd’hui. En fin de compte, le choix des décideurs européens réside dans la reconnaissance de la maturité politique des jeunes et dans la volonté de favoriser une démocratie inclusive, où chaque voix, indépendamment de l’âge, contribue à façonner l’avenir. Le débat actuel représente une opportunité de transcender les préjugés sur la jeunesse et de créer une société où la participation citoyenne soit encouragée dès le plus jeune âge. 

Alors, quelle voie choisira l’Europe pour façonner son avenir démocratique ?

Marie El Bouziani est étudiante à l’Institut d’Études Européennes.

(Edité par Léa Thyssens)

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