Brexit, l’impasse européenne ?

30 October 2018 /

Suite au déclenchement officiel de l’article 50, le 29 mars 2017, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont deux ans pour négocier un deal. Nous sommes en novembre et le draft agreement de 585 pages vient d’être publié, la question de la frontière Irlandaise n’étant pas totalement résolue.

L’Irlande et le Royaume-Uni

Cela fait 20 ans qu’un accord de paix règne entre l’Irlande et le Royaume-Uni. L’accord du « Vendredi saint » a permis de mettre fin à trois décennies de combats entre séparatistes catholiques et loyalistes protestants, appelées la période de « troubles ». Signé en 1998 par Tony Blair et Bertie Ahern, cet accord semble aujourd’hui être totalement remis en question, mais pourquoi ?

L’accord prévoyait la suppression de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. Avec la mise en place de la libre circulation des biens et des personnes, introduite par l’Union européenne, les tensions entre le Nord et le reste de l’île se sont petit à petit estompées. Cependant, le Brexit remet au centre des préoccupations cette frontière car la sortie du marché unique implique la mise en place de contrôles aux frontières et donc sous-entendrait le retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et l’Irlande. Et ce, malgré un vote majoritaire (55,8%) en Irlande du Nord sur la question du Remain.

« L’Europe n’est pas un supermarché »

En mars 2018, une ébauche de l’accord est publiée par la Commission. Dans ce document, l’Union propose la solution de garder l’entièreté du territoire irlandais, comprenant l’Irlande du Nord,  au sein de l’union douanière. Cette proposition, le « backstop », permettrait donc de garder le continent Irlandais uni, mais aussi d’éviter l’imposition de points de contrôle au sein du territoire et donc d’une frontière.

L’UE prétend que les points repris dans le rapport ont été acceptés par les deux parties. Cependant, le Royaume-Uni ne tarde pas à rejeter la proposition du « backstop ». Theresa May explique qu’il serait inacceptable de revenir à une frontière physique, tout comme il serait inacceptable de briser le marché commun du Royaume-Uni, en créant une frontière douanière le long de la mer d’Irlande (May, 2 mars 2018). Malgré le refus de la première ministre, l’UE reste sur sa position et souhaite continuer sur cette voie. Il semblait clair, dès le départ, que la dépolitisation du sujet de la réunification mise en place par l’accord de paix était balayée d’un revers de main avec l’arrivée du Brexit.

Un peu d’Europe, beaucoup de Royaume-Uni.

Tout au long des négociations, les Britanniques ont prôné la position du soft Brexit, tout en ayant des conditions, énumérées en long et en large dans le White Paper publié par le gouvernement britannique. Theresa May souhaite donc reprendre le contrôle des frontières britanniques, tout en gardant une place privilégiée au sein du marché unique. Ce double objectif poursuivi par la première ministre est aux yeux des États membres et institutions un paradoxe, rappelé par Juncker : le Royaume-Uni ne peut pas garder les mêmes privilèges [ndlr : en parlant du marché unique et de l’union douanière] qu’un État membre après la sortie officielle (Juncker, 12 septembre 2018).

Au fur et à mesure que les négociations avancent, il semble que les deux parties n’arrivent presque plus à s’entendre. De son côté, le gouvernement britannique en est même arrivé à publier des fiches préparant les citoyens et entreprises aux conséquences d’un no deal. La Commission a entrepris la même tâche, confiée à Martin Selmayr.

Au fur et à mesure que les négociations avancent, il semble que les deux parties n’arrivent presque plus à s’entendre.

La position prônée par le gouvernement britannique lors des négociations implique, selon moi, de facto la mise en place d’une frontière physique en Irlande, au vu des conditions proposées par les Britanniques et de l’intransigeance européenne en ce qui concerne le maintien du Royaume-Uni dans l’union douanière. De plus, il semble peu probable que l’UE accepte la mise en place d’une zone de libre échange à la carte. Suivi de  la mise en place d’un organe de gouvernance indépendant qui permettrait aux deux camps de prendre des décisions communes. Cela signifierait une mise à l’écart de la Cour de justice européenne.

La position Irlandaise, presque oubliée…

Il semblerait que la position Irlandaise soit presque oubliée des négociations. Tout d’abord, le projet européen ne serait en aucun cas démocratique, l’avis des citoyens de l’Irlande du Nord n’ayant pas été demandé. De plus, il semble peu probable que ce projet passe, le soutien pour le Royaume-Uni étant encore grand en Irlande du Nord et les tensions entre les deux Irlande n’étant pas totalement apaisées. Arlene Foster, dirigeante du parti DUP (premier parti au sein de l’Assemblée de l’Irlande du Nord) déclarait en octobre être contre toute proposition qui créerait des contrôles entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni (Arlene Foster, 9 octobre 2018). Diane Dodds, eurodéputée nord-irlandaise, rappelait l’absurdité du plan de Barnier. Les deux femmes ont aussi tenu à rappeler que la position britannique n’était pas meilleure et qu’il devenait urgent de trouver des solutions.

Il semble peu probable que ce projet passe, le soutien pour le Royaume-Uni étant encore grand en Irlande du Nord et les tensions entre les deux Irlande n’étant pas totalement apaisées.

Il semble cependant que malgré l’imperfection de la solution du « backstop », une sortie sans accord serait catastrophique pour l’Irlande du Nord car cela ferait tomber le Royaume-Uni dans les règles unilatérales de l’Organisation Mondiale du Commerce. Cela aurait pour conséquence un retour d’une frontière physique entre les deux Irlande. De plus, il faut prendre en considération le fait que les acteurs économiques nord-irlandais sont principalement des petites et moyennes entreprises. Un « no deal »aurait des impacts négatifs immédiats sur ces acteurs.

Vers un second référendum ?

C’est ce que demandaient plus d’un demi-million de personnes réunies le samedi 20 octobre à Londres. Cette idée est montée en puissance au cours des négociations sur le Brexit et serait, selon certains, la seule façon de surmonter l’impasse des négociations. Il semble aujourd’hui que les citoyens britanniques aient pris conscience des enjeux du Brexit et qu’il faut donc un nouveau vote, déclaraient les organisateurs de la manifestation. Il faut aussi noter que la Commission électorale, un organisme indépendant au Royaume-Uni qui supervise les élections et les financements politiques, a condamné la campagne « Vote Leave ». Cette dernière s’est vu imposer deux amendes salées pour non-respect des plafonds de dépenses imposés par la loi électorale. Cependant, Theresa May est depuis le départ fermement opposée à l’idée d’un second vote. Alors que de nombreux politiciens, comme l’ancien premier ministre Tony Blair, soutiennent l’idée.

Mise à jour (16/11/2018): Draft agreement

L’accord de 585 pages publié à été suivi par des démissions en série, avec notamment celle du ministre en charge du Brexit Dominic Raab. Le texte prévoit une période de transition de 21 mois au cours de laquelle le Royaume-Uni n’aura plus son mot à dire sur les décisions européennes mais devra les appliquer. De plus, cet accord est contraignant car le Royaume-Uni ne pourra plus signer de traités de libre-échange avec d’autres pays pendant la période de transition. Cette contrainte a été vivement critiquée par les defendant d’un hard Brexit. Concernant la frontière entre les deux Irlande, la solution du backstop temporaire a été acceptée par May. Cela signifie donc qu’une solution viable n’a pas encore été trouvée et que les parties ont jusque juillet 2020 pour négocier.

A l’heure actuelle, le Brexit cristallise les oppositions et la solution semble encore lointaine, Theresa May étant fragilisée au plus haut point par les distensions au sein de son gouvernement. Ce qui est certain pour l’instant, c’est qu’aucune proposition ne sera parfaite.

Lorik Rexha est le co-président de Eyes on Europe et étudiant en sciences politiques à l’Université Libre de Bruxelles.

Sources :

Après le Brexit, quel avenir pour l’Irlande du Nord ? Ana Pouvreau, le 26 novembre 2017, Diploweb, https://www.diploweb.com/Apres-le-Brexit-quel-avenir-pour-l-Irlande-du-Nord.html

Accord du Vendredi saint: 20 ans après, la paix reste fragile en Irlande du Nord, Clotilde Ravel, 13/04/2018, Rfi, http://www.rfi.fr/hebdo/20180413-irlande-nord-20-ans-paix-fragile-ira-republique-loyalistes-brexit-sinn-fein

Philip Hammond: UK will enforce hard border in Ireland if there is no Brexit deal,Tom McTague, 1/10/2018,Politico,  https://www.politico.eu/article/philip-hammond-brexit-ireland-uk-will-enforce-hard-border-in-ireland-if-there-is-no-brexit-deal/

Brexit: EU can ‘certainly not’ accept Theresa May’s single market plan, Juncker warns, Jon Stone, The Independent, 12 septembre 2018,https://www.independent.co.uk/news/uk/politics/brexit-eu-uk-single-market-theresa-may-plan-jean-claude-juncker-a8533766.html

Theresa May: Chequers plan ‘only one to avoid hard border’, 16 septembre 2018, BBC News, https://www.bbc.com/news/uk-northern-ireland-45539190

Le Brexit ravive la flamme entre les deux Irlandes, Sonia Delesalle-Stolper, 19 septembre 2018,Libération ,https://www.liberation.fr/planete/2018/09/19/le-brexit-ravive-la-flamme-entre-les-deux-irlandes_1679934

Theresa May plots assault on EU’s Ireland Brexit demands,Tom McTague,19/09/2018, Politico, https://www.politico.eu/article/theresa-may-irish-border-brexit-assault-on-eu-demands/

Agence Europe, L’économie nord-irlandaise redoute l’impact financier et psychologique du retour d’une frontière physique avec l’Irlande, Bulletin Quotidien Europe 12117 – 16/10/2018

Agence Europe, Les unionistes nord-irlandais continuent de rejeter les solutions qui traiteraient l’Irlande du Nord différemment du reste du Royaume-Uni, Bulletin Quotidien Europe 12113 – 10/10/2018

Agence Europe, M. Barnier précise le fonctionnement du ‘filet de sécurité’ pour éviter le retour d’une frontière physique en Irlande, Bulletin Quotidien Europe 12115 – 12/10/2018

Agence Europe, Une paix nord-irlandaise encore récente et toujours fragile,Bulletin Quotidien Europe 12117 – 16/10/2018

Agence Europe, Faute d’accord imminent, les Vingt-sept sont invités à fixer des orientations sur la suite des négociations menant au Brexit, Bulletin Quotidien Europe 12118 – 17/10/2018

Agence Europe, Les Vingt-sept croient possible un accord sur le Brexit mais attendent toujours une percée sur la question irlandaise, Bulletin Quotidien Europe 12120 – 19/10/2018

Agence Europe, Pour Mme May, Londres doit choisir entre un filet de sécurité englobant le Royaume-Uni et une période étendue de transition post-Brexit,Bulletin Quotidien Europe 12122 – 23/10/2018

Only Ireland matters in final Brexit exam, Charlie Cooper, 3/09/2018,Politico, https://www.politico.eu/article/brexit-only-ireland-backstop-matters-in-final-brexit-exam/

The Irish border and Brexit,12 April 2018, FullFact, https://fullfact.org/europe/eu-referendum-and-irish-border/

Pas d’avancées sur le Brexit au Conseil européen,18/10/2018, Toute L’Europe, https://www.touteleurope.eu/revue-de-presse/revue-de-presse-pas-d-avancees-sur-le-brexit-au-conseil-europeen.html

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