Aux confins du Caucase : La Géorgie aux portes de l’Europe ?

03 March 2020 /

7 min

« La Géorgie est prête à prendre la place du Royaume-Uni ». Cette intervention de la Présidente Géorgienne Salomé Zourabichvili durant l’été lors d’un déplacement en France illustre aujourd’hui la volonté de la Géorgie d’adhérer à l’Union Européenne. Coincé entre les montagnes du Caucase et la mer Noire, la Géorgie est un pays riche en couleur et en histoire. Aux carrefours des empires et sur la route de la Soie, ce territoire a longtemps été la convoitise de ses voisins Ottomans, Perses et Russes. Ayant choisi la protection de son grand voisin orthodoxe, l’histoire commune de la Géorgie et de la Russie ne fut pas de tout repos. Aujourd’hui, Tbilissi ne regarde plus vers Moscou mais bien vers Bruxelles.

De l’indépendance au Partenariat oriental

Depuis l’éclatement de l’Union Soviétique et l’indépendance Géorgienne en 1991, l’Europe n’a cessé de soutenir Tbilissi dans sa transition politique. L’accord de partenariat de 1999 signé entre l’UE et les 3 pays du Caucase sud illustre ce soutien à travers une volonté européenne de renforcer et consolider le développement démocratique du pays. La révolution des roses en 2003 a permis à la Géorgie de s’éloigner un peu plus du spectre de la corruption et de mener des reformes sociales et économiques salué à l’époque par Bruxelles. Ce travail de refonte de la société Géorgienne passant, rappelons-le, d’une économie planifiée à une économie de marché, lui permis encore un peu plus de se rapprocher de Bruxelles via le partenariat Oriental. En effet, la Géorgie devint bénéficiaire de la politique européenne de voisinage et du partenariat oriental en 2009. A travers ce traité, l’UE garant une assistance dans le processus de démocratisation ainsi qu’une intégration économique avec des facilitations commerciales. Ce partenariat, signé entre l’Union Européenne et 6 états aux réalité différence (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, Moldavie, Ukraine et Biélorussie) permet à Bruxelles de contrecarrer le soft power russe et son influence sur les minorités russophones de la région.

Une Europe de plus en plus attractive pour les citoyens géorgiens

Le 13 décembre 2016 et après un accord entre le Conseil et le parlement Européen sur la libéralisation des visas, les citoyens de l’Union Européenne et les citoyens géorgiens peuvent se déplacer sur le territoire de l’autre partie sans obligation de visa. Cette facilitation permet de voyager sans obligation de visa lors d’un séjour d’une durée de 90 jours sur une période de 180 jours.  Cet accord de libéralisation a permis à plus d’un demi-million de citoyen géorgien à voyager au sein de l’espace Schengen sans complications administratives. Cependant, le nombre de demande d’asile provenant de la Géorgie a fortement augmenté passant de 12600 à 21000 demandes entre 2017 et 2019. Face à cette situation, L’UE et la Géorgie cherchent à mettre en place des mécanismes permettant d’atténuer ce flux de demandeurs. Dans l’ensemble, cette mesure a démontré « son utilité en permettant le rapprochement de l’Union Européenne et de la Géorgie » selon Carl Hartzell, ambassadeur de l’Union Européenne en Géorgie.

La lune de miel entre Bruxelles et Tbilissi

Comme l’illustre les multiples accords et partenariat en plus de la facilitation des visas, l’Union Européenne et la Géorgie ne cesse de se rapprocher. Le 22 janvier 2019, l’ancien président du conseil européen Donald Tusk confirma cette volonté de l’Union Européenne d’aller plus loin dans la coopération avec la Géorgie :  “L’Union européenne et la Géorgie sont unies par des liens étroits d’amitié et de partenariat. Le Premier ministre et moi‑même avons confirmé aujourd’hui notre volonté d’approfondir encore notre coopération sur la base de notre ambitieux accord d’association et de tenir compte du caractère stratégique de l’association politique et de l’intégration économique de la Géorgie avec l’Union.”

Cependant, du côté de Tbilissi, on rêve d’aller au-delà de la simple association. Selon la Présidente Zourabichvili, il n’y a pas d’autres perspectives qu’une intégration à l’Union Européenne. Cette dernière ambitionne d’atteindre l’adhésion à l’Union Européenne ainsi qu’à l’Otan pour 2025. Le sentiment d’appartenance à un espace européen n’est pas nouveau. En effet, les liens entre la Géorgie et les terres d’outre-mer Noire sont intimement lié tant au niveau culturel qu’historique.

Une illustration : L’école Européenne de Tbilissi

Au-delà des relations diplomatiques, l’Union Européenne investit de plus en plus en Géorgie notamment dans le domaine de l’éducation. En septembre dernier, l’Union Européenne a ouvert sa première école européenne en dehors de ses frontières. Cette école, basée à Tbilissi vise les étudiants des pays signataires de partenariat oriental. Le choix de la Géorgie n’est pas un hasard comme l’a expliqué Johannes Hahn, commissaire européen chargé de l’élargissement à l’époque. Selon lui, la Géorgie est un pays moteur en termes de développement et d’État de droit. L’objectif de l’établissement sera pour lui un moyen « d’intégrer le système géorgien dans le système éducatif européen en alignant le programme scolaire géorgien sur les normes européennes ». Cette école européenne illustre donc un pas de plus de la Géorgie vers l’idée Européenne. Mais est-ce gagné pour autant ?

Mais est-ce que l’adhésion européenne n’est pas une utopie ?

Malgré les nombreux éléments cités précédemment, l’adhésion de la Géorgie à l’Union Européenne parait lointaine voire inimaginable. Vivant de nombreuses crises existentielles dû tant au populisme ou au Brexit, certains comme le Président Français Emmanuel Macron n’a pas comme priorité d’avancer sur un quelconque élargissement actuellement. Comme l’ont illustré le blocage des discussions concernant l’Albanie et la Géorgie, la priorité n’est pas l’arrivée de nouveaux acteurs étatiques à Bruxelles.  De plus, peu d’État membres ont ouvertement soutenu l’adhésion Géorgienne (notamment la République Tchèque ou la Suède).

L’ombre russe sur une Géorgie fragmentée

Cependant, le plus gros problème n’est pas externe mais bien interne à la Géorgie à savoir l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Ces deux territoires représentent plus de 20% du territoire géorgien. Depuis l’éclatement de l’Union Soviétique, ces deux territoires ont autoproclamé leurs indépendances face au pouvoir central. Ils ne sont aujourd’hui reconnus que par très peu d’états dans le monde et sont soutenus militairement par la Russie.

Pour rappel, début aout 2008 et dans un contexte instable ou l’Ossétie du Sud renforça ses liens avec la Russie et une Géorgie plus proche que jamais de l’OTAN, l’armée Géorgienne attaqua la province autonome notamment en bombardant sa capitale Tskhinvali. En réponse à cela, la Russie envoya des chars et son armée pour soutenir les forces Ossètes. Le bilan de ce conflit qui dura 5 jours fait état de la mort de plus de 800 personnes. Aujourd’hui, ce petit bout de Géorgie d’à peine 56000 habitants est protégé militairement par des soldats russes déployés tout le long de la frontière.

La situation est aujourd’hui gelée et il n’est pas improbable d’assister à une escalade qui pourrait bouleverser une fois de plus le fragile équilibre régional qui subsiste dans le Sud Caucase. Face au cas Abkhaze et Ossète, l’Union Européenne soutient un règlement pacifique permettant une sortie de l’impasse actuelle tout en garantissant l’intégrité du territoire Géorgien. Elle contribue notamment à la stabilité des relations entre les différents acteurs via la présence d’une mission d’observation sur place. Cependant, tant que ce contentieux ne sera pas réglé, il est inconcevable de voir la Géorgie rejoindre l’Union Européenne.

Quel avenir pour la Géorgie et l’UE ?

Malgré une démocratisation et un renforcement des relations entre Bruxelles et Tbilissi, il est encore difficilement possible de corréler à l’avenir une intégration à l’Union Européenne de la Géorgie. Les problèmes internes à l’Union Européenne d’un côté, les velléités russes et sa volonté de ne pas voir un de ses pays limitrophes rejoindre la sphère européenne ainsi que les problèmes Abkhaze et Sud Ossète renforcent l’idée d’un partenariat de plus en plus solide entre la Géorgie et l’Union Européenne. La Géorgie futur membre de l’UE ? L’avenir nous le dira.

Romain Biesemans, Co-président de Eyes on Europe, étudie en première année de master en sciences politiques à l’ULB.
 

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