Amsterdam : Les coffeeshops bientôt interdits aux étrangers pour lutter contre le tourisme de masse

05 April 2021 /

8 min

Les dix dernières années ont été marquées par l’explosion du tourisme dans la ville d’Amsterdam, capitale emblématique des Pays- Bas. La ville qui ne compte que 830 000 habitants, a accueilli pas moins de 46  millions de touristes  en 2019. La ville est mondialement connue pour son architecture typique et pittoresque et pour le charme de ses rues et de  ses canaux, mais elle l’est désormais tout autant pour ses coffeeshops, où la consommation de cannabis est autorisée. Depuis la mise en place de restrictions touristiques liées à la crise du Covid, la ville connaît un ralentissement massif du tourisme. Les élus de la ville, dans le but de redorer l’image d’Amsterdam, ont proposé une mesure visant à interdire les coffeeshops aux visiteurs étrangers d’ici à l’année prochaine. 

AMSTERDAM : “LA CAPITALE DU CANNABIS”

En 1976, les Pays-Bas sont le premier pays d’Europe à tolérer la consommation de cannabis dans les coffeeshops. Mais, bien que la possession de moins de 5g soit autorisée, toute production et tout transport est interdit. Cette unicité attire et ce, depuis de nombreuses années. Il semble que pour beaucoup de touristes étrangers, Amsterdam rime désormais avec “cannabis”. Mais il faut dire que la ville, vit aussi de cette réputation et de ce “business”. Il est commun de trouver, dans l’immense majorité des boutiques de souvenirs, toutes sortes d’objets dérivés marqués de la fameuse plante. Mais ceux qui attirent le plus restent les établissements  dans lesquels  il est possible d’acheter de la majijuana et de la consommer sur place, sans se trouver dans l’illégalité : les coffeeshops. Aujourd’hui, l’on dénombre à Amsterdam pas moins de 170 coffeeshops, la grande moitié d’entre eux étant majoritairement fréquentés par les visiteurs étrangers. La majorité  des coffeeshops vivent donc de la clientèle étrangère. Désormais, passer un weekend à Amsterdam sans rentrer dans un coffeeshop semble de moins en moins concevable. Selon une étude effectuée par le gouvernement hollandais, 57% des visiteurs qui se rendent à Amsterdam, viennent dans le but de profiter de cette liberté offerte par la ville. L’immense majorité d’entre eux viennent de pays européens voisins comme de France, de Belgique, d’Allemagne, du Royaume-Uni mais aussi d’Espagne et du Portugal. 

UN MODÈLE TOURISTIQUE AUJOURD’HUI REJETÉ

Bien que ce marché soit hautement lucratif et attractif,  la nouvelle Maire écologiste de la ville, Femke Halsema, souhaiterait, dans le courant de l’année 2021 interdire l’accès aux coffeeshops aux visiteurs étrangers. Selon elle “le marché du cannabis est trop grand et surchauffé”. Elle affirme que“ les coffeeshops, notamment ceux du centre ville, sont en grande partie occupés par les touristes”, “cela ne fait qu’accroître la demande”. Selon elle, interdire la vente de marijuana aux touristes au sein des coffeeshops est la seule alternative possible pour réduire les réseaux illégaux et la criminalité, qui ne cesse d’augmenter dans certains quartiers de la ville. 

De plus, les plaintes des locaux ne cessent d’augmenter, accusant les touristes, surtout jeunes, de n’en faire qu’à leur tête dans  les rues de la ville. Une habitante du quartier rouge témoigne : “c’est un mélange de consommation extrême de cannabis, de drogues hallucinogènes et d’alcool”. Elle poursuit “ cela les rend totalement incontrôlables, ce qui crée une réelle tension dans les rues de la ville”. Une autre habitante de longue date, Els Iping, confirme : “Des hordes de touristes passent devant ma fenêtre tous les jours. Désormais, le week-end débute le jeudi soir, avec les cris et les braillements des touristes saouls. Et je ne vous parle pas des déchets qu’ils laissent sur les trottoirs!”. 

Les habitants se plaignent de plus en plus d’une forte  dégradation de leur cadre de vie, leur voisinage leur paraît méconnaissable.La même habitante affirme que  l’atmosphère dans son quartier a beaucoup changé. Selon elle, “les petits magasins locaux ont été remplacés par des boutiques de souvenirs. J’ai l’impression d’être une touriste dans mon propre quartier”. Elle continue “ Les touristes eux mêmes s’en plaignent, car ils ne croisent que des touristes”. 

Pourtant, c’est bien la ville d’Amsterdam, qui pendant des années, a fait la promotion de cette forme de tourisme qui offrait “la liberté”. Cependant, une prise de conscience est en train de s’opérer : la stratégie touristique reposant sur la consommation de cannabis, d’autres drogues ainsi que d’alcool ne peut plus durer. Selon une locale,  c’est ce modèle touristique qui attire depuis des années des visiteurs  “qui ne respectent rien et se comportent mal”. 

PENSER LA NOUVELLE STRATÉGIE TOURISTIQUE

“Notre liberté ne peut être un laisser-passer pour des groupes importants de jeunes qui vomissent dans les canaux parce qu’ils ont trop fumé ou trop bu». Femke Halsema

Tout comme dans la ville de Venise, la crise du Covid et l’arrêt soudain du tourisme a eu un impact sur la volonté d’insuffler une nouvelle dynamique à Amsterdam et de redorer son blason. La Maire de la ville le confirme bien “ Nous pouvons être une ville ouverte, hospitalière et tolérante, mais aussi une ville qui rend la vie difficile aux criminels et ralentit le tourisme de masse”. Elle déclare aussi “notre liberté ne peut être un laisser-passer pour des groupes importants de jeunes qui vomissent dans les canaux parce qu’ils ont trop fumé ou trop bu». Femke Halsema affirme aussi que “ Amsterdam est une ville à caractère international et nous souhaitons toujours attirer les touristes – mais pour sa richesse, sa beauté  et ses institutions culturelles”.  

Après la crise sanitaire, les institutions touristiques hollandaises souhaiteraient diriger les touristes vers d’autres villes du pays, toutes aussi charmantes et typiques. Pousser les touristes à découvrir d’autres lieux serait un moyen de rétablir un équilibre touristique au sein du pays.Dans  bon nombre de villes aux quatres coins du pays, la consommation de majiruana dans les coffeeshops est toujours autorisée, ce qui participerait à diriger les touristes venus dans ce but vers des localités moins bondées.

 Dans les prochaines années, seuls les locaux seront autorisés à fréquenter les coffeeshops de la capitale, ce qui réduira leur nombre de façon considérable : seulement une soixantaine d’entre eux suffiront à répondre à la demande de la population locale. Selon les conclusions de l’étude réalisée par le bureau de recherches, d’informations et de  statistiques d’Amsterdam, 34% des étrangers se rendraient moins souvent dans la ville si l’interdiction était mise en œuvre. Cependant, seulement 11% des touristes déclarent ne plus jamais se rendre à Amsterdam dans le cadre d’une interdiction de consommation du cannabis. L’étude montre aussi que 42% des Britanniques s’y rendraient bien moins souvent, et que 12% d’entre eux cesseraient tout  simplement de visiter la ville. Cette mesure pourrait donc avoir un réel  impact sur le tourisme de masse. 


UNE MESURE QUI FAIT DÉBAT

Bien que les chiffres des études effectuées sur un panel de touristes étrangers soient encourageants pour les officiels de la ville, un chiffre sème tout de même le doute quant à la réelle efficacité de la mesure. En effet,  40% des touristes interrogés déclarent se plier à l’interdiction si celle-ci rentre en vigueur, mais visiteront tout de même la ville. Les visiteurs en quête de coffeeshops se dirigeront probablement vers les autres villes du pays, ce qui risque de simplement déplacer le problème dans les autres municipalités.  

Par ailleurs, les propriétaires de coffeeshops déclarent leur grande inquiétude quant au futur de leurs établissements. Une majeure partie de leur chiffre d’affaires, déjà fortement réduit en 2020, serait alors supprimée. Si la  mesure venait à être adoptée, un grand nombre d’entre eux se verraient dans l’obligation de mettre la clé sous la porte. L’inquiétude monte aussi quant à la criminalité des réseaux de vente de cannabis. En effet, si la vente ne peut plus se faire au sein d’établissements dédiés, alors, elle risque de se faire à même les rues, ce qui pourrait participer à l’augmentation des réseaux illégaux et la violence urbaine, ce qui ternirait encore davantage l’image d’Amsterdam. 

Par ailleurs, dans la continuité de la  transformation touristique voulue par les autorités,  les officiels songent aussi à déplacer le quartier rouge aux abords de la ville, dans le but de désengorger les petites rues de l’hypercentre d’Amsterdam, souvent bouchées par des grands groupes de touristes en visite guidée, souvent à la nuit tombée. 

Ainsi, la ville d’Amsterdam est sur le point de modifier son modèle touristique, dans la volonté de revenir à une vie plus calme et à une atmosphère moins haletante. La mesure visant à bannir les touristes des coffeeshops n’a cependant pas encore été votée par le conseil municipal de la ville, rien n’est donc encore joué, bien que cette mesure ait de nombreux supporters. La ville souhaite donc devenir une ville européenne plus “normale” et plus “calme”, certains abordent même le terme “élitiste”. La ville aspire à privilégier ses musées, comme le musée Van Gogh, le Rijksmuseum ou bien sûr l’incontournable maison d’Anne Frank, ses canaux, ses monuments historiques comme le Palais Royal, sa gastronomie aussi, avec les célèbres Stroopwafel. La capitale des Pays-Bas, qui fêtera en 2025 les 750 ans de sa fondation, souhaite donc une politique touristique plus raisonnée dans les quatre ans à venir. Mais, la ville ne va-t-elle pas perdre une partie de son folklore et de ce qui constitue une partie de sa renommée européenne et mondiale ? 

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