Accroître les capacités du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies

22 January 2021 /

8 min

Créée en 2005, suite à l’épidémie du SRAS, l’ECDC est une agence européenne dont le rôle consiste à coordonner l’échange des données épidémiologiques, entre les Etats membres et l’Union européenne, dans le domaine des maladies transmissibles. La pandémie actuelle a nettement pointé les faiblesses de l’ECDC, et l’Union européenne propose aujourd’hui d’élargir son mandat afin qu’il soit en mesure de prévenir et de gérer plus efficacement les risques sanitaires à l’échelle européenne.

L’échec de l’Union européenne dans la gestion immédiate de la crise sanitaire

La crise sanitaire que nous traversons en Europe depuis le début de l’année 2020 a mis en exergue l’inaptitude de l’Union européenne à y répondre de manière efficace. L’explication réside dans sa compétence limitée en matière de santé publique. En effet, d’après l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, celle-ci n’a qu’un pouvoir d’appui et les Etats restent dès lors responsables de leur politique de santé. 

Il est pourtant évident que la pandémie actuelle est un problème commun qui dépasse les frontières nationales, rendant ainsi nécessaire l’adoption d’une stratégie européenne. En témoigne l’adoption, en 2013, d’une décision du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne qui renforce la coopération des Etats dans la lutte contre les menaces sanitaires transfrontalières graves sur la santé. A cet égard, l’Union européenne constitue un espace dans lequel les citoyens européens circulent librement et ce, même porteurs d’une maladie transmissible grave. 

Or, l’Union européenne n’a réagi que tardivement, la deuxième semaine du mois de mars, avec la décision de fermer ses frontières extérieures. Qui plus est, la première réaction des gouvernements nationaux fut de prioriser leurs propres intérêts en adoptant des stratégies différentes, au détriment parfois des autres Etats. 

Le rôle essentiel de l’ECDC depuis le début de la crise sanitaire 

L’ECDC est précisément au cœur d’un réseau de surveillance des risques infectieux qui découlent de maladies transmissibles. Concrètement, il s’agit pour les experts du Centre de collecter et de produire des rapports à partir d’informations fournies par les autorités nationales compétentes. Dans le cadre du système TESSy, le Centre publie sur son site internet des rapports qui font le point sur le risque potentiel infectieux en Europe. Des rapports quotidiens sont également réalisés, mais cette fois-ci exclusivement à l’intention des Etats européens dans le cadre du Epidemic Intelligence Information System (EPIS). 

Par ailleurs, l’expertise du Centre est requise sur demande par des acteurs clés de la gouvernance européenne en matière de santé. Il s’agit de la  Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne  ainsi que des ministres de la Santé rassemblés au sein du Conseil de l’Union européenne. L’ECDC soutient  notamment la première dans la gestion du système d’alerte précoce et de réaction (EWRS). Le réseau de ses partenaires ne s’arrête pas là puisque le Centre est en contact très étroit avec d’autres agences européennes, telles que l’Agence européenne des médicaments (EMA), ainsi que l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Aujourd’hui, la crise sanitaire a pour vertu de mettre en évidence le rôle essentiel du Centre dans la gestion européenne des épidémies. D’abord, son travail de surveillance de la situation épidémique s’est sensiblement accru. En effet, le Centre œuvre selon trois stades d’urgence — 0, 1, et 2 — et c’est le stade 2 qui est actif aujourd’hui. Ce stade d’urgence maximal implique la mobilisation de ressources internes — humaines et financières — considérables pour traiter spécifiquement de la COVID-19. Plus précisément, une partie des ressources financières ont été réaffectées à la gestion de la pandémie et les experts se sont vu reconnaître des responsabilités en la matière. Le rythme de travail s’est visiblement accéléré et les membres de l’ECDC ne comptent désormais plus leurs heures. Malgré la densité des ressources mobilisées pour la COVID-19, il convient de souligner que l’ECDC a été, jusque-là, en mesure de continuer à fournir son expertise dans ses autres domaines de compétence.

Ensuite, l’importance accrue du Centre s’observe à l’augmentation significative du nombre de visites du site internet. Ce dernier fournit une multitude de données, actualisées quotidiennement, sur la situation épidémiologique de chaque pays dans le monde. On y trouve un nombre gigantesque de rapports qui évaluent les risques infectieux et procurent des conseils techniques à l’intention des autorités sanitaires et des professionnels de santé. De surcroît, l’ECDC a gagné en visibilité dans les médias européens et nationaux. Un exemple parmi d’autres : sur le site du journal européen Euractiv, l’ECDC est cité 23 fois en 2020 contre seulement trois fois au maximum les années précédentes. 

Enfin, il est certain que l’ECDC continuera à jouer un rôle clé jusqu’à la fin de la pandémie étant donné que la vaccination constitue l’une de ses priorités. En dépit du fait que les politiques de vaccination relèvent de la compétence nationale, l’ECDC participe à la coordination des Etats, avec la publication de ses rapports et l’organisation de formations autour de la vaccination. 

Le manque cruel d’autonomie et de ressources de l’ECDC 

Nonobstant l’accroissement, depuis le début de la crise sanitaire, de la responsabilité et de la visibilité de l’ECDC, sa créativité et son dynamisme ont été fortement limités en raison des règles de fonctionnement propres à toute agence européenne. En effet, son mandat est défini au préalable par l’Union européenne et les Etats. Ainsi n’est-il pas susceptible de changement sauf à ce que ces derniers en décident autrement. Qui plus est, les ressources de l’ECDC sont particulièrement restreintes. Bien que ces dernières aient augmenté depuis 2005, elles ne sont pas équivalentes à celles allouées à d’autres agences européennes, ou à son équivalent américain, ou encore à l’OMS. 

D’après l’article 4 du règlement fondateur du Centre, il incombe aux Etats membres de « [fournir] en temps utiles au Centre les données scientifiques dont ils disposent », et de « [communiquer] au Centre tout message transmis au réseau communautaire par l’intermédiaire du système d’alerte précoce et de réaction ». Compte tenu de son rythme de publication très élevé, il arrive parfois que les Etats se retrouvent dépassés par les évènements et ne soient donc pas en mesure de transmettre les données épidémiologiques au Centre aussi rapidement qu’il le faudrait. Dans ce cas, l’ECDC est empêché de publier. En outre, ce sont les Etats qui contrôlent les données, si bien que l’ECDC est dans l’incapacité de vérifier leur exactitude, sur laquelle repose pourtant sa crédibilité.

Ce sont également l’Union européenne et les Etats qui décident de l’enveloppe budgétaire allouée au Centre dans le cadre des négociations du budget européen, puis de sa distribution au sein du management board. 

Il faut bien comprendre que les rapports de l’ECDC n’ont aucune force obligatoire pour les Etats. Néanmoins, ce caractère non contraignant n’a jamais fait l’unanimité et il y a, au contraire, discussion entre ces derniers. En effet, les Etats les moins confiants et aux ressources les plus faibles souhaiteraient recevoir des recommandations et non de simples informations techniques comme c’est le cas aujourd’hui. Concrètement, cela implique que les gouvernements nationaux sont libres de suivre ou non l’expertise du Centre. Pour les Etats, se prévaloir de ces rapports leur octroie davantage de crédibilité. Mais s’ils décident de ne pas en tenir compte, ils ne sont aucunement inquiétés, d’autant plus que les rapports de l’Epidemic Intelligence Information System sont tenus secrets.

Vers une « Union pour la santé » après 2020

L’Europe de la santé a été construite par les crises. Suite à l’épidémie du SRAS en 2003, les Etats ont pris conscience de la nécessité de renforcer leur coopération et leur coordination dans la gestion des épidémies. C’est ainsi que l’ECDC a vu le jour. Aujourd’hui, la pandémie de la COVID-19 nous offre l’occasion de renforcer de plus belle les pouvoirs de l’Union européenne pour une gestion plus efficace des crises liées aux épidémies.

La crise sanitaire survient au moment même de la révision au niveau européen, pour les sept années à venir, du budget ainsi que du programme de la santé, EU4Health. En outre, des discussions sont en cours afin de réformer l’OMS qui a également montré des difficultés à prévenir et gérer cette crise de manière efficace. Tout converge ainsi pour une réforme des pouvoirs de l’Union, et notamment de l’ECDC, dont le rôle est central dans la préparation et la gestion des menaces sanitaires transfrontalières. 

Et c’est la voie empruntée par l’Union européenne comme en témoigne le discours ambitieux sur l’état de l’Union, prononcé au mois de septembre, par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Pour construire une Union de la santé « plus forte », cette dernière propose de renforcer les pouvoirs des agences européennes ainsi que de créer une nouvelle agence, équivalente de l’Autorité pour la recherche et développement avancée dans le biomédical (Barda) aux États-Unis. Aussi, souligne-t-elle l’urgence qu’il y a à examiner la question des compétences en matière de santé.

Après les paroles, viennent les actes. Le 11 novembre, Bruxelles dévoile des propositions concrètes pour construire une « Union pour la santé », parmi lesquelles un élargissement du mandat de l’ECDC. Pour le dire brièvement, il s’agit d’établir une meilleure coopération et coordination entre les Etats. Par exemple, l’ECDC sera désormais autorisé à recommander des mesures à l’intention des Etats. Des standards communs seront également appliqués aux données épidémiologiques collectées. Le mandat de l’ECDC au sein du système d’alerte précoce et de réaction sera élargi au-delà du simple échange d’informations. Le Centre sera, enfin, chargé de coordonner un réseau de laboratoires de référence permettant ainsi de renforcer les compétences de l’Union en matière de protection sanitaire. 

Initialement de 9,4 milliards d’euros, le budget avait été réduit à 1,6 milliard au mois de juillet en raison de l’opposition des Etats frugaux à dépenser davantage. Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont finalement parvenus à s’accorder sur la décision d’allouer 5,07 milliards à la santé.

On ne peut que se réjouir de ce projet d’une « Union pour la santé ».  Accroître les capacités de l’ECDC n’était, toutefois, qu’une première étape, à moindre coûts. L’instauration d’une nouvelle agence ainsi que la révision des traités vont demander plus de temps et de négociations. Quoi qu’il en soit, nous nous dirigeons manifestement vers l’émergence d’une Union européenne de la santé plus solide et crédible. 

Cet article est paru dans le numéro 33 du magazine.

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