Majorité numérique : l’Union européenne hausse le ton face aux dangers du numérique
29 December 2025 /
Gauthier Van Outryve 3 min

Face à la montée des risques liés aux réseaux sociaux pour les adolescents (cyber harcèlement, troubles anxieux, exposition à des contenus violents), le Parlement européen a adopté fin novembre un rapport demandant de fixer à 16 ans l’âge d’accès aux plateformes. L’idée est de renforcer la sécurité numérique des mineurs dans un environnement devenu central dans leur quotidien. Pour cela, les eurodéputés veulent une vérification d’âge robuste et une responsabilisation accrue des géants du numérique.
Pourquoi une régulation plus stricte ?
Les réseaux sociaux occupent une place considérable dans la vie des adolescents européens. En 2024, la quasi-totalité des 16–29 ans y étaient actifs quotidiennement. Les risques associés sont désormais bien identifiés : troubles de l’attention, sommeil perturbé, exposition à des contenus problématiques ou violents, pression sociale constante. Les institutions sanitaires, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soulignent une hausse préoccupante des troubles dépressifs et anxieux chez les jeunes, associée à un usage excessif des écrans.
Ce phénomène touche aussi les relations sociales, les adolescents passent moins de temps à sortir, pratiquer une activité sportive ou interagir en face-à-face. Les chercheurs constatent une forme de solitude paradoxale :les jeunes sont hyperconnectés par écran, mais moins entourés physiquement.
Les mécanismes techniques amplifient la vulnérabilité des jeunes. Les systèmes algorithmiques créent un défilement infini de vidéos courtes, souvent commerciales ou sensationnalistes. Ce « piège du scroll » nourrit la dépendance et expose les mineurs à des flux continus de contenus difficiles à contrôler.
Ces constats alimentent une demande politique. Les plateformes doivent cesser de concevoir des fonctions addictives pensées pour capter l’attention, particulièrement celle des mineurs.
Ce que propose le Parlement européen : une majorité numérique harmonisée
En novembre à Strasbourg, les eurodéputés ont adopté très largement (483 voix pour) un rapport demandant à l’Union d’introduire une majorité numérique à 16 ans, applicable sur tout le territoire.
La proposition prévoit plusieurs seuils :
| Âge | Accès aux réseaux sociaux |
| Moins de 13 ans | Interdiction totale |
| 13–16 ans | Accès seulement avec consentement parental vérifié |
| 16 + | Accès libre sous réserve des règles générales |
Contrairement au Règlement général sur la protection des données (RGPD), règlement européen directement applicable, qui laisse aux États membres le choix de fixer l’âge du consentement numérique entre 13 et 16 ans, cette mesure introduit un cadre unique à l’échelle européenne.
Autre changement majeur, c’est désormais les plateformes et non plus les parents qui deviendraient responsables de s’assurer que les mineurs ne puissent pas contourner les règles. Un simple formulaire où l’enfant déclare son âge ne suffira plus.
Plusieurs mécanismes de sécurité complémentaires sont envisagés. Les fonctionnalités les plus addictives seraient désactivées par défaut, les pratiques ciblant spécifiquement les mineurs seraient interdites et, si cette orientation politique devait à terme se traduire par une législation contraignante, les sanctions en cas de manquement pourraient être renforcées. L’objectif est clair : inciter les entreprises du numérique à concevoir des services réellement adaptés à l’âge de leur public et à la vulnérabilité des plus jeunes.
Comment vérifier l’âge sans mettre en danger la vie privée ?
Pour garantir l’application de la mesure, les institutions européennes insistent sur la mise en place d’un système de vérification d’âge à la fois robuste, interopérable et respectueux de la vie privée. Le projet repose sur un principe de double anonymat. L’opérateur chargé de la vérification ne connaît pas l’identité complète de l’utilisateur, tandis que la plateforme n’a pas accès aux documents utilisés pour confirmer l’âge.
Des solutions sont actuellement testées dans plusieurs États membres, et pourraient s’appuyer sur le futur portefeuille d’identité numérique européen, dont le déploiement est prévu dans l’Union. L’objectif est de protéger les mineurs sans pour autant constituer une base de données centralisée d’identités d’enfants, un risque régulièrement souligné par les défenseurs des libertés numériques.
Une mesure qui relance un débat de fond
Si ce rapport n’a pas encore de valeur contraignante, il adresse néanmoins un message politique fort aux plateformes. Pour les eurodéputés, les mesures actuelles ne suffisent pas à enrayer les dangers qui se multiplient : le cyberharcèlement progresse, les contenus haineux ou violents restent facilement accessibles, et une part importante des jeunes développe des comportements de dépendance numérique. Au-delà de la santé mentale, certains soulignent également les effets potentiels sur la démocratie, les réseaux sociaux pouvant devenir des vecteurs de manipulation de l’information et de brouillage des frontières entre le vrai et le faux.
Cette stratégie suscite toutefois des réserves. Plusieurs observateurs s’inquiètent des risques d’atteinte à la vie privée liés à la vérification d’âge, ou encore d’un possible isolement social si une partie des adolescents se retrouve exclue d’espaces d’expression devenus centraux dans leur vie quotidienne. D’autres craignent une efficacité limitée, les jeunes maîtrisant déjà largement les moyens de contournement, via des VPN ou des identités falsifiées.
Face à ces préoccupations, plusieurs acteurs, dont Christel Schaldemose, rapporteuse du rapport adopté par le Parlement européen, soulignent que les mesures de régulation doivent s’accompagner d’un investissement renforcé dans l’éducation aux médias. Selon eux, la protection des jeunes ne peut reposer uniquement sur des restrictions d’accès, mais doit aussi viser à leur donner les clés pour évoluer sur les réseaux sociaux de manière responsable, critique et sûre, tout en continuant à bénéficier d’outils qui façonnent désormais une part essentielle du lien social.
En portant l’âge d’accès aux réseaux sociaux à 16 ans, les eurodéputés espèrent réduire l’exposition des mineurs aux contenus dangereux, limiter les addictions, et responsabiliser les plateformes. Mais cette orientation politique n’aura de sens que si elle s’accompagne d’une mise en œuvre rigoureuse, de contrôles efficaces et d’un véritable investissement dans l’éducation aux médias. La protection des jeunes ne peut pas reposer sur une seule règle d’âge : elle demande une réponse globale, à la hauteur des transformations que le numérique impose à la société.