La participation citoyenne : une voix pour le peuple ou la voie de l’illusion ?

01 décembre 2016 /

« La division se situe entre ceux qui se sentent représentés politiquement et ceux qui ont l’impression d’être laissés pour compte – jusqu’à l’arrivée d’un dirigeant populiste» affirmait l’archéologue et écrivain David Van Reybrouck, vis-à-vis du manque de représentativité des citoyens de l’Union européenne. Un vote périodique suffit-il pour assurer la représentation démocratique ?

En septembre dernier, le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, déclarait lors de son discours du l’État de l’Union, que l’Europe traversait, «au moins en partie, une crise existentielle”. En effet et malheureusement, l’un des moyens   pour les citoyens de se faire entendre dans l’Union européenne est désormais la provocation (référendum du Brexit, montées des populismes en France, aux Pays-Bas et dans les pays de l’Est comme la Hongrie, la Slovaquie et l’Autriche, etc.). C’est le signe d’un problème structurel dû à un manque de dialogue démocratique.

Des instruments de participation démocratique existants

Il serait cependant injuste d’avancer que l’Europe n’offre aucun moyen de participation démocratique aux citoyens qui la composent. En effet, depuis 1979, l’Union européenne est la seule organisation internationale au monde à ouvrir l’élection de représentants parlementaires à 508,2 millions de résidents (Office statistique de l’Union européenne, 2015). C’est une chance pour les citoyens de faire valoir leurs opinions et positions par le biais des divers groupes politiques européens. C’est notamment en raison de cela que l’ancien président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a déclaré: «Je suis toujours forcé de rire lorsque les gens se mettent à parler du déficit démocratique. Je reconnais que l’UE doit mieux fonctionner, mais sa qualité démocratique est irréprochable » (Conseil Européen, discours du 1 juillet 2014).

“Il se passe quelque chose de bizarre avec la démocratie : tout le monde semble y aspirer mais personne n’y croit plus.” (D. Van Reybrouck)

Un droit de pétition a été institué en 1992 avec le Traité de Maastricht. Celui-ci prévoit en effet que « tout citoyen de l’Union européenne a le droit d’adresser, sous la forme d’une plainte ou d’une requête, une pétition au Parlement européen sur une question relevant d’un domaine de compétence de l’Union européenne » (Europarlement). L’objectif est de permettre aux citoyens de s’adresser aux institutions de l’Union pour formuler des vœux, alors que les élections européennes permettent seulement de donner approbation à un programme). Ainsi, les citoyens peuvent présenter leurs réflexions sur un sujet en particulier auprès du Parlement européen. Une commission des pétitions du Parlement européen statue sur la recevabilité de la pétition proposée. Le texte est ensuite traité en collaboration avec la Commission européenne qui expose également son point de vue au pétitionnaire.

De plus, depuis le Traité de Lisbonne, une disposition du Traité sur l’Union Européenne (TUE, article 11) permet aux citoyens européens de soumettre un projet de texte à la Commission européenne, qui dispose de l’initiative législative au niveau européen. Plusieurs conditions sont préalablement nécessaires au lancement de la procédure, notamment l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) doit rassembler au moins un million de ressortissants de sept pays différents. L’ICE constitue  une opportunité supplémentaire pour les citoyens de porter leur voix auprès de la Commission européenne. Cependant, cet outil, a prioridémocratique, est-il opérationnel et efficace pour déboucher, comme il le devrait idéalement, vers une proposition législative ?

Une réelle démocratie participative ?

L’ICE, pourtant officiellement ouverte depuis avril 2012, n’a guère débouché sur des résultats perceptibles pour l’ensemble des citoyens. En effet, en premier lieu seules trois sur les 56 propositions d’initiative citoyenne ont atteint le million de signatures (Right to Water, Un de nous, Stop vivisection). Parmi les trois ayant répondu aux conditions pour être “prises en comptes”, aucune n’a été reconduite en proposition législative, bien que les initiatives aient été en audition du Parlement.  En effet, la portée démocratique de l’ICE ne semble pas être la même pour tous les acteurs du processus. Pour la Commission européenne, l’ICE est “un instrument qui permet aux citoyens d’influer sur les programmes de travail de la Commission” etpermet “d’inviter la Commission européenne à prendre des mesures dans des domaines relevant de sa compétence” (Commission européenne, 3 juin 2015).  Or, si réel pouvoir “d’influer” il y a, l’“invitation” citoyenne devrait tout au moins supposer une réponse à cette invitation. La Commission n’a pourtant jamais reconduit une ICE en proposition législative quelconque: elle a donc été mise au courant de l’invitation, sans pour autant accuser la réception de celle-ci. La rencontre a été manquée.

A titre d’exemple, l’initiative Stop TTIP et CETA n’a pas été auditionnée au Parlement car la Commission a refusé son enregistrement et ce pour deux motifs. D’une part, la Commission a affirmé que le projet n’en était qu’au stade préparatoire et donc qu’il n’était pas encore possibe de légiférer légalement sur le sujet. D’autre part, d’après la Commission, l’ICE ne peut qu’appuyer la ratification du traité et ne peut l’empêcher.

En plus du manque d’estime envers les textes proposés directement par les citoyens, la Commission européenne maintient ainsi l’image d’une mécanique européenne finalement toujours très peu abordable et modulable par les Européens.

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© European Parliament

En effet, la procédure de l’ICE est complexe et lourde et la soumission d’une proposition, si tant est qu’elle existe, par la Commission auprès du Conseil et du Parlement est lente: mieux vaut se doter de patience pour les sept millions (ou plus!) de citoyens ayant signé une déclaration de soutien à une proposition législative.

Par ailleurs, la procédure de l’ICE ne permet pas aux citoyens européens de saisir les motifs de refus de la Commission européenne. Les conditions d’irrecevabilité sont parfois floues et peu explicitées. De plus, le mode de financement des ICE répond aux mêmes règles que celles des partis politiques (règlement CE 2003/2004 relatif aux partis politiques) alors que les intentions et visées politiques ne sont clairement pas les mêmes : les initiatives citoyennes européennes n’ont pas pour objectif l’accès à un mandat représentatif et les droits qui en découlent mais seulement le lancement de la procédure législative. Les textes européens prévoient donc des moyens de dialogue entre les citoyens et les institutions européennes, sans pour autant que ce dialogue ne se révèle dans la pratique.

Quelles réformes possibles ?

Démocratie va de paire avec transparence et accès à l’information. Aussi serait-il légitime que la Commission européenne prenne davantage  soin de justifier les raisons de l’irrecevabilité d’une ICE. Ainsi, la justification concernant le refus d’enregistrement de l’initiative Stop TTIP et CETA a suscité nombre des critiques, allant jusqu’au dépôt d’un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. A l’occasion de l’initiative citoyenne l’eau, un droit humain lancée en 2015, le groupe GUE/NGL (Gauche unitaire européenne/gauche verte nordique) du Parlement Européen a déploré les difficultés d’usage de l’instrument ICE. Partant de ce constat, le groupe parlementaire confédéral a déclaré que la Commission européenne « se [limitait] à réitérer les engagements déjà pris » et qu’au vu du fait que certaines “ ICE couronnées de succès et largement soutenues […] sont négligées par la Commission, l’Union européenne elle-même perdra toute crédibilité aux yeux des citoyens » (communiqué de presse Commission européenne, juin 2015).

Le 28 septembre 2015, le Parlement européen a adopté une résolution sur l’ICE réclamant une simplification des obligations relatives aux données personnelles des signataires (des outils de collecte des signatures en ligne par exemple) ainsi que de nouveaux moyens pour dégager des financements pour soutenir la mobilisation citoyenne (Europarlement).

Si des réformes pour l’amélioration de la démocratie participative en Europe sont possibles, encore faut-il que les citoyens gardent espoir et confiance en celle-ci. Or, avant les élections européennes de 2014, un sondage du journal français Le Monde révélait que 53% des Européens n’ont pas confiance envers le Parlement européen (contre 34% qui, effectivement, lui accordent cette confiance). Il est en effet évident que les représentants politiques européens qui siègent au Parlement européen ne sont pas l’illustration même d’une représentation politique assurant la “coïncidence” entre représentant et représenté (Myriam Revault d’Allones, 2016). Cependant, cette représentation idéale a-t-elle déjà existé ? Il semble que non. Etant donné l’hétérogénéité de la structure sociale, “l’émergence d’une volonté populaire cohérente relèverait du miracle” (Vincent de Coorebyter, 2016). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les représentants n’ont généralement pas de mandats impératifs envers les électeurs : ils ne peuvent pas représenter la volonté des peuples qui les ont élus en tout temps et circonstance. Cette volonté n’est pas une entité homogène mais hétéroclyte et nécessite donc des compromis. Ainsi, même la démocratie directe athénienne ne permettait pas une représentation complète des citoyens. L’idée même de représentation est justement qu’elle ne peut qu’être représentative, c’est-à-dire être capable d’agir au nom des représentés pour défendre leurs intérêts tout en s’adaptant aux circonstances. Néanmoins, bien qu’imparfaite la représentation democratique repose avant tout sur la confiance. La confiance envers les parlementaires européens étant limitée, il va donc de soi que la représentation au niveau européen ne peut être qualifiée que d’inachevée. Les chiffres d’abstention des dernières élections européennes parlent d’ailleurs d’eux-mêmes: 56,3% de l’électorat ne s’est pas déplacé pour élire les députés européens en France, 77,3% en Pologne mais seulement 10% en Belgique (Etat où le vote est par ailleurs obligatoire).

Avant d’espérer de nouveau une confiance des citoyens européens envers leurs représentants et, plus généralement, l’ensemble des institutions européennes, il faudrait que les dirigeants européens s’attaquent aux causes profondes de cette crise de la représentation. Le cas inverse, les partis populistes continueront à diffuser leurs pensées réactionnaires et à s’accaparer les foules, au détriment d’une Europe citoyenne.

Lola Couturieux est étudiante en 2ème année à Sciences Po Strasbourg

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